Le vampire Alucard est de retour en librairie. Hellsing, manga culte de Kohta Hirano, bénéficie enfin d'une édition française au format Perfect Edition (trad. Fédoua Lamodière). L'occasion de (re)découvrir cette œuvre sanguinaire et explosive, son auteur iconoclaste, son adaptation animée marquante, ainsi que les multiples thématiques qui font sa richesse.
Le 12/04/2025 à 14:28 par Nicolas Gary
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12/04/2025 à 14:28
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Welcome ! Nous voici en Angleterre, où l'organisation secrète Hellsing protège la Couronne (donc le monde) de créatures maléfiques – les vampires entre autres. À sa tête, Integra, descendante du célèbre chasseur Abraham Van Helsing : son unité spéciale opère dans l'ombre, avec dans ses rangs Alucard, un vampire millénaire surpuissant (et anagramme pas trop compliqué), qui combat ses semblables.
À ses côtés, la jeune Seras Victoria, recrue qu'Alucard a sauvé... en changeant en vampire et qui découvre un monde d'horreurs. Pour l'organisation Hellsing et ses alliés, une bataille apocalyptique dans les rues de Londres se profile quand ressurgit un ennemi issu du IIIᵉ Reich, bien décidé à semer guerre et chaos à l'échelle mondiale. Une menace vampirique néo-nazie, voilà de quoi réchauffer l'atmosphère...
Kohta Hirano, né à Tokyo en 1973, est le créateur de Hellsing. Après des débuts modestes en tant qu'assistant et quelques mangas confidentiels (dont des hentai comme Angel Dust ou Coyote), il connaît son premier grand succès avec Hellsing, lancé en 1997 et prépublié dans le magazine Young King OURs. La série s'étend sur 10 tomes (publiés en France chez Tonkam, groupe Delcourt) et assoit la réputation de Hirano. Provocateur et fan de culture pop, le mangaka revendique un style volontiers « otaku » nourri de ses passions (manga, cinéma, jeux vidéo) plutôt que de recherches académiques.
Après Hellsing (achevé en 2008), il s'est lancé dans Drifters, un nouveau manga mêlant histoire et fantaisie. Figure appréciée des fans d'action gore, Kohta Hirano a désormais un statut d'auteur culte. Et, guess what ?, Hellsing n'y est résolument pas étranger !
Le succès a d'ailleurs donné lieu à deux adaptations animées distinctes. La première, Hellsing: Impure Souls, est une série TV produite par le studio Gonzo en 2001. Diffusée au Japon d'octobre à décembre 2001 (2024 en France sur MCM), cette version 13 épisodes suit d'abord fidèlement le manga, avant de bifurquer à partir de l'épisode 8. Faute de matériel original suffisant (le manga était alors inachevé), les scénaristes ont imaginé une fin inédite mettant en scène un antagoniste hors norme : Incognito. Un final exceptionnel.
Pour obtenir un sésame TV, l'anime atténua l'ultra-violence graphique, avec des affrontements bien plus sages. Malgré ces concessions, l'ambiance restait gothique et sanglante, portée par une réalisation nerveuse et une bande-son rock qui marquèrent les esprits. L'accueil critique de cette première adaptation fut mitigé : l'atmosphère et Alucard séduisent, mais certains déplorent un scénario confus. Critique infondée, mais quand on n'est pas équipé, faut pas tenter de réfléchir...
Face à ces réserves, et encouragé par la ferveur des fans, un remake plus fidèle a rapidement vu le jour. En 2006 débute la série d'OAV Hellsing Ultimate, qui compte dix épisodes adaptant l'intégralité du manga. Cette adaptation “ultimate” reprend à zéro la trame en respectant scrupuleusement le récit original, avec un budget accru pour une réalisation plus qualitative... et surtout plus aucune retenue dans la violence graphique – au plus proche du ton de Hirano.
Produite sur plusieurs années (2006-2012) par divers studios, Hellsing Ultimate reçoit un accueil bien plus enthousiaste. Fans et critiques s'emballent devant la la fidélité au scénario et la démesure totale des combats. Hellsing Ultimate éclipse alors la série de 2001 au rang de curiosité pour nostalgeeks.
Longtemps épuisé en France après sa première parution chez Tonkam dans les années 2000, le manga Hellsing revient donc en force cette année avec une Perfect Edition chez Delcourt/Tonkam. Annoncée puis reportée, cette réédition deluxe en cinq volumes doubles (grands formats cartonnés, objet splendide) était très attendue des fans. Son lancement en avril 2025 marque un tournant symbolique : il consacre l'entrée de Hellsing au panthéon des classiques du manga, avec les honneurs d'une édition de prestige.
De son statut de titre de niche ultraviolent, Hellsing se hisse au panthéon des mangas – une pareille édition atteste a minima d'une consécration pour l'œuvre de Kohta Hirano, plus de vingt ans après ses débuts. De manga culte pour aficionados, Alucard et ses compagnons deviennent un classique du genre, qu'on mesure à l'aune de son influence sur la pop culture.
Cette réhabilitation passe aussi par une nouvelle traduction française soignée, assurée par Fédoua Lamodière, pour restituer au mieux l'humour noir et le verbe fleuri de Hirano. Cette Perfect Edition offre une seconde jeunesse à Hellsing – et scelle son statut d'œuvre majeure du manga d'horreur.
À découvrir : Carmilla, la vampire oubliée – Publiée en 1872, Carmilla de Sheridan Le Fanu (trad. Gaid Girard) est une nouvelle vampirique antérieure à Dracula.
Restée longtemps dans l'ombre des vampires masculins plus célèbres, cette histoire d'une prédatrice au charme vénéneux n'a été pleinement redécouverte et valorisée par la critique que bien plus tard. Une « reconnaissance tardive » pour ce texte fondateur, à l'image de la réévaluation dont bénéficie aujourd'hui Hellsing dans son médium.
Si Hellsing fut tout d'abord sous-estimé, c'est en partie à cause de son style volontairement outrancier, qui mélange férocement les genres. Kohta Hirano livre un cocktail explosif de références historiques, mythologiques, religieuses, littéraires, cinématographiques et même vidéoludiques.
Le résultat est un récit d'action horrifique frénétique, assumant un esprit “série B” décomplexé – « un monument pulp aux allures de série B nanardesque complètement hors limite et jouissif ». Gunfights sanguinolents, humour noir et personnages larger-than-life (Alucard en anti-héros démiurgique, le Père Anderson en prêtre tueur fanatique, etc.) composent un univers baroque et excessif. Hirano ne recule devant rien pour divertir, quitte à flirter avec le mauvais goût (nazis grotesques, prêtres fous, gore caricatural).
Mais cette démesure servie par un dessin contrasté et dynamique confère à Hellsing une identité visuelle forte et un ton unique, entre horreur et second degré.
Au-delà du spectacle, l'œuvre distille en filigrane des thématiques plus sérieuses (la monstruosité humaine, la guerre sans fin, la folie idéologique). Hirano, en grand cinéphile, truffe son récit d'hommages et de clins d'œil – du duel au pistolet à la John Woo aux répliques grandiloquentes dignes d'un western spaghetti. Ce mélange d'action stylisée et de références pop évoque l'approche d'un Quentin Tarantino, qui sait combiner violence extrême et érudition geek dans ses films. Certains commentateurs n'hésitent pas à comparer Hellsing à un film à la Tarantino tant il allie humour anarchique et fusillades baroques.
Loin d'être une œuvre creuse, Hellsing révèle à la relecture une véritable intelligence narrative sous son enrobage pulp – comme le note un lecteur, « cette comparaison avec Tarantino n'est pas seulement pertinente, elle est tout à fait flatteuse », soulignant que style déjanté et qualité d'écriture ne sont pas incompatibles (voir ici).
À découvrir : Black Lagoon, manga Tarantinoesque – Publié à partir de 2002, Black Lagoon de Rei Hiroe (trad. Josselin Moneyron) est un seinen qui, comme Hellsing, puise son énergie dans le cinéma d'action des années 90.
Mercenaires déjantés, fusillades aquatiques et punchlines acerbes en font un équivalent en manga des films de Tarantino ou Rodriguez. Hiroe cite d'ailleurs Pulp Fiction parmi ses influences pour marier humour noir et gunfights stylisés. Une œuvre survitaminée, souvent recommandée aux fans de Hellsing pour prolonger l'adrénaline.
Un des aspects marquants de Hellsing est sa profonde imprégnation de culture anglo-saxonne. Hirano situe son récit en plein cœur de Londres et multiplie les clins d'œil à l'histoire et aux mythes britanniques. L'organisation Hellsing elle-même renvoie à la figure d'Abraham Van Helsing de Dracula (Bram Stoker, 1897), dont Integra est la descendante fictive. La société secrète porte en interne le nom de code de « Table Ronde », allusion explicite à la légende arthurienne et aux chevaliers de Camelot.
La Reine d'Angleterre apparaît dans l'intrigue, tout comme des institutions de l'Église anglicane – preuve de l'intérêt de Hirano pour l'imaginaire britannique. Visuellement, le manga s'inspire des codes victorieux et post-victoriens : manoirs gothiques, rues londoniennes embrumées, uniformes militaires rappelant la Seconde Guerre mondiale. Même le design du Père Anderson, avec ses lunettes rondes et sa bible, s'inspire du Van Helsing classique incarné par l'acteur Edward Van Sloan dans le Dracula de 1931.
Au-delà de l'Angleterre, Hellsing embrasse plus largement la pop culture occidentale. On y croise des références directes à l'histoire européenne (la menace néo-nazie évoquant les films Les Prédateurs ou Vampires des années 80 cités par Hirano) et à la culture américaine (Alucard maniant deux énormes pistolets évoquant Dirty Harry, l'un d'eux baptisé « Jackal » en hommage à Bruce Willis dans Le Cinquième Élément).
Les chapitres du manga empruntent leurs titres à des jeux vidéo ou films anglo-saxons appréciés de l'auteur (Final Fantasy, Blade, etc.). Cette profusion de clins d'œil anglo-saxons traduit la fascination qu’exerce l’Occident sur Hirano – une fusion des cultures qui donne à Hellsing sa saveur cosmopolite unique.
Hirano s'autorise même quelques libertés avec la réalité culturelle : il qualifie l'Église d'Angleterre de « protestante » (plutôt qu'anglicane), montrant qu'il privilégie l'efficacité fictionnelle à la précision doctrinale. Cet amalgame volontaire participe du charme un peu kitsch de Hellsing, où l'Angleterre fantasmée par un mangaka nippon devient le théâtre d'un chaos jubilatoire mêlant vampires, nazis, paladins et majordomes armés.
En somme, Hellsing illustre la tendance qu'ont certains auteurs japonais à s'approprier et à magnifier des éléments de culture britannique – comme le fera plus tard un manga tel que Black Butler avec l'ère victorienne – pour créer un univers exotique et dépaysant aux yeux du public japonais.
À découvrir : JoJo's Bizarre Adventure: Phantom Blood – Le premier arc de la saga JoJo d'Hirohiko Araki (1987, trad. Satoko Fujimoto) témoigne déjà de cet attrait pour l'Angleterre gothique. Phantom Blood se déroule en 1888, en pleine époque victorienne, et met en scène l'affrontement d'un gentleman anglais, Jonathan Joestar, avec son frère adoptif Dio Brando qui devient un vampire grâce à un masque antique.
Mélange de culture britannique (manoirs, aristocratie, références à Jack l'Éventreur) et d'action manga, Phantom Blood préfigure à sa manière la synthèse Est-Ouest que réussira Hellsing dans un registre plus moderne.
La religion occupe une place centrale dans Hellsing, où elle apparaît sous un jour belliqueux et fanatique. Face à l'organisation Hellsing (liée à l'Église anglicane britannique), Hirano oppose l'Ordre d'Iscariot, une sombre division secrète du Vatican dédiée à l'élimination des monstres et des hérétiques. Le conflit entre protestants et catholiques est exacerbé jusqu'au paroxysme : le Père Alexander Anderson, paladin d'Iscariot, cite les Écritures en massacrant des créatures impies, convaincu d'accomplir l'œuvre de Dieu. Cette vision extrême interroge la fine frontière entre foi et fanatisme.
Si l'Église est censée apporter la lumière, Hirano la montre engendrant à son tour des monstres (Anderson devient littéralement un monstre à force d'acharnement religieux). Le manga pousse la provocation jusqu'à représenter une armée de prêtres-soldats lançant une croisade sanglante sur Londres, prêtres qui finissent par se heurter à Alucard – démon au service d'une cause « juste ». Hellsing renverse ainsi les rôles traditionnels : le vampire est le champion de l'humanité, tandis que des hommes d'Église sombrent dans une violence fanatique.
Cette thématique du fanatisme religieux inscrit Hellsing dans la lignée des fictions modernes où l'exorcisme et la chasse aux démons servent de métaphore aux dérives idéologiques. Le manga de Hirano, avec son ton irrévérencieux, fait écho à toute une veine d'œuvres contemporaines centrées sur des combattants du diable. Dans les années suivant Hellsing, on voit émerger des séries à succès comme Blue Exorcist (Kazue Kato, 2009) ou Chainsaw Man (Tatsuki Fujimoto, 2018) qui explorent à leur tour le motif de l'exorciste.
Blue Exorcist met en scène les fils de Satan qui intègrent une institution d'exorcisme pilotée par le Vatican afin de lutter contre les démons – une intrigue qui rappelle les chevaliers d'Iscariot, à ceci près que l'Église y est dépeinte de façon bien plus positive. Chainsaw Man, de son côté, transpose la chasse aux démons dans un contexte laïque : ses « Devil Hunters » opèrent au sein d'une agence gouvernementale pour protéger la population des créatures infernales. Dans ces deux séries, on retrouve l'idée d'une organisation structurée (ordre religieux ou brigade d'État) se vouant à l'éradication du Mal surnaturel, idée popularisée par des précurseurs comme Hellsing.
Hirano allait toutefois plus loin dans la satire : Hellsing n'hésite pas à critiquer la violence « sacrée » et la folie des extrémismes religieux, là où bon nombre de shōnen plus récents préfèrent célébrer des héros exorcistes vertueux. À ce titre, Hellsing préfigure la maturité d'œuvres comme Chainsaw Man, qui, sous ses atours déjantés, propose aussi une réflexion désabusée sur le fanatisme (certains personnages y vouent un culte littéral aux démons). Le manga de Hirano s'inscrit ainsi dans une tradition qui va du classique roman L'Exorciste (William Peter Blatty, 1971) jusqu'aux shōnen actuels : celle qui utilise la lutte contre les démons pour interroger la foi, la morale et l'inhumanité bien réelle dont les hommes sont capables au nom du sacré.
À découvrir : Blue Exorcist, l’école des diables – En 2011, Blue Exorcist de Kazué Kato (trad. Sylvain Chollet) a renouvelé le genre avec sa vision shōnen de l'exorcisme. On y suit Rin Okumura, fils de Satan élevé par un prêtre, qui rejoint l'Ordre de la Croix-Vraie (une institution mondiale d'exorcistes liée au Vatican) pour combattre les démons. Cette série emblématique illustre l’héritage de Hellsing : on y retrouve l’alliance paradoxale d’un descendant du Diable et de l’Église contre les forces infernales, traitée cette fois sous un angle initiatique et optimiste, à l’opposé du cynisme flamboyant d’Alucard.
Illustration : anime
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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3 Commentaires
Un antifa
13/04/2025 à 08:51
Le.a directeur.ice de publication : Bon, on a une sortie sympas en manga, une perfect edition de Hellsing. Nicolas, tu peux le faire ? Tu nous fait un truc simple et rapide, hein ?
Nicolas Gary, craquant ses doigts en s'apprêtant a faire une ode en 2200 mots digne d'une page wikipedia avec 4 références à découvrir : Simple, rapide. Je m'y met. OwO'
(J'ai adoré cette lecture qui m'a donné envie de me replonger dans des amv de Rammstein de mon adolescence. Merci Nicolas ! ^^)
Nicolas Gary - ActuaLitté
13/04/2025 à 11:46
Merci :-)
L'avantage étant que je cumule ici le rôle d'auteur du papier et au quotidien de directeur de la publication ^^
Et que Hellsing, je l'ai dévoré et adoré dans tous les sens ! (même ce premier anime critiqué)
Un antifa
13/04/2025 à 15:51
Hahaha ! Je comprends mieux !
Eh bien vous avez raison de vous faire plaisir. Cet article transpire la passion et c'est plaisant à lire.