Réalisé par la Scam et la SGDL, avec la collaboration de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et du SNAC BD, le 10ᵉ baromètre des relations entre autrices-auteurs et éditrices-éditeurs s’appuie sur les réponses de près de 1800 créateurs et créatrices de l’écrit. Ce nouveau rapport dresse le tableau des réalités professionnelles en 2025, tout en proposant une synthèse rétrospective depuis le premier baromètre, publié en 2009.
Le 09/04/2025 à 18:04 par Hocine Bouhadjera
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09/04/2025 à 18:04
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Il confirme des avancées ponctuelles mais peu de progrès sur les enjeux majeurs : les contrats, de plus en plus complexes, restent souvent obscurs pour les auteurs, notamment pour les droits numériques (41 %) et dérivés (51 %), obligeant 42 % à solliciter un avis extérieur. La rémunération demeure insuffisante jugent-t-il, avec un taux médian de 8 % pour le papier et 7 % pour le numérique, et 25 % ne perçoivent toujours aucun à-valoir.
La reddition des comptes reste lacunaire : 14 % ne la reçoivent jamais, et 18 % n’obtiennent pas le paiement des droits correspondants. Les relations avec les éditeurs se tendent (31 % constatent une dégradation), et plus de la moitié des auteurs souhaitent une instance de médiation. Enfin, la montée du livre d’occasion, sans rémunération pour les créateurs, souligne l’urgence d’un meilleur partage de la valeur, selon eux.
L’enquête s’est appuyée sur un questionnaire en ligne adressé à 14.500 autrices et auteurs de l’écrit. Elle a recueilli 1768 réponses, soit un taux de participation particulièrement élevé de 12 %, révélateur de l’intérêt et de l’implication de la profession face aux enjeux soulevés.
Les personnes interrogées se répartissent à 57 % de femmes, 42 % d’hommes, et 1 % de personnes ayant choisi de ne pas se prononcer sur leur genre. Seuls 2 % des répondant·es ont moins de 30 ans, tandis que 28 % ont entre 30 et 50 ans. Les auteurs et autrices âgé·es de 51 à 70 ans représentent la tranche la plus importante, avec 45 %, et un quart des participant·es ont plus de 70 ans.
62 % des auteurs et autrices exercent une autre activité, dont 57 % par nécessité économique. La précarité persiste : 49 % signalent une dégradation financière (contre 52 % en 2020 et 44 % en 2018). Pour 60 %, l’écriture représente moins d’un quart des revenus (−5 pts vs 2023) ; seuls 20 % en tirent les trois quarts, 7 % plus de la moitié. 54 % ont signé un contrat en 2024-2025, 42 % en littérature générale, 25 % en jeunesse, 14 % en documents, 8 % en BD, 4 % en pratiques, 3 % en scolaire/beaux livres, 1 % en roman graphique.
Par ailleurs, seuls 12 % n’ont eu qu’un éditeur ; 47 % en ont eu 2 à 5, 26 % entre 6 et 10, 15 % plus de 10. 91 % publient à compte d’éditeur (96 % en 2020), 7 % à compte d’auteur, 2 % avec participation financière. 69 % sont actifs sur les réseaux sociaux (+7 pts), avec 79 % sur Facebook/Meta et 73 % sur Instagram (+18 pts).
En 2025, les autrices et auteurs affichent un taux de satisfaction global de 6 sur 10 quant au travail de leur éditeur, un niveau inchangé par rapport à 2023. Cette satisfaction se manifeste surtout dans les premières étapes de la collaboration – travail de création et négociation contractuelle – tandis qu’elle tend à diminuer lors des phases suivantes, notamment en ce qui concerne la reddition des comptes, le paiement des droits d’auteur, ou encore la promotion et la diffusion des ouvrages.
La compréhension des contrats demeure un enjeu majeur pour une large part des autrices et auteurs, selon l'enquête. Ils sont 42 % à indiquer qu’ils ne peuvent en décoder seuls les termes juridiques et recourent encore à un avis extérieur pour en saisir les implications. Parmi eux, 44 % sollicitent une organisation professionnelle d’auteurs, 25 % se tournent vers un tiers de confiance, 22 % font appel à un juriste ou à un avocat, et 9 % s’adressent à un agent littéraire. Ce recours à un accompagnement, multiple et varié, témoigne d’une complexité contractuelle persistante qui freine l’autonomie des auteurs dans la gestion de leurs droits.
Parmi les éléments les plus problématiques qui ressortent de l'étude, la cession des droits numériques continue de faire l’objet de vives préoccupations. Malgré l’accord CPE-SNE de 2014, qui impose de distinguer clairement ces droits dans un contrat séparé du contrat principal d’édition, cette exigence reste ignorée dans une part non négligeable des cas. En 2025, 26 % des contrats signés ne prévoient toujours pas cette séparation, entretenant une confusion juridique durable. Dans le même temps, seuls 7 % des auteurs et autrices ont conclu un contrat portant exclusivement sur une exploitation numérique de leur œuvre, un chiffre qui n’évolue pas par rapport à l’année précédente.
La question de l’adaptation audiovisuelle fait également apparaître des pratiques contractuelles bien ancrées : plus de la moitié des auteur·ices interrogés (53 %) déclarent avoir signé, dès l’origine, un contrat parallèle d’adaptation audiovisuelle, alors même que cette démarche n’est nullement obligatoire. Ce taux, bien qu’en baisse par rapport à 2009 (où il atteignait 59 %), témoigne d’un automatisme contractuel souvent peu négocié, en dépit du fait que ce type de cession doit, en principe, faire l’objet d’un contrat distinct du contrat d’édition.
Les mécanismes d’ajustement économique prévus par l’accord de 2014 – censés permettre une renégociation des conditions initiales lorsque le succès commercial le justifie – sont très peu activés. Seuls 2 % des auteurs déclarent les avoir mis en œuvre. Et parmi eux, à peine 20 % ont effectivement obtenu une revalorisation de leurs droits. Ce chiffre souligne l’inadéquation entre les dispositifs théoriques de protection des auteurs et leur application concrète, laissant peu d’espoir à une amélioration spontanée des conditions contractuelles sans accompagnement collectif ni volonté structurelle de réforme.
Parmi les répondants à l’enquête, 13 % des autrices et auteurs ont déjà eu recours à la résiliation de plein droit, un mécanisme légal leur permettant de mettre fin à un contrat en cas de manquement de l’éditeur à ses obligations. Ces manquements concernent notamment la reddition des comptes, le paiement des droits ou encore l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre.
Dans cette catégorie, 39 % des auteurs et autrices ont engagé la procédure de résiliation en raison de l’absence d’exploitation permanente et suivie. À noter que 13 % des répondant·es ont déjà signé un contrat comportant une clause autorisant l’exploitation par impression à la demande, ce qui soulève des questions sur la validité de cette modalité au regard de la notion juridique d’ « exploitation permanente ».
Lorsque la situation est signalée à l’éditeur, dans 37 % des cas, une régularisation a effectivement été opérée, un chiffre en recul significatif par rapport à 2023 (47 %). À l’inverse, 63 % des autrices et auteurs n’ayant reçu aucune réponse de leur éditeur ont activé la résiliation de leur contrat, conformément aux dispositions prévues par la loi.
La résiliation d’un contrat ne met pas toujours fin aux difficultés : 13 % des autrices et auteurs déclarent avoir rencontré des problèmes après la rupture officielle de leur engagement. Parmi les principales complications évoquées, 46 % ont été confronté·es à des litiges concernant le règlement du solde de leurs droits d’auteur, 32 % ont rencontré des obstacles pour retirer leur œuvre du commerce, et 22 % ont éprouvé des difficultés pour faire pilonner les stocks restants ou les racheter.
Malgré l’existence d’un dispositif encadrant ces situations, seuls 8 % des répondant·es ont connaissance de l’accord signé le 26 mars 2021 entre la SGDL, le CPE, le SNE et la société Dilicom, qui permet à un auteur ayant récupéré ses droits de demander l’arrêt de commercialisation de son ouvrage via le réseau de distribution.
26 % des autrices et auteurs déclarent avoir appris la mise au pilon de leurs ouvrages sans en avoir été informés par leurs éditeurs, ce qui témoigne d’un manque de transparence persistant dans la gestion de la fin de vie commerciale des livres.
Côté rémunération, dans une très large majorité des cas – 89 % des autrices et auteurs interrogés –, les droits d’auteur sont calculés sur la base du prix public hors taxe de l’ouvrage papier. Ce chiffre est en hausse par rapport à 2009, où il s’élevait à 84 %.
Pour une minorité, d’autres modalités de rémunération sont appliquées : 4 % des contrats prévoient un forfait de rémunération, 3 % établissent une rémunération sur la base d’un pourcentage des recettes nettes de l’éditeur.
Fait jugé particulièrement préoccupant : 2 % des autrices et auteurs ne disposent d’aucun droit prévu dans leur contrat, un taux inchangé par rapport à 2023. Cette absence de rémunération contractuelle contrevient pourtant à la législation en vigueur. L’article L.132-5 du Code de la propriété intellectuelle impose explicitement que tout contrat d’édition prévoit une rémunération proportionnelle en contrepartie de la cession des droits.
En ce qui concerne le niveau de rémunération, le taux médian appliqué dans le dernier contrat signé pour l’exploitation du livre papier, tous genres confondus, demeure stable à 8 %, comme l’année précédente. Ce taux reste un indicateur-clé de la fragilité économique du métier d’auteur, malgré une relative constance apparente.
Pour l’à-valoir, en 2025, 26 % des autrices et auteurs ne perçoivent aucun à-valoir dans leurs contrats d’édition. Si ce chiffre reste élevé, il est toutefois en baisse continue depuis les dernières enquêtes : ils étaient 34 % en 2020, puis 30 % en 2023 à déclarer ne pas bénéficier de cette avance sur droits.
À l’inverse, 52 % des répondant·es indiquent que leurs contrats prévoient systématiquement un à-valoir, soit une progression de 6 points par rapport à 2023. 22 % déclarent en percevoir « quelquefois », un taux stable depuis 2020. En 2009, la situation semblait plus favorable : 66 % des auteurs et autrices affirmaient alors que leurs contrats comportaient généralement un à-valoir.
Il convient de rappeler qu’en vertu du Code de la propriété intellectuelle, tout contrat d’édition doit prévoir soit un tirage minimum, soit un minimum garanti, souvent désigné sous le terme d’« à-valoir ». Les contrats ne comportant ni l’un ni l’autre sont donc irréguliers au regard de la loi.
Lorsque les contrats comportent un à-valoir, 68 % d’entre eux sont inférieurs à 3000 €, un chiffre inchangé depuis 2009. Toutefois, certaines différences sectorielles apparaissent : dans la bande dessinée, 63 % des contrats prévoient un à-valoir supérieur à 5000 €, illustrant une dynamique économique différente selon les genres littéraires.
S’agissant des droits dérivés – qu’il s’agisse d’adaptations audiovisuelles ou théâtrales, de traductions à l’étranger, ou d’exploitation sous forme d’impression à la demande – une majorité d’autrices et auteurs déclarent avoir été informés par leur éditeur.
Néanmoins, un nombre encore trop important de maisons d’édition omettent de prévenir les auteurs de l’exploitation de leurs œuvres, en particulier à l’international. Déjà en 2009, un quart des auteurs et autrices affirmaient avoir appris, a posteriori, que leurs livres avaient été traduits à l’étranger sans en avoir été informés.
Un accord signé en décembre 2022 entre les organisations d’auteurs et d’éditeurs impose désormais une obligation d’information : tout éditeur est tenu de prévenir ses auteurs en cas de sous-cession de droits à un tiers, comme pour la traduction ou l’adaptation.
Malgré cette disposition, 62 % des autrices et auteurs ayant été informés d’une traduction à l’étranger déclarent ne jamais avoir perçu les droits correspondants, ce qui pose la question du suivi effectif de ces sous-cessions et de la transparence des revenus qu’elles génèrent.
Enfin, 13 % des autrices et auteurs ont découvert que l’un de leurs ouvrages était toujours exploité par leur éditeur sous forme d’impression à la demande, après l’épuisement du stock initial, sans information claire sur les conditions de cette prolongation. Cette pratique interroge directement la notion d’« exploitation permanente et suivie », souvent invoquée comme critère de validité d’un contrat d’édition.
En 2025, 60 % des auteurs et autrices reçoivent une reddition des comptes annuelle et régulière (+1 pt vs 2023), mais 14 % n’en reçoivent jamais (contre 16 % en 2009), et 57 % ont déjà dû en faire la demande (51 % en 2009). La lisibilité reste problématique : 23 % jugent les documents jamais compréhensibles, 28 % jamais complets, seuls 14 % les trouvent toujours clairs (−5 pts vs 2023) et 13 % les considèrent toujours complets (−5 pts).
43 % des documents transmis ne mentionnent aucune provision pour retours, pourtant obligatoire. 90 % des auteurs n’ont pas accès à des chiffres de vente en temps réel ; parmi eux, 92 % souhaiteraient en disposer. 18 % ne reçoivent pas leurs droits après reddition (+2 pts vs 2023). 58 % ont dû écrire pour réclamer un paiement (44 % parfois, 14 % souvent, +2 pts). 46 % ont rencontré des difficultés pour obtenir le solde dû. Seuls 8 % estiment que leur relation avec leur éditeur s’est améliorée (+1 pt), 31 % la jugent dégradée. 6 % ont été confrontés à des situations préoccupantes (harcèlement, violences, propos injurieux). Enfin, 52 % envisagent de saisir la commission de médiation prévue par la loi de 2015, attendue pour fin 2025.
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Sur le plan promotionnel, 40 % des répondants déclarent élaborer cette stratégie conjointement avec leur éditeur, quand 26 % en confient l’entière responsabilité à ce dernier. Toutefois, 34 % des autrices et auteurs affirment assurer eux-mêmes cette mission, en s’appuyant notamment sur les réseaux sociaux.
La gestion collective des droits connaît une progression modérée. En 2025, 45 % des auteurs ont perçu des droits de reprographie (dont 82 % via un organisme de gestion collective, chiffre stable), 43 % ont bénéficié de rémunérations issues de la copie privée numérique (+5 points par rapport à 2023), et 64 % ont touché des droits au titre du prêt en bibliothèque (+6 points). Ces données indiquent une meilleure répartition des revenus secondaires, bien qu'encore inégale selon les situations individuelles.
Concernant les livres d’occasion, la problématique reste aiguë : près de 20 % des livres achetés en 2022 provenaient du marché de seconde main, sans générer de rémunération pour les autrices et auteurs. Pire encore, 18 % des répondants ont constaté que leurs ouvrages étaient disponibles à la revente dès le jour de leur parution, ce qui nuit directement à l’exploitation commerciale du livre neuf. Dans ce contexte, 93 % des professionnels souhaitent avoir accès à des données précises sur les ventes de leurs ouvrages d’occasion, révélant une forte demande de transparence et une préoccupation croissante quant au partage de la valeur dans la chaîne du livre.
Crédits photo : Mobilisation des auteurs - FIBD 2020 (ActuaLitté, CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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