Le monde de la culture toulousaine perd un pilier. Et il porte un nom : Roselyne Gutierrez, libraire aux multiples casquettes. Après 44 années passées à la tête de la librairie Renaissance, dans le quartier populaire du Mirail, elle met fin à une carrière passée dans l'ombre, au service du livre et à sa diffusion. Un départ à la retraite bien mérité, qui laissera sa marque dans le paysage...
Le 17/04/2025 à 17:10 par Louella Boulland
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Publié le :
17/04/2025 à 17:10
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« Est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne », chantait Claude Nougaro dans sa magnifique ode à Toulouse. En 2025, ces paroles résonnent d’autant plus fort dans la Ville rose, où vit une importante communauté espagnole. Parmi elle, Roselyne Gutierrez, 67 ans, qui prend une retraite bien méritée après avoir été directrice d’une des plus anciennes librairies du coin : celle de la Renaissance, au Mirail.
Son nom ne vous dit peut-être rien. C’est normal : « Elle fait partie de ces gens qui aiment rester dans l’ombre », nous confient unanimement ses proches. Pourtant, tous s’accordent à dire qu’elle a produit « un travail exceptionnel sur, et pour son territoire ».
Car Roselyne Gutierrez est restée fidèle à l’Espagne, sa terre natale, tout au long de sa vie professionnelle. Un attachement qu’elle tient de son enfance : « Son père était un militant communiste sous Franco. Quand les choses se sont gâtées en Espagne, il a envoyé sa femme et ses deux enfants dans le dernier train en partance pour la France », se remémore Emile Ochando, un proche d’enfance, devenu plus tard un collègue de travail.
Ils se sont connus à l’école, alors que Roselyne n’avait que 16 ans, ont toujours partagé une ferveur politique commune, et milité pour la documentation du post-franquisme. « Elle n’a jamais relégué cet héritage au second plan, tant elle a été durablement affectée par les censures qui frappaient certains livres et chansons. » C’est dans cet esprit que Roselyne, alors fraîchement diplômée d’une maîtrise d’espagnol, s’est engagée à plein temps dans ce qui n’était à l’origine qu’un emploi étudiant : la librairie de la Renaissance, fondée par des résistants communistes en 1944.
On est en 1981. Le commerce est en plein déménagement vers le nouveau quartier du Mirail, devenu plus tard très populaire. Les années passent, l’expérience s’acquiert, et la jeune femme se fait porte-parole d’une catégorie peu portée par ses confrères toulousains : la littérature hispanophone.
Parmi ses ouvrages favoris, L’aveuglement, de l'écrivain et journaliste portugais José Saramago (trad. Geneviève Leibrich, 2000). « Elle en vendait des centaines », se souvient Bruno Lamarque, nouveau directeur de la librairie. « Elle faisait un tel travail de promotion que l’éditeur nous a appelés pour comprendre ce qu’il se passait. Elle est comme ça : quand elle fait quelque chose, c’est à 200 % ».
À force d’investissement et de bouche-à-oreille, elle parvient à rassembler toute une communauté autour de la Renaissance. Chaque année, la librairie organise une soirée consacrée à la transmission de la mémoire post-franquiste, en collaboration avec des écrivains, des poètes et plusieurs associations espagnoles.
Un engagement durable, qui a même donné lieu à la publication d’un ouvrage et à la réalisation d’un documentaire intitulé Toulouse la rouge, histoires de l’exil républicain espagnol. « Pour son travail de mémoire historique, la librairie a reçu un prix en Espagne, remis à Madrid. Roselyne en était très fière », souligne Emile Ochando.
« Cela fait partie du travail de transmission qu’elle mène depuis des années », souligne Francette Carrie. Cette dernière a travaillé une vingtaine d’années à ses côtés, et retient, en plus de son franc-parler, une indéfectible volonté « d’amener la littérature à ceux qui en sont le plus éloignés ».
Et pour cause, dès son emménagement au quartier du Mirail, la Renaissance a dû se trouver une place dans le paysage culturel toulousain. « Ça n’a pas été facile, à l’époque c’était un coin assez désert. Depuis, c’est un quartier populaire », raconte-t-elle. « Malgré tout, elle s’est toujours battue pour que le commerce se développe ».
L’équipe s’est progressivement tournée vers les écoles — avec lesquelles elle collabore désormais régulièrement — mais aussi vers les entreprises, les bibliothèques, ou tout autre lieu où se trouvaient les lecteurs potentiels. C’est dans ce même esprit que Roselyne a lancé, en 2002, le Festival du Livre de Jeunesse Occitanie, afin de « faire entrer les livres dans les écoles et permettre à chacun d’y avoir accès ».
Pour Francette, « la création de ce festival a montré aux autres acteurs culturels qu’on était tout aussi légitimes. C’était la preuve qu’on s’était imposé durablement ». Et le chemin ne s’est pas arrêté là, car, depuis 2009, la librairie est également partenaire historique et coorganisatrice du Festival Toulouse Polars du Sud.
Deuxième manifestation littéraire dédiée au genre, cet événement « a un véritable impact sur le quartier », précise le nouveau directeur de la librairie. Chaque année, il « pousse les populations les plus éloignées du livre à découvrir des auteurs et autrices », et fait vivre la littérature de genre sur le sol toulousain. Toujours avec une référence espagnole : « Carlos Salem est le seul auteur autorisé à venir chaque année », glisse Evelyne Gest, bibliothécaire bénévole qui a travaillé avec elle sur le festival.
Les deux femmes se sont rencontrées sur les bancs du festival : « On a tout de suite accroché. Des personnes aussi compétentes, j’en ai rarement rencontré. » Depuis, elles travaillent régulièrement ensemble à la médiathèque de Bérat, en région toulousaine. L’une fournit les livres, l’autre les reçoit et les recommande aux lecteurs.
« Elle a tout de suite compris quels étaient les besoins d’une petite bibliothèque de campagne, et c'est précieux ». Elle se souvient de Roselyne présentant les futures parutions aux bibliothécaires, ayant méticuleusement mémorisé le moindre des résumés. « C’était impressionnant, elle avait un tel sens du conseil. Elle a permis à nos lecteurs de faire des découvertes d’auteurs dont on ne parlait pas dans les médias ».
Depuis, ces passionnées de littérature ne se sont jamais quittées. « Elle a passé sa vie à transmettre son savoir et sa passion, et on peut dire que c’est réussi ».
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Aujourd’hui, la librairie est confiée à Bruno Lamarque et son équipe de sept personnes. « Ce sont tous de super libraires, chacun spécialisé dans un domaine. On peut dire qu’elle a eu du nez pour les trouver », conclut Evelyne Gest.
Roselyne Gutierrez lègue une librairie vivante, engagée, et une équipe soudée. « Cette chevelure grise qui nous accueillait une fois la porte poussée va nous manquer ». Mais Bruno Lamarque entend poursuivre cette dynamique, tout en renforçant les liens tissés avec les lecteurs et les partenaires. « La transition se fera en douceur », promet-il. Une page se tourne, mais le livre, lui, continue de s’écrire.
Crédits image : Photographie par © Armelle, de la librairie La Renaissance
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
Paru le 09/03/2020
384 pages
Points
8,95 €
3 Commentaires
Mazon
18/04/2025 à 10:00
Fortiche de faire un article sur la Librairie La Renaissance à Toulouse sans citer le nom du propriétaire ? Peut être que pour Actualitte écrire Parti Communiste Français est un gros mot ? Pendant une douzaine d'année j'ai dirigé le même librairie à Bordeaux, elle s'appelait La Librairie Pasteur qui elle aussi occupait une place importante à Bordeaux.
Il faut dire que le seul parti politique en France à avoir ouvert un réseau de librairies en France c'est justement le Parti Communiste Français, mais peut être que Actulitte ne le sait pas ou ne veut pas le savoir.
Louella Boulland - ActuaLitté
18/04/2025 à 10:45
Bonjour,
Une mention a été ajoutée si l'engagement n’était pas suffisamment clair. L’article est un portrait de Roselyne Gutierrez, son action concrète en tant que libraire et son engagement culturel de terrain, à la fois entre les murs et hors les murs. Ce n'est pas un article sur la librairie de La Renaissance, qui possède en effet une histoire forte et riche qui mériterait, en soit, un article à part entière. Comme de nombreuses autres enseignes ayant appartenu à la « bataille du livre ». Mais merci de nous partager votre expérience.
Bien à vous.
Josiane Francés
20/04/2025 à 11:36
Je félicite Roselyne Gutierrez pour sa fidélité à la librairie de la Renaissance pendant toutes ces années; une belle librairie que j'ai fréquentée pendant mes études universitaires alors qu'elle se trouvait au centre ville de Toulouse rue Pargaminières. Mes études supérieures de langue espagnole m'ont donné l'occasion de rencontrer Roselyne Gutierrez à l'université. J'ai tout de suite remarqué son caractère entier, entreprenant et passionné. Elle était tout à fait à sa place dans cette belle librairie militante installée au Mirail dans le quartier de l'université. C'était le temps de nos belles années de jeunesse. J'ai vécu à Toulouse jusqu'en 1983 et c'est à la retraite que je me suis mise à écrire des livres et à les publier. La Librairie de la Renaissance me fait l'immense plaisir de les diffuser sur son catalogue en ligne. Bonne retraite Roselyne