LeLivreaMetz25 — Le fameux soleil lorrain a tapé toute la journée sur la grande tente du festival Le Livre à Metz. Sous sa toile, les premiers curieux commencent à se faire nombreux, ils sont accueillis sourires aux lèvres par les libraires de la ville qui ont posé leur stand pour le week-end, et par les auteurs et autrices déjà présents, parmi lesquels quelques jolis noms...
Dans la « grande librairie » du festival, on se balade, les mains dans les poches ou derrière le dos. On dodeline, on cherche du regard le nom des auteurs qui seront en dédicace tout le week-end : Leila Slimani, Olivier Weber, Marie Pavlenko... Benoît Feroumont, invité d'honneur cette année, est déjà présent et signe ses albums.
Au centre du chapiteau s'agite Anne-Marie, gérante de la librairie Autour du Monde qui fêtera bientôt ses 10 ans et qui a son stand au Livre à Metz depuis 2016. Cette première journée lui donne le sourire « le soleil est au rendez-vous, les gens sont curieux des rencontres et posent beaucoup de questions », nous dit-elle, de quoi être enthousiaste pour la suite.
De son côté, elle avoue « prêcher pour sa paroisse » et attend avec impatience la rencontre avec le sociologue Hartmut Rosa, connu pour son concept de résonance, celle avec Olivier Mannoni, auteur de Traduire Hitler, ou encore celle qui aura lieu dans sa propre librairie, autour des éditions Anamosa, spécialisées dans les sciences humaines et sociales. Lorsque nous la quittons, elle nous conseille d'aller parler à Anne, des Éditions de la Conserverie.
Anne est au stand de la librairie Carré des Bulles. C'est la première fois qu'elle est présente en tant qu'éditrice au Livre à Metz, même si « ça fait de nombreuses années que je viens en tant que visiteuse, depuis que je suis revenue vivre ici ». Elle nous présente ses derniers projets, tous basés sur des archives de photographies de famille : un tarot divinatoire ou encore une boîte d'allumettes en hommage à La petite fille aux allumettes.
Dans les allées on croise aussi les lecteurs locaux. Parmi eux, Monique accepte d'échanger avec nous. Quand on lui demande si elle a trouvé des lectures à se mettre sous la dent, elle nous répond qu'elle vient à peine d'arriver d'Alsace. Qu'y faisait-elle ? Elle est porteuse d'une maladie orpheline, le syndrome d'Ehlers-Danlos, elle tient depuis 17 ans l'association « Vivre avec le SED » et c'est dans ce cadre qu'elle était en déplacement.
En rentrant, elle s'est dit qu'elle irait faire un tour au Livre à Metz, elle vient presque tous les ans. « J’ai beaucoup de mal à me mettre dans un roman, mais j’aime bien les livres politiques », nous dit-elle : avec les invités et le thème de cette année, « Tenir tête », elle risque d'être servie.
Et alors qu'on tourne autour des stands à la recherche de nouveaux visiteurs à questionner, on tombe sur un homme qui fait de grands et lents pas dans les allées, en dilettante. Un homme grand, il semble presque prendre toute la place. On a l'impression de voir le basketteur serbe Nikola Jokić, triple (bientôt quadruple) MVP de la NBA, vieilli d'à peine quelques années.
Lunettes noires de rockstar, veste longue beige sur t-shirt noir, les mains derrière le dos, ce colosse dénote avec les autres passants. Attiré par cette énergie particulière, on va vers lui avec un bon pressentiment.
« Bonjour, vous êtes visiteur ? – Non, je suis invité », nous répond-il hésitant, presque méfiant, avec un accent qui vient de l'Est, et en nous regardant du coin de ses lunettes. On lui sert le pitch habituel et lui demande de se présenter. Il nous montre son badge : Velibor Čolić. Nous le reconnaissons bien maintenant, oui, l'auteur de Jésus et Tito, et il semble se détendre quand il comprend qu'ActuaLitté connait et apprécie son oeuvre.
À LIRE — Anatomie de la guerre et du corps, par Velibor Čolić
On se rend vite compte qu'il n'y a pas que ses lunettes qui font de l'auteur une rockstar : à peine arrive-t-il devant son stand qu'une admiratrice vient lui dire son émotion de le voir en chair et en os, lui qui a accouché de « mots si forts, si vrais ». Et comme toutes les rockstars, Čolić a ses petits caprices — justifiés, il faut le dire — : la place qui lui est réservée pour les dédicaces, coincée dans un coin, est trop petite pour son envergure. L'occasion pour l'auteur de plaisanter sur son « grand corps de basketteur yougoslave ».
Les gérants du stand lui organisent une autre portion de table, plus appropriée pour ses grands bras. Il s'y installe, demande un stylo — « j'ai déjà perdu le mien » ironise-t-il — et fait un petit dessin sur notre exemplaire de Jésus et Tito. « Ce genre de rencontre, nous confie-t-il à propos de sa discussion avec son admiratrice, c'est ça les vrais prix littéraires. Le reste, ce n'est que du bonus. »
C'est donc mi-fier, mais toujours blagueur, qu'il nous montre le bandeau rouge qui habille son dernier livre Guerre et Pluie : « Prix Victor Rossel de littérature 2024 ». « C'est comme le Goncourt belge, ça veut dire qu'on a le droit de manger plus de frites que les autres », lance-t-il. Le dernier volet de sa trilogie autobiographique est aussi le lauréat du prix Joseph Kessel 2024, et c'est en cette qualité qu'il est invité au Livre à Metz cette année. L'auteur nous propose d'aller dehors pour continuer la discussion.
Nous y parlons d'abord du week-end à venir. Il semble enthousiaste quand il pense à l'échange qui l'attend avec Olivier Weber dimanche : « c'est une grande rencontre qui va aborder des sujets qui me tiennent à cœur : l’écriture et la guerre ». Deux choses qu'il connait particulièrement bien, mieux que tout le monde ici, c'est sûr — et peut-être mieux que n'importe qui tout court.
En effet, il fut enrolé dans l'armée bosniaque en 1992, lors de l'éclatement de la Yougoslavie. Il se retrouva impliqué, comme il l'écrit dans Guerre et Pluie, dans un conflit fait par les « personnes âgées pour tuer les jeunes ». Il fut ainsi arraché de la vie tranquille qu'il vivait jusqu'alors et fit face à l'horreur pure et dure. Écoeuré, il finit par déserter. Aujourd'hui encore, il se questionne : « est ce que l'Europe est dans une période de paix entrecoupée de guerres, ou est-ce l'inverse..? ».
Čolić, qui se fait progressivement plus grave, nous donne ainsi sa conception de la littérature : « on peut lui exiger plein de choses, explique-t-il, mais elle ne doit pas être plus belle que le monde ». Autrement dit, une écriture du réel, du vécu et de l'expérience brute. Une littérature « faite caméra à l'épaule, comme la Nouvelle vague : j'essaye de capter le moment ».
Il distingue deux catégories d'écrivains — « les deux sont tout à fait valables », précise-t-il, mais doit-on le croire sincère ? — : « ceux qui cherchent les grandes bibliothèques et les musées, et ceux qui, comme moi, vont vers les gens, le charnel, le vécu ». La deuxième catégorie, selon lui, « manque un peu ».
« Mes livres cherchent l'humain au plus près, et l'humain au plus près c'est le soldat, l'homme désossé de tout ». Le soldat, mais aussi le miséreux, que Čolić nous dit croiser gare du Midi, à Bruxelles où il habite, ou Gare du Nord à Paris, qu'il traverse lorsqu'il vient en France. « Mon crédo, c’est d'accompagner l’homme qui tombe », ce qui, selon lui, n'empêche pas le burlesque : « l'enfer n'exclut pas l'humour ».
Au contraire : « Les cons ne sont pas drôles, Trump n'est pas drôle, Poutine n'est pas drôle ». C'est alors le sourire au lèvre qu'il nous abandonne. Il repart s'installer devant ses livres pour accueillir ses admirateurs, toujours caché derrière ses lunettes noires. Sacrée rencontre...
Crédits image : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - À Metz, le livre tiendra tête (et dragée haute) pour le festival
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 01/02/2024
288 pages
Editions Gallimard
22,00 €
Paru le 05/05/2010
189 pages
Gaïa
17,30 €
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