Le réseau Relief, qui réunit 55 festivals et salons littéraires, s'alarme dans un message d'« une situation budgétaire qui se dégrade continuellement », mettant en péril la pérennité des événements qui animent et font vivre le secteur du livre. Le désengagement des collectivités et le retrait des soutiens publics, parallèlement à l'inflation, font courir un risque majeur, détaille une tribune reproduite ci-dessous.
Notre réseau des événements littéraires et festivals (RELIEF) fédère une soixantaine de manifestations dans toute la France, mais aussi en Belgique et au Québec.
Il rassemble des événements de toutes tailles qui, chacun à leur façon, élaborent un véritable projet : sélection des livres et des auteurs invités, diversité des formes, rémunération systématique des interventions. Ils mènent aussi des actions à l’année pour développer le rapport à la littérature, à la lecture et à l’écriture.
Ces événements s’inscrivent au cœur de l’écosystème du livre, ils l’animent, éclairent et accompagnent la création littéraire. Consolident l’économie souvent précaire des auteurs en les rémunérant, parfois sur le temps long d’une résidence. Stimulent les ventes de livres et l’envie de lire. Saluent les auteurs accomplis mais aussi encouragent la curiosité en invitant des voix plus discrètes ou plus jeunes. Renouvellent enfin l’image de la littérature et élargissent son public.
Le réseau Relief a aujourd’hui décidé de porter une parole collective car nous sommes nombreux à ressentir une inquiétude croissante face à une situation budgétaire qui se dégrade continuellement. L’arrêt de la Fête du livre de Bron est à ce titre emblématique : il est en grande partie lié à des problématiques financières qui ont fini par décourager les équipes. Cet abandon nous a laissés dans une grande sidération. Il est donc possible aujourd’hui qu’un festival de grande qualité, très implanté et très fréquenté disparaisse sans que les partenaires publics ne s’en émeuvent particulièrement.
Comme beaucoup de structures culturelles, nous sommes peu à peu asphyxiés par une stagnation ou une érosion des soutiens publics depuis une dizaine d’années (sans parler du désengagement pur et simple de certaines collectivités). Dans le même temps, l’augmentation naturelle du coût de la vie et plus récemment l’inflation flagrante provoquent une augmentation de nos dépenses sans possibilité d’y faire face.
Or nous sommes parmi les plus vulnérables. La littérature en scène est plus jeune et moins organisée collectivement que le spectacle vivant. Elle est notoirement sous financée en termes de subventions publiques. Elle est très peu soutenue par les partenaires privés plus enclins à se tourner vers d’autres domaines artistiques.
Elle ne peut que marginalement compter sur des recettes de billetterie en raison de la nature des propositions, parfois de lieux qui ne s’y prêtent pas, ou encore de demandes politiques exigeant la gratuité. Un phénomène de strangulation lente est à l’œuvre. C’est pourquoi nous éprouvons le besoin d’exposer plus en détail les termes de cette situation délétère.
Nos alertes auprès des financeurs ne reçoivent que des réponses marginales ou en décalage avec nos besoins réels :
Réduisez votre programmation : la plupart du temps c’est déjà fait et si l’on réduit trop la voilure, on risque de perdre du public et des financements, notamment ceux liés au nombre d’auteurs présents. En outre, trop réduire le nombre d’invités amène inéluctablement à privilégier les auteurs connus au détriment des écritures émergentes.
Mutualisez : quoi et avec qui ? S’il y a des choses à faire, c’est déjà engagé. Et on ne peut mutualiser à outrance sous peine d’une standardisation des événements.
Utilisez le pass culture (souvent pour faire face au retrait de la DRAC) : si la part collective permet de rémunérer les auteurs qui interviennent en milieu scolaire, cela n’intègre pas le travail d’ingénierie (dépôt des offres, coordination auteurs-enseignants…). Par ailleurs, le plafonnement brutal qui vient d’intervenir nous montre les limites de ce dispositif…
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Augmentez la billetterie : ceux qui peuvent le faire s’y sont déjà engagés. Sans compter que cela peut engendrer des coûts (achat d’une solution de billetterie, barriérage, contrôle des billets...), le consentement à payer pour nos événements n’est pas le même que pour les formes plus longuement produites du spectacle vivant.
Faites appel au bénévolat : c’est déjà le cas, mais au-delà d’un certain niveau, cela relève d’un fantasme dangereux. Un festival littéraire doit considérer de façon professionnelle l’ensemble des éléments sensibles (programmation, administration, communication…). Les postes clés à responsabilité ne peuvent être confiés aux bénévoles.
Recherchez des soutiens privés : la vie littéraire est très peu soutenue par les entreprises. Quelques fondations orientées majoritairement vers l’Éducation artistique et culturelle (EAC) et le social, avec des aides fléchées et minimes qui ne permettent pas d’asseoir l’économie d’un projet. Parfois un peu de mécénat local lorsque les élus s’engagent personnellement. Mais le livre reste moins immédiatement séduisant que le cinéma, moins « chic » que l’art contemporain, moins stable que le patrimoine, moins naturellement populaire que les musiques actuelles…
Nous sommes arrivés au bout de la débrouille et de l’épuisement de nos équipes, par ailleurs le plus souvent sous-payées et précaires. Or nous devons aussi pouvoir revaloriser les rémunérations de nos salariés : c’est une règle de bonne gestion (et pour partie une obligation légale). On ne peut pas ignorer les attentes légitimes de nos équipes.
Nous sommes arrivés également au bout de l’agilité qui caractérise les événements littéraires, de toutes tailles, sur tous les territoires, urbains, périphériques ou ruraux, avec si peu de moyens. En témoigne encore une fois la décision inédite d’auto-dissolution prise par l’équipe de Lire à Bron, qui n’a pas souhaité poursuivre ses actions « à tout prix ».
Il y a urgence à redémontrer le rôle important des manifestations littéraires dans la chaîne du livre et c’est ce que nous faisons aujourd’hui par cette prise de parole collective inédite. La vie littéraire est toujours un peu en marge, elle n’est jamais considérée comme un maillon économique essentiel. Le temps est venu de défendre nos actions et leur véritable impact.
Nous intervenons en faveur du maillage territorial et de l’interprofession, deux points majeurs à l’heure où l’on parle des enjeux de lecture et de culture en milieu rural comme en quartier « politique de la ville »…
Nous représentons des emplois fondés sur des compétences professionnelles, un renfort pour les ventes de livres et l’activité des libraires, des revenus complémentaires essentiels pour les auteurs, une force de stimulation et de diversité à l’heure de la baisse tendancielle des ventes de la littérature et de la concentration des succès…
Nous sommes donc partie prenante et très active de l’écosystème du livre, mais aussi du développement de liens et d’actions au plus près des citoyens dans les territoires. Nous parlons au grand public et mettons aussi en place des heures d’ateliers d’écriture, de lecture, de création artistique liée au livre, des interventions en crèche, en classe ou en université, dans les prisons, dans les hôpitaux, les centres sociaux, les entreprises…
En vingt ans, le paysage des manifestations littéraires a profondément changé, il s’est formidablement renouvelé et déployé. Avec des budgets publics désormais contraints – nous en avons parfaitement conscience – l’heure n’est plus à la croissance (nombre et ampleur des événements). Pour autant nous ne pouvons pas rester inertes : entre le nœud coulant à l’œuvre depuis des années et la tronçonneuse agitée par certaines collectivités la pression devient trop forte.
Nous demandons donc la constitution d’un comité de crise avec le CNL et le ministère de la Culture, la Sofia, des représentants des collectivités territoriales... Comment accompagner, stabiliser, viabiliser le paysage des événements littéraires qui s’est fortement étendu, mais qui est aujourd’hui au bord du point de rupture ? Dans l’immédiat survivre, et pour l’avenir : comment transmettre à de nouvelles générations de professionnels dans de telles conditions de précarité ?
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A minima, il faut tenir compte de l’inflation des dépenses. À titre d’exemple au cœur de nos valeurs, le barème de rémunération des auteurs a augmenté régulièrement au cours de ces dix dernières années. Nous nous en réjouissons puisque le réseau RELIEF s’est précisément fondé sur ce principe et a largement contribué à imposer cette bonne pratique. Sans parler d’autres dépenses d’accueil dont le coût a flambé encore bien plus fortement… CNL et Sofia ne devraient-ils pas cependant indexer les montants de leurs aides sur ces augmentations que rien ne compense pour l’instant ?
Nous demandons aussi et surtout aux partenaires publics de lever le tabou sur les frais de fonctionnement. Il faut arrêter de faire croire que les projets se mènent hors sol : la tenue de nos manifestations nécessite des professionnels rémunérés et des emplois stabilisés. Les projets ne se font pas seuls, il faut des compétences, des bureaux et des infrastructures minimales pour mener à bien nos actions au service des auteurs, du public et du désir de lecture.
Nous avons besoin d’aides « structurantes » pour nos emplois. Tous les partenaires nous demandent d’avoir une action à l’année sur notre territoire. Or, pour mener des actions en profondeur, il faut des structures permanentes et non saisonnières, professionnelles et non uniquement bénévoles.
Peut-être faudrait-il également une action de sensibilisation auprès des élus locaux sur la réalité du coût d’une programmation littéraire (ce n’est pas qu’une sympathique animation portée par de passionnés bénévoles qui occupent ainsi leur retraite) et sur les impacts économiques positifs de celle-ci dans un territoire. Sensibilisation également auprès des entreprises en faveur du mécénat sur le livre et la lecture (et pas seulement son versant social – qui pour le reste nous tient évidemment à cœur, mais ne peut s’exercer qu’à partir de structures professionnelles pérennes).
Ce qui est en jeu, c’est le maintien d’une vie littéraire qui anime la chaîne du livre, conforte le revenu des auteurs, lutte contre le risque d’une rupture générationnelle à l’égard de la lecture, soutient une littérature de création face à la standardisation des goûts que tend à imposer le marché s’il est livré à lui-même. Sans oublier de rappeler l’importance cruciale de la lecture comme apport à la construction citoyenne dans un monde qui se radicalise et perd l’esprit de nuance.
Olivier Chaudenson, président du réseau Relief (55 festivals)
Co-signataires : Marina Corro, présidente de Club 99, Fédération des festivals BD et arts associés (19 festivals) et Régis Le Ruyet, co-président de la Fédération des Salons et Fêtes du livre de jeunesse (23 festivals)
Photographie : Festival Le Livre à Metz, en 2022 (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Par Auteur invité
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