J’aime de plus en plus Christine Angot, la femme, et j’aime de plus en plus les livres de l’écrivain. J’aime son attitude. Sa distance puis son implication en tout. Son style. J’aime sa véracité, son authenticité, sa vérité, sa liberté. Cette façon bien à elle de déjouer les plans pour faire les choses à son image, comme elle l’entend.
Le 01/04/2025 à 10:21 par Laurence Biava
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Publié le :
01/04/2025 à 10:21
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J’aime son écriture sèche et resserrée, sa tonalité littéraire sans aspérités, ses analyses subtiles, son côté cash et son appétence à poser des questions intéressantes, ce sont toujours des bonnes questions. J’aime sa trajectoire littéraire que je connais plutôt bien, et la retenue dont elle fait preuve pour parer aux doutes qui l’assaillent souvent.
Ici, dans ce livre d’une puissance irréfutable, l’écriture semble une armure, on dirait qu’elle – Angot - se mure dans ce temps à part, qu’elle prépare et qu’elle prend. Et qu’elle compte privilégier. Les scènes se passent à la Bourse de Commerce Collection Pinault La Nuit sur commande est un livre dense et vif, qui lui ressemble bien.
Elle y raconte sa difficile intégration dans le petit monde parisien de l’art et mène une réflexion sur son rapport à l'art et à l'écriture. Avec la complicité mémorable de sa fille Léonore qui fait une belle incursion dans le récit dans lequel elle se livre aussi, Angot détourne un peu le projet initial de la commande des éditions Stock et quitte finalement les lieux à 1h du matin sous l’œil ébahi de l’agent de sécurité.
Le texte est ciselé, farouche, patient, à la fois profond et drôle. Il permet de situer la caste de l‘art contemporain et ses repères et son peu d’étanchéité avec la société dont il est démarqué. Le récit raconte la vie et sporadiquement, les rencontres amoureuses, amicales, les invitations auxquelles Angot a été conviée, sous la houlette de Sophie Calle qu’elle rencontre un jour au Café de Flore, les veuleries, les petites trahisons, les jeux de pouvoir d’un monde qui ne voit que lui-même et ne tourne que sur son orbite.
Avec une honnêteté rare et une probité intellectuelle qui n’appartient qu’à elle, la narratrice étudie avec subtilité sa propre place dans ce monde vibrionnant. C’est fin, passionnant. Toutes ces fois où elle a fait semblant sans le vouloir vraiment, où elle s’est fait honte, où elle s’interroge sur qui elle est, ce qu’elle fait, sur cette méthode Coué dont elle a parfois usé dans une émission télévisuelle où elle officiait pour se donner du courage, où elle réalise qu’elle ne peut être en permanence dans la compromission, sont mémorables.
Non, pas d’entre-soi, pas de mondanités, avec Angot. Cette façon de renvoyer à Sophie Calle le cadeau qui lui portera bonheur à elle est un sommet d’éducation et d’élégance. J’aime ses fragments qui me rappellent l’extraordinaire documentaire « La famille » de l’an passé. Il était excellent à tous points de vue, en raison de ces séquences où elle affronte ses proches qui savaient l'inceste et l’ont tu. En raison du rythme vif, sans concessions.
En raison de sa rudesse, justement. Je ressens les mêmes sentiments avec ce nouveau livre. J’aime la mise en abyme de la pratique du pouvoir et de la domination. J’aime l’habileté de la mise en miroir avec toutes Les Nuits sur commande où elle subissait les viols de son père. Ce que Christine Angot fait voir ici de la perversion de son père et de la perversion d’un environnement malaisant et des effets destructeurs de ce milieu produits sur sa personne, est abyssal...
Le 11 mars dernier, à « La Grande Librairie », elle a émis quelques fulgurances sur le fait de faire semblant, de se trouver malgré elle dans des lieux de pouvoir, c’était d’un grand intérêt, à l’égal de ce livre rare.
Une partie de moi hésite. J'ai quelquefois peur d'entendre encore l'histoire d'Angot qui est noire. Je suis impressionnée par sa force mais intimidée par le côté diamant brut qu’elle dégage.
Mais toujours je l'écoute, et je la lis car j'ai de l'empathie pour son histoire privée. Cette femme est si juste, si sensible, qu’elle me bouleverse chaque fois. Toujours, elle fend l’armure, et semble nue. Toute nue. Il faut beaucoup de courage pour livrer tous ses combats, et dire, et écrire ce qu’elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle pense. À ce titre, le dernier chapitre de « La Nuit sur commande » est absolument somptueux et très émouvant. Ce texte est encore une nouvelle révélation.
Extrait : « Mon titre, La Nuit sur commande, je l’ai trouvé tout de suite. Il établissait un tel lien entre la commande éditoriale de passer une nuit au musée et la commande sexuelle à laquelle je pouvais être confrontée à tout moment de la nuit entre mes treize et mes seize ans…Et de nouveau à vingt-cinq ans pendant deux mois, au point, là, d’être prête à renoncer à ma vie.
Ma vie, à moi, la mienne, en tant qu’elle était la mienne, n’ayant pas le courage de me suicider pour autant, et plus la perspective de grandir, de dire, c’était fait, et ça n’avais servi à rien, à rien d’autre qu’à souffler et avoir une pause avant qu’il réattaque, et à me retrouver de nouveau raide dans mon lit, et qu’avoir parlé, avoir grandi, me sentir forte, n’était rien devant la commande qui se représentait et insistait.
Pendant deux mois de mes vingt-cinq ans, puisque je n’avais pas le courage de me suicider, j’ai été prête à envisager une vie qui n’était pas la mienne, qui résulterait de mon état d’objet incapable, et en tiendrait compte, lucidement. La phrase que j’avais dans la tête : « Je m’en fous. Tant pis. Je savais que c’était un choix de mort. Mais il me permettait de ne pas me suicider puisque je n’en étais pas capable.
Extrait : « Plus tard, bien plus tard, dix ou quinze ans plus tard, dans une émission de télévision qui brassait l’actualité politique et culturelle à laquelle je participais, je me souviens que le seul artiste contemporain cité au cours des deux années où j’y suis restée est le graffeur anglais Bansky. Son tableau dont la toile se déchire en fines lamelles à l’annonce du prix d’acquisition, venait d’être vendu chez Christie’s un million d’euros, et de faire l’actualité dans le monde entier.
Aucun autre artiste vivant n’a été mentionné dans cette émission en deux ans. Pierre Huygue, Parreno, Calle, Othoniel, Hammons, Annette Messager, Gonzalez-Torres. Boltanski qui était encore vivant. Avant d’entrer sur le plateau, en attendant qu’on m’appelle, je me disais : « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne sais pas. Bon, c’est pas grave. Tu es là. Tu attends qu’on t’appelle et tu continues à sourire comme ça. Allez. Fais ça. »
J’entendais la voix de l’animateur :
- Je vous demande d’accueillir…
Je descendais trois marches pour rejoindre ma place dans le décor. Sous les applaudissements du public rythmés par le chauffeur de salle qui tapait dans ses mains levées au-dessus de sa tête pour que tout le monde le voit et tape en rythme… »
Par Laurence Biava
Contact : laurence.biava@cegetel.net
Paru le 12/03/2025
180 pages
Stock
19,00 €
2 Commentaires
Smooth rodeo in the grass
01/04/2025 à 15:49
Je rêve d'un monde contemporain où la littérature féminine ne serait pas que nombriliste.
Où sont les Selma Lagerlof, les Pearl Buck, les George Sand de notre époque ?
Marie
03/04/2025 à 07:39
Le nombrilisme n'est pas "que" féminin, hélas...De plus l'écriture laisse vraiment à désirer...