LeLivreaMetz25 — Dans le cadre du festival Le Livre à Metz, qui se tiendra le week-end prochain, nous avons rencontré Marie Pavlenko, récompensée par le prix du festival pour Traverser les montagnes, et venir naître ici. L’occasion de parler de ce roman porté par deux figures féminines puissantes, mais aussi d’aborder son rapport au vivant, à la poésie, et au sens des mots qu'on utilise.
Marie Pavlenko a publié une trentaine de romans et séries de livres « jeunesse ». En janvier 2024, elle a sorti son premier recueil de poèmes, La main rivière, aux éditions Bruno Doucey. Elle est également l'autrice de trois romans de littérature dite « générale », même si ces histoires de catégories marketing ne l'intéressent guère.
Le dernier d'entre eux, Traverser les montagnes, et venir naître ici (Les Escales), raconte les destins croisés de deux femmes : Astrid, qui après avoir tout perdu achète une maison dans le Mercantour, et Soraya, une très jeune exilée syrienne, enceinte, qui traverse la montagne pour rejoindre la frontière française. Un roman qui brille par ses protagonistes autant que par ses personnages (pas si) secondaires, dont la montagne, sévère et sereine.
ActuaLitté : Vous venez de recevoir le prix du Livre à Metz pour Traverser les montagnes, et venir naître ici. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Marie Pavlenko : Je suis ravie, d'autant qu'il s'agit d'un prix de lecteurices. Ce sont les prix les plus touchants, les plus gratifiants aussi. Il y a quelque chose de très direct, de sincère dans ce type de reconnaissance.
Comment présenteriez-vous votre roman, avec vos propres mots ?
Marie Pavlenko : Je ne suis pas très forte pour ce genre d'exercice... Le livre s’ouvre sur Astrid, qui vend sa maison en banlieue parisienne. Elle part s'exiler dans le Mercantour, une région qu'elle ne connait pas, rude et sauvage, en haute montagne. Assez vite, on comprend qu’elle a perdu son mari et ses enfants. En parallèle, on suit Soraya, qui a 17 ans. Elle est enceinte. Avec sa tante, la seule famille qui lui reste, elle essaie de passer la frontière franco-italienne après un long périple depuis la Syrie. Astrid et Soraya vont se rencontrer, et le roman est l'histoire de cette rencontre.
Le thème du festival cette année est « tenir tête ». Comment résonne-t-il avec votre roman ?
Marie Pavlenko : Pour moi, tenir tête est une forme de résistance. Soraya tente simplement de survivre mais Astrizd, en revanche, en hébergeant quelqu'un qui a franchi la frontière de manière illégale, tient tête. D'une certaine manière, elle obéit à une injonction d'entraide et d'humanité plus impérieuse que la loi. Elle tient tête à ce que la société a créé de plus absurde et injuste.
Comment avez-vous construit vos personnages, notamment celui de Soraya ? Y a-t-il eu un travail documentaire ?
Marie Pavlenko : À la fin des années 1990, bien avant la guerre, j’ai vécu en Jordanie pendant un an. J'allais en Syrie tous les week-ends, j'y passais presque tout mon temps libre et j'ai tissé avec ce pays un lien particulier. De retour en France, des années plus tard, j’ai suivi de près ce que l’on a appelé la « crise syrienne », et l'afflux massif d'exilés fuyant la guerre civile.
Bien sûr, je me suis documentée, j'ai énormément lu, j'ai rencontré des associations et interrogé des juristes qui aident les personnes exilées, travaillent sur le droit d'asile, etc. Le personnage de Soraya est né de tout cela, mais aussi de mon histoire personnelle qui s'inscrit dans le temps long.
Pourquoi avoir situé votre roman dans un décor de montagne ?
Marie Pavlenko : La montagne est un des personnages du livre. Ce récit est une histoire de femmes et la montagne est comme l'une d'elles. Elle incarne à la fois le refuge et le danger, la beauté et la rudesse. Pour moi, la montagne est une figure féminine, solide, ancrée. Une géante tranquille. Quand je marche en montagne, j'ai souvent l'impression de voir des formes de femmes endormies.
C’est un espace où l’humain est invité, où il doit rester humble. En montagne, on ne domine rien d'autre qu'éventuellement soi-même. Heureusement qu'il reste de tels lieux sur la terre.
Est-ce-que la montagne a une fonction symbolique pour Soraya et Astrid ?
Marie Pavlenko : Je ne fonctionne pas du tout de cette façon. Ou, en tout cas, ce n'est pas conscient. Je suis plutôt dans un rapport charnel avec mes personnages, je ne construis rien de manière analytique. Je me glisse dans leur peau, je vis en eux, avec eux.
J'aime la montagne, j'y vais depuis que je suis enfant. Je sais que c’est un milieu qui n'est pas neutre, qu'il peut y avoir du sublime, de l'horreur... Tu peux mourir en dérapant, tu peux te retrouver sur un sommet et voir la mer à des dizaines de kilomètres. C'est très particulier. Et surtout, c'est un milieu qui fourmille de vie. Les animaux sont partout, et même si on ne les voit pas, on sait qu'ils sont là. C'est une présence-absence qui n'est pas anodine.
Quelles ont été vos sources d'inspirations (littéraire, culturelles, sociétales...) pour ce récit ?
Marie Pavlenko : Je n'en ai pas vraiment. L'« inspiration » est une notion que je n'aime pas, pour bien des raisons. De quoi parle-t-on ? Il ne s'agit pas, au final, de quelque chose d'exceptionnel : être au monde, l'observer, l'absorber, l'intégrer, le digérer pour ensuite le modeler en fonction de notre histoire et de notre personnalité. Tout est inspiration, rien n'est inspiration, en somme !
Il y a tellement de livres écrits, d'histoires racontées, que mon objectif lorsque je travaille est de m'éloigner le plus possible de ce qui a déjà été fait.
Vous êtes également poétesse. Vous avez sorti votre premier recueil La main rivière aux Éditions Bruno Doucey en 2024. Quel lien faites-vous entre votre écriture romanesque et poétique ?
Marie Pavlenko : J’ai écrit Traverser les montagnes en même temps que le recueil, et ces deux livres entrent en résonance. Ils sont totalement indépendants, mais se répondent l'un l'autre, se font écho. Lors de mes lectures musicales de Traverser les montagnes, j'intercale des extraits de La main rivière, et les gens sont toujours très étonnés qu'il s'agisse de deux livres sans rapport direct, tant les extraits de l'un s'inscrivent dans la continuité des poèmes de l'autre.
Votre travail de poètesse est donc récent ?
Marie Pavlenko : Oui, je lis beaucoup de poésie, j'en écoute beaucoup – il n'y a rien de mieux que d'écouter de la poésie – mais j'ai mis longtemps à me mettre à en écrire, je pense que je ne m'y autorisais pas. Elle n'a l'air de rien, la poésie, mais elle peut changer le monde. J'accorde beaucoup d'importance à la phrase du poète palestinien Mahmoud Darwich : « Les tyrans n'aiment pas les poètes », il y a une raison à ça.
Et en littérature jeunesse, votre posture d’écriture est-elle différente ?
Marie Pavlenko : Pas du tout. En réalité, la seule différence, c'est l’âge des personnages : ce sont eux qui déterminent la voix du roman. D’ailleurs, certains de mes livres estampillés littérature « jeune adulte » sont publiés en poche « adulte ». C'est une simple frontière marketing.
Comment définiriez-vous votre style d’écriture ?
Marie Pavlenko : Je travaille énormément la fluidité, la lisibilité, et la musicalité. Je veux que l’écriture soit simple, mais pas simpliste. J'attache aussi beaucoup d'importance aux sensations — la vue, l’ouïe, le toucher. J'essaie d'ancrer mes personnages dans un paysage sensoriel, pour que les lecteurices soient au plus près de leur expérience, de leur ressenti, de leur vie.
Il semble que le vivant, la nature, soient très présents dans vos livres, jusqu’à dans leurs titres…
Marie Pavlenko : Je m'intéresse à l'état de notre planète depuis longtemps. Je suis étonnée (et en colère) que l'effondrement de la biodiversité ne fasse pas la Une des journaux, tous les jours. De même, je suis assez bouleversée lorsque je rencontre des collégiens ou des lycéens : ils vivent dans un monde où il n'y a plus d'insectes, et pour eux, c'est la norme.
Dire le vivant, rappeler qu'il est là, le mettre en scène, le rendre beau... c'est si important : on se bat pour ce que l'on aime, et on aime ce que l'on connait.
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De la même manière, vous nous disiez votre désamour pour le terme « migrant ».
Marie Pavlenko : Oui, je déteste ce mot. Ce n'est pas un hasard s'il est autant utilisé dans le discours public aujourd'hui. Il définit des femmes, des hommes et des enfants par le fait qu'ils sont en train de voyager, de passer, de transiter, comme des paquets.
Cet usage de la langue les déshumanise. Il suffit d'observer les décisions prises par Donald Trump de supprimer certains termes des documents de son administration pour mesurer à quel point le choix des mots et leur emploi sont primordiaux. La langue est politique.
Le mot « réfugié », lui, que beaucoup de gens ont utilisé pour parler du livre, renvoie à un statut. Dire que Soraya est une réfugiée, c'est faux : elle veut l'être. Je préfère employer le mot « exilé ». Le radical -exil- raconte déjà une histoire, une souffrance, un arrachement, et le -é- est passif, ce qui implique que la situation est subie. Aucune des personnes qui risquent leur vie en traversant l'Europe à pied ou la Méditerranée en canot ne le fait de gaité de coeur.
Crédits image : Philippe Matsas
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Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 22/08/2024
341 pages
Editions Les Escales
21,00 €
Paru le 19/01/2024
112 pages
Editions Bruno Doucey
15,00 €
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