En l’espace de quelques jours, un phénomène viral inédit, baptisé « Ghibli Effect », a déferlé sur le web. Tout commence fin mars 2025, lorsque OpenAI déploie sans fanfare une nouvelle version de ChatGPT capable de générer des images dans des styles précis. Aussitôt, les utilisateurs découvrent qu’ils peuvent transformer n’importe quelle photo ou mème en scène digne des films du studio Ghibli.
Le 31/03/2025 à 00:57 par Clément Solym
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31/03/2025 à 00:57
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Internet est rapidement inondé de ces illustrations oniriques aux tons pastel. Des animaux de compagnie, des portraits de famille, des scènes de films cultes ou des images historiques : tout passe à la moulinette Miyazaki. « Aujourd’hui est un grand jour pour Internet ! » s’enthousiasme ainsi un internaute en partageant des mèmes populaires à la sauce Ghibli.
Les fans du studio d’animation japonais – à l’origine de classiques comme Mon Voisin Totoro ou Le Voyage de Chihiro – sont aux anges. La nouvelle fonction de ChatGPT permet d’appliquer le style visuel distinctif d’Hayao Miyazaki à n’importe quelle image. anu Lingeswaran, un entrepreneur allemand, raconte ainsi avoir demandé à ChatGPT de « ghiblifier » la photo de son chat : il a obtenu instantanément un dessin rappelant les chats espiègles des films de Miyazaki.
« Je suis tombé amoureux du résultat », confie-t-il, envisageant même de l’imprimer pour l’accrocher au mur, rapporte l'AP. L’engouement est tel que des mèmes célèbres comme Disaster Girl (la fillette souriant devant une maison en feu) ou des photos sportives iconiques se voient, elles aussi, réinterprétés façon Ghibli et largement partagés. Le phénomène est né : on parle désormais du Ghibli Effect pour désigner cette vague de « ghiblification » du monde réel.
OpenAI n’a rien fait pour freiner la tendance, bien au contraire. La startup a semblé encourager ces expérimentations créatives autour de ses modèles. Son PDG, Sam Altman, a lui-même changé sa photo de profil sur X (ex-Twitter) pour un portrait généré en style Ghibli. Sur les réseaux sociaux, l’entreprise s’amuse de la situation : « C’est super de voir les gens adorer les images dans ChatGPT, mais nos GPU sont en train de fondre » plaisante Altman, allusion humoristique à l’énorme charge de calcul due à l’afflux de demandes.
Techniquement, il est vrai que cette nouvelle version de GPT-4 apporte des avancées notables : elle peut ajouter du texte cohérent dans les images, conserver un style uniforme sur une série d’illustrations avec les mêmes personnages, et reproduire fidèlement le style visuel demandé – y compris lorsqu’il s’agit d’une œuvre protégée par le droit d’auteur.
Après 24 heures d’euphorie, toutefois, un léger coup de frein survient. Consciente du terrain glissant, OpenAI ajuste discrètement ses filtres : dès le lendemain soir, certains utilisateurs se heurtent à un refus lorsqu’ils demandent une image « à la façon Ghibli [...]. Nous avons ajouté un blocage qui se déclenche quand l’utilisateur tente de générer une image dans le style d’un artiste vivant », explique la société, tout en précisant qu’elle « autorise les styles de studios plus larges » comme celui de Ghibli.
En clair, pas question d’imiter à l’identique le trait d’un artiste contemporain précis, mais le style général d’un studio célèbre est toléré – une distinction subtile. Cette gestion mesurée de la part d’OpenAI s’apparente à une véritable stratégie de communication. Laisser d’abord la fièvre virale monter (quitte à frôler l’illégalité), pour mieux corriger le tir ensuite et afficher sa “bonne conduite” en matière de droits d’auteur : beaucoup y voient un coup de PR savamment orchestré.
La juriste Luiza Jarovsky note par exemple que la manœuvre a permis à OpenAI de faire parler de son outil tout en récupérant au passage de précieuses données (photos de visages humains) que les utilisateurs ont fournies d’eux-mêmes, grisés par l’effet de mode. Viralité, démonstration technologique et collecte de données : l’« effet Ghibli » est un succès sur tous les tableaux pour OpenAI. Reste que derrière la magie de ces images féeriques se cachent des enjeux épineux qui n’ont pas échappé aux observateurs.
Si le Ghibli Effect a séduit le grand public, il a simultanément soulevé un vif débat éthique et juridique. Au cœur de la controverse : l’utilisation du style graphique d’un studio emblématique sans autorisation formelle. Certes, en droit, le « style » en lui-même n’est pas protégeable par le droit d’auteur – une œuvre ne peut être protégée que dans sa forme concrète. Mais la frontière est floue.
Comme l’explique l’avocat Josh Weigensberg, ce que l’on appelle style englobe souvent des éléments précis et reconnaissables : « On pourrait figer n’importe quel plan de Mononoké ou Chihiro et y relever des détails spécifiques, puis retrouver ces mêmes éléments dans le rendu d’une IA. » Dès lors, difficile de soutenir que l’IA ne fait que s’inspirer de l’esthétique générale, sans jamais reproduire d’éléments substantiels.
La question sous-jacente est donc : sur quelles données cette IA a-t-elle été entraînée ? « Le modèle a-t-il ingurgité les œuvres de Miyazaki ou du studio Ghibli ? Si oui, avait-on une licence ou une permission pour ce training ? » s’interroge Me Weigensberg. OpenAI, sollicité sur ce point, n’a pas souhaité répondre. Beaucoup d’observateurs parient que la réponse est non, et que ces images Ghibli-like sont bel et bien issues d’un entraînement sur des œuvres protégées faites sans accord préalable.
Pour les artistes et ayants droit, le Ghibli Effect a sonné comme une alarme. « C’est utiliser le nom, le travail et la réputation de Ghibli pour promouvoir les produits d’OpenAI. C’est insultant, c’est de l’exploitation » s’indigne l’illustratrice Karla Ortiz. Cette artiste, qui a grandi avec les films de Miyazaki, fait partie d’un collectif poursuivant en justice plusieurs IA génératives d’images pour violation du droit d’auteur. À ses yeux, l’initiative d’OpenAI démontre le cynisme des géants de l’IA prêts à s’approprier sans vergogne le travail d’autrui.
Même Hayao Miyazaki, le maître lui-même, a vu rouge. Le réalisateur de 84 ans, connu pour son opposition farouche à l’animation numérique, avait dès 2016 qualifié les créations par IA « d’insulte à la vie même » (euronews.com). Face à la résur gence de cette polémique, le studio Ghibli au Japon s’est refusé à tout commentaire. Mais nombreux sont ceux qui, comme Karla Ortiz, espèrent que Ghibli prendra des mesures pour défendre son œuvre. « J’espère qu’ils leur feront un procès d’enfer », a même lancé l’illustratrice sur les réseaux sociaux.
Il faut dire qu’un épisode a particulièrement choqué : l’utilisation du filtre Ghibli par la Maison-Blanche elle-même. Le gouvernement Trump (alors en place pendant la transition présidentielle) s’est fendu d’un tweet reprenant une photo d’arrestation d’immigration, transformée en scène façon Ghibli – une appropriation à des fins politiques que d’aucuns ont jugée de très mauvais goût.
Outre les droits d’auteur, le Ghibli Effect pose des questions de créativité et de reconnaissance artistique. Pour de nombreux artistes, voir une IA imiter à la perfection leur patte graphique est profondément perturbant. Non seulement l’IA puise son savoir-faire dans leurs œuvres sans crédit ni compensation, mais elle peut ensuite générer en quelques secondes des visuels proches de leurs créations originales.
Luiza Jarovsky résume le problème : OpenAI a montré que son modèle pouvait produire « des versions similaires d’œuvres protégées, mais avec juste assez de variations pour éviter la contrefaçon – ce qui est profondément injuste, quand on pense au temps et au talent nécessaires pour réaliser l’original ». Le Ghibli Effect a ainsi mis en lumière un sentiment de dépossession ressenti par les créateurs : si une machine peut reproduire leur style sur commande, quel avenir pour leur métier ? Cette angoisse touche aussi l’écriture, la musique, bref tous les domaines créatifs confrontés à l’IA générative.
À cela s’ajoutent des enjeux de transparence et de société. Le succès viral du Ghibli Effect s’est construit sur la participation massive des internautes – et donc sur la collecte tout aussi massive de données personnelles. Des milliers d’utilisateurs ont confié à ChatGPT leurs clichés intimes, parfois inédits en ligne, pour obtenir leur portrait en princesse Mononoké ou en héros de Totoro. En acceptant les conditions d’utilisation, ils ont sans le réaliser offert à OpenAI un trésor d’images authentiques pour affiner ses modèles. « Des milliers de personnes téléchargent volontairement leurs photos sur ChatGPT… OpenAI obtient ainsi gratuitement l’accès à des milliers de visages nouveaux pour entraîner ses IA », observe Luiza Jarovsky.
Habituellement, en Europe, la société devrait invoquer un « intérêt légitime » pour exploiter des photos glanées sur internet, ce qui impose un strict équilibre avec les droits des individus (RGPD, art. 6-1-f). Mais ici, c’est un consentement explicite (art. 6-1-a) que les utilisateurs fournissent en toute bonne foi, pensant juste s’amuser. L’astuce de communication d’OpenAI a donc habilement contourné les garde-fous habituels : en surfant sur un engouement viral, l’entreprise engrange de la data sans s’exposer aux mêmes limitations juridiques. Qui plus est, OpenAI est désormais la seule à détenir ces clichés originaux, là où les autres ne voient passer que la version ghiblifée postée en ligne.
Cela soulève des questions de confiance : les utilisateurs avaient-ils conscience de la valeur de ce qu’ils cédaient ? Savent-ils comment leurs images pourront être réutilisées à l’avenir ?
Enfin, impossible d’ignorer la question des biais algorithmiques dans ce débat. Certes, pour un filtre Ghibli appliqué à son chat, le problème semble anodin. Mais à grande échelle, les IA génératives peuvent véhiculer ou amplifier des stéréotypes. Des études ont montré que les modèles d’images sur-représentent souvent certains profils (ex. des hommes blancs) et invisibilisent ou sexualisent d’autres catégories. Des chercheurs de l’Université de Washington ont ainsi constaté que Stable Diffusion – un générateur d’images concurrent – avait tendance à produire majoritairement des hommes à peau claire pour représenter “une personne”, et à sexualiser l’apparence des femmes de certaines origines, tout en négligeant presque totalement les personnes autochtones.
Autrement dit, sans garde-fous, l’IA risque de refléter et d’amplifier les biais de la société dans ses créations visuelles. Dans le cas du Ghibli Effect, la question peut paraître moins saillante (puisque l’IA se cale sur un style existant). Mais le contexte plus large de l’IA générative – entraînée sur un corpus énorme du web, avec ses biais et ses angles morts – doit inciter à la prudence. Transparence des données d’entraînement, diversité des sources, modération des usages… autant de chantiers que cette polémique a remis sur le devant de la scène. « Ce phénomène viral constitue un moment décisif dans le débat sur le droit d’auteur lié à l’IA » insiste Luiza Jarovsky, qui parie sur une nouvelle vague de procès imminente suite.
Le Ghibli Effect intervient dans un contexte de bouleversement accéléré des usages de l’IA générative. En l’espace de deux ans, ces outils sont passés du statut de curiosité de laboratoire à celui d’atouts grand public intégrés dans de nombreux services. OpenAI, bien sûr, mène la danse : après ChatGPT pour le texte, l’ajout de l’image à son arsenal ouvre la voie à une suite créative complète. Malgré la controverse, l’entreprise ne compte pas battre en retraite – Sam Altman a indiqué que les limitations temporaires (comme le blocage de certains styles ou le quota d’images générées) ne sont que passagères, le temps d’éviter la surchauffe des serveurs.
L’engouement suscité par les images ChatGPT conforte OpenAI dans sa stratégie : le public en redemande. Il y a fort à parier que l’entreprise travaille déjà à des modèles encore plus puissants et polyvalents, tout en ajustant ses politiques pour calmer les critiques.
Face à OpenAI, la concurrence s’organise. Les autres géants de la tech avancent leurs pions, chacun avec sa philosophie. Google, par exemple, a choisi de jouer la carte de l’IA « plus éthique » : plutôt que de lancer son propre modèle d’images potentiellement entraîné sur des œuvres protégées, le groupe s’est allié à Adobe. Le générateur Firefly d’Adobe – entraîné uniquement sur des images libres de droits ou sous licence – est devenu le partenaire privilégié de Bard, le chatbot de Google, pour la création d’images . En intégrant Firefly, Google s’assure que les visuels produits par Bard reposent sur une base de données « propre » du point de vue du droit d’auteur, une manière de réduire les risques juridiques tout en profitant de la puissance de l’IA.
Adobe de son côté met en avant une approche responsable de l’IA : la société a conçu Firefly pour qu’il n’empiète pas sur la propriété intellectuelle d’artistes sans accord. « Nous avons entraîné Firefly sur Adobe Stock, des contenus sous licence ouverte et du domaine public, afin de générer des images utilisables commercialement sans enfreindre le droit d’auteur », explique la firme, qui s’engage par ailleurs à indemniser les créateurs en cas de problème.
Cette stratégie contraste avec celle d’OpenAI ou Stability AI (créateur de Stable Diffusion), qui ont alimenté leurs modèles avec le vaste corpus d’internet, quitte à y inclure des œuvres protégées sans le consentement des auteurs. Deux visions s’affrontent : l’une privilégie l’innovation rapide, quitte à tester les limites légales, l’autre mise sur une innovation plus encadrée, cherchant d’emblée l’aval des ayants droit.
D’autres acteurs proposent leur propre offre de génération d’images par IA. Midjourney, par exemple, continue d’évoluer en améliorant la qualité et le réalisme de ses rendus, fidélisant une vaste communauté d’utilisateurs sur Discord. Stability AI mise sur l’open source avec Stable Diffusion, permettant à chacun d’expérimenter (ce qui n’est pas sans poser des soucis de contrôle des usages).
Anthropic et son assistant Claude, ou encore xAI (la startup d’Elon Musk, avec son chatbot Grok), se lancent eux aussi dans la course – signe que la génération d’images et de contenus créatifs est désormais un champ de bataille majeur de l’IA. Parallèlement, les outils destinés aux professionnels de la création intègrent ces avancées : Adobe a implémenté les fonctions de Firefly dans Photoshop et Illustrator, Microsoft offre Designer et intègre DALL·E dans ses applications, Canva propose des fonctionnalités similaires… Jamais l’offre n’a été aussi foisonnante pour qui veut créer textes et visuels via l’IA.
Cette profusion s’accompagne néanmoins d’une vive tension entre innovation et régulation. Les cas d’usage explosent plus vite que le cadre légal ne s’adapte, et les frictions avec les ayants droit se multiplient. L’exemple emblématique est sans doute le bras de fer entre OpenAI et le New York Times. Le prestigieux quotidien, suivi par d’autres grands journaux, a engagé des poursuites contre OpenAI (et son partenaire Microsoft) pour usage illégal de ses articles dans l’entraînement de ChatGPT.
En clair, le Times accuse l’éditeur d’IA d’avoir « volé » des millions de ses textes – un patrimoine d’une valeur inestimable – pour entraîner son modèle, sapant ainsi le modèle économique de la press OpenAI se défend en affirmant utiliser des données publiquement accessibles en s’appuyant sur le « fair use », c’est-à-dire l’usage raisonnable d’extraits à des fins d’innovation . Le litige est en cours, un juge ayant récemment estimé que les arguments des éditeurs étaient suffisamment sérieux pour être examinés par un jury..
L’issue de ce procès sera déterminante : elle pourrait fixer les limites de ce que les IA ont le droit d’apprendre ou non à partir des œuvres existantes.
Dans le domaine de l’édition littéraire également, l’alarme a sonné. Des associations d’auteurs (Authors Guild aux États-Unis, par exemple) intentent des actions similaires, inquiets de voir leurs romans ou articles aspirés par des IA sans rétribution. La tension entre innovation technologique et protection du droit d’auteur atteint ainsi son paroxysme. D’un côté, les partisans de l’IA plaident que l’entraînement sur de larges corpus est indispensable pour améliorer les modèles et générer des contenus utiles – quitte à compenser ensuite les créateurs d’une manière ou d’une autre.
De l’autre, les créateurs rappellent que sans un juste retour (licences, rémunération, respect de la paternité), c’est toute l’économie de la création qui est menacée par une automatisation sauvage. Entre ces deux mondes, des ponts commencent à se construire : certains médias ou agences préfèrent négocier avec les entreprises d’IA plutôt que de les combattre. L’agence Associated Press, par exemple, a conclu un accord de licence donnant à OpenAI accès à une partie de ses archives textuelles.
De même, des banques d’images travaillent sur des partenariats pour fournir des contenus propres aux IA moyennant rémunération. Ces initiatives restent minoritaires, mais elles dessinent une voie possible vers un modèle plus vertueux, où IA et ayants droit coexistent de manière bénéfique.
Le phénomène du Ghibli Effect, aussi anecdotique puisse-t-il paraître avec ses chats et ses mèmes façon Totoro, aura eu le mérite de cristalliser ces enjeux aux yeux du grand public. Derrière la magie technologique se jouent des débats fondamentaux sur l’avenir de la créativité, la propriété des œuvres à l’ère numérique, la transparence des algorithmes et le respect de la vie privée. En quelques images virales, la discussion autour de l’IA générative est sortie du cercle des spécialistes pour investir la sphère culturelle et médiatique.
À LIRE - Meta fait n'importe quoi ? Éditeurs et auteurs français saisissent la justice
Désormais, éditeurs, artistes, juristes et citoyens sont alertés : l’intelligence artificielle peut être un formidable outil d’expression, capable de peindre nos rêves à la manière des plus grands, mais elle peut tout aussi bien devenir un instrument de détournement massif des créations humaines. Trouver le juste équilibre – encourager l’innovation sans sacrifier les droits des créateurs – s’annonce comme l’un des grands défis de ces prochaines années. Et il se pourrait bien qu’on se souvienne du Ghibli Effect comme du point de bascule où ces questions, longtemps latentes, ont éclaté au grand jour.
En réponse aux préoccupations éthiques et juridiques concernant les droits d’auteur et l’intégrité artistique, OpenAI a finalement restreint la génération d’images. Hayao Miyazaki, cofondateur de Studio Ghibli, a exprimé une forte désapprobation envers l’art généré par l’IA, qualifiant cette technologie d’« insulte à la vie elle-même ».
En réponse à ces critiques, OpenAI empêchera la génération d’images dans le style d’artistes vivants, tout en autorisant les styles de studios plus larges.
Crédits illlustration : ChatGPT - Ghibli effect
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
11 Commentaires
Jean-no
31/03/2025 à 11:06
Je n'ai pas pu résister à demander à chatGPT de reprendre ma photo à la manière d'un dessin de Yoshifumi Kondō : qui ne veut pas vivre dans un film du studio Ghibli ? Tout fier, je l'ai posté à droite et à gauche.
Je dois dire que les réactions ont été négatives à un degré assez inattendu, et je constate qu'il se passe une chose, je fais le pari qu'un autre « à la manière de... » (Dali, Matt Groening, whatever) n'aurait pas provoqué les mêmes réactions. Il y a bien sûr la citation « une insulte à la vie elle-même », qui est un peu détournée de son contexte car la vidéo où Miyazaki dit ça ne parle pas de l'IA mais d'une création recourant à de l'IA (et pas de l'IA générative à la sauce actuelle) pour faire se déplacer un personnage en 3D, lequel se meut d'une manière qui rappelle à Miyazaki un ami à lui, lourdement handicapé. On m'a aussi objecté tout un tas de questions concernant le désastre écologique que représente indubitablement l'IA (même si les articles qui en parlent intègrent le coût énergétique de la création du modèle dans le coût énergétique de chaque requête, ce qui n'est pas absurde — sans le modèle il n'y aurait pas de requêtes — mais pas tout à fait juste, car à chaque nouvelle requête le coût baisse : on peut dire que rouler un kilomètre sur une autoroute coûte 6 000 000,80 euro (6 millions en bitume + 0,80 euros en essence) mais plus il y a de voitures qui passent et plus ce coût total baisse (ceci dit le coût du "token" en IA générative n'est pas anecdotique, surtout multiplié par le nombre de gens qui jouent avec ces outils).
On m'a parlé aussi de la question du pillage des droits d'auteur, qui n'est pas une mince affaire, et que les IA génératives vont peut-être faire évoluer vers une nouvelle forme juridique, car à ce jour, dessiner "à la manière de" n'est pas interdit, s'inspirer, pasticher, n'est pas interdit. À ce jour, le "style" n'est pas protégé par la loi, si ce n'est lorsqu'on peut démontrer le parasitisme commercial ou bien sûr la contrefaçon (reprendre une image existante). Et si on peut pointer le fait qu'OpenAI ait clairement nourri son modèle avec des œuvres issues du studio Ghibli, on peut aussi dire que chaque artiste est lui-même nourri des œuvres qu'il a vues ("All Creative Work Is Derivative", démontrait une célèbre vidéo). Il est vrai que si les datasets qui ont servi à créer le modèle de génération d'images sont complètement opaques y compris pour ceux qui les font (pour regarder chacune des 5 milliards d'images du célèbre dataset LAION5 il faudrait, à la cadence de une image seconde, y passer... cent cinquante ans), OpenAI semble avoir sciemment réalisé un entraînement spécifique pour produire du faux Ghibli, et c'est très douteux, aussi douteux que l'emploi contre son gré de la voix de Scarlett Johansson il y a quelques mois.
Et puis est-ce que le modèle "imagine" ou se contente de faire des collages avec les éléments dont il dispose ?
On m'a parlé de la valorisation d'OpenAI, cent-cinquante milliards, qui en font un "méchant" automatique. Sur ce point, je note juste que, comme pour beaucoup de business d'Elon Musk d'ailleurs, il ne s'agit pas tant de véritable argent que d'une fuite en avant : produire, annoncer, faire du buzz chaque jour pour financer artificiellement un domaine qui est loin d'être rentable et qui ne le sera peut-être jamais. Bon, on peut me reprocher de cautionner ce business malsain, certes.
Un autre reproche concerne le contre-sens : Miyazaki, c'est la nature, la beauté, un univers fort, et voilà qu'on utilise une technologie énergivore qui permet d'appliquer un style graphique aux images les plus triviales, et qui permet à la Maison Blanche de poster une image odieuse pour se moquer d'une sud-américaine ramenée à la frontière.
J'imagine que c'est ce dernier point qui touche la corde la plus sensible, aggravé par le fait que, objectivement, ce "filtre Ghibli" fonctionne assez bien — enfin comme toutes les images générées de ce genre, fonctionne assez bien dans une petite résolution, sur un écran.
Quoi qu'il en soit, je trouve que cette affaire produit un moment très intéressant dans le débat sur les IAs génératives.
Smooth rodeo in the grass
01/04/2025 à 00:07
Beaucoup d'articles sur l'IA (trop ?) abordent la question à la façon dont on peint la mer : en insistant sur l'écume.
Ici un style, là un droit, ailleurs de l'énergie.
Je pense à nos ancêtres du début du 20ème qui ont vu arriver l'automobile.
Qu'ont-ils vu ? Le danger, la faillite des cochers ?
Je sais ce qu'ils n'ont pas vu. La liberté, les loisirs, les vies sauvées...
Que ne voyons-nous pas aujourd'hui avec l'IA ? La fin du cancer, la découverte d'une nouvelle énergie ?
Lu
01/04/2025 à 09:27
On parle d’IA générative là, elle ne va jamais apporter une solution au cancer, soyez réaliste. Je suis très fortement contre l’art généré par IA, pour les droits d’auteurs certes, mais aussi parce qu’à quel moment on peut appeler ça de l’art ? Une œuvre de l’esprit doit porter la patte de l’auteur pour être reconnue comme telle, or l’art généré par ia ne fait que recracher des morceaux d’images réassemblés comme un puzzle et adaptés à la situation demandée. Où est la patte de l’auteur ? On ne peut pas dire qu’elle est dans le prompt écrit. Si je vais voir un artiste et que je le paye en lui donnant quelques consignes pour réaliser l’image que je souhaite, ce n’est pas moi l’artiste, ce n’est pas ma patte qui sera dans l’œuvre finale. J’ai juste orienté le travail de l’artiste véritable. De nombreux artistes voient leur métier menacé par quelque chose qui n’est même pas de l’art, tout ça parce que les gens ne savent plus ce que c’est, n’en reconnaissent plus la valeur. Personnellement je trouve tout ça très triste pour l’avenir de l’humanité. Je peux comprendre l’usage de l’ia générative dans d’autres domaines, c’est certes très pratique parfois, mais dans l’art ? C’est un contresens absolu.
Smooth rodeo in the grass
01/04/2025 à 12:10
Vous me faites penser à un gus qui serait pour la liberté du commerce... pour les boulangers et les bouchers, mais pas pour les poissonniers !
Pour votre info, un petit extrait de wiki :
"Ces IA ont un très large spectre d'applications potentielles dans des domaines créatifs (arts plastiques, cinéma, musique, écriture, design, météo, architecture...), mais aussi dans les secteurs de la santé, de la finance, des jeux vidéo et des simulateurs, dans tous les domaines des sciences et techniques, des sciences sociales, de l'industrie et de la connaissance. Elles ont récemment permis un bond en avant en biologie moléculaire et en compréhension de phénomènes physiques complexes."
Jean-no
01/04/2025 à 17:01
Faire une œuvre à partir du style de x ou y n'est pas de l'art, mais la création par des gens qui entraînent intelligemment Stable Diffusion, c'est tout à fait possible et c'est bien de l'art. Le troisième atlas d'Eric Tabuchi, le boulot de Grégory Chatonsky, de Philippe Boisnard, ou encore les gens qui travaillent sur les biais, comme Albertine Meunier, ou comme le duo Wagon/Degoutin,... Tout ça produit des formes neuves, on peut absolument parler de création.
Dave
02/04/2025 à 13:15
Bien-sûr, et la marmotte, le papier d'alu tout ça tout ça...
Jean-no
02/04/2025 à 20:23
Que vous dire... Renseignez-vous !
merxx rue des dames
02/04/2025 à 18:12
"qui ne veut pas vivre dans un film du studio Ghibli ?"
Absolument personne cher ami, à part Attal, les snobs et les gagas, bon courage à vous...
Jean-no
03/04/2025 à 13:37
Si une fée vous propose demain de vivre dans l'Univers de votre choix, vous préférerez "Idiocracy" (pas très exotique, on est dedans), "Alien vs Predator" ou "Kiki's delivery service" ?
Personnellement c'est vite vu ;-)
merxx rue des dames
04/04/2025 à 11:14
Oui, j'avoue, ça demande réflexion... on est surtout dans un putain bouquin de K Dick agrémenté de Ballard, schizoïde à souhait...
Aurélien Terrassier
08/04/2025 à 11:34
Tout mon soutien va à Hayao Miyazaki face à cet énième délire de l'IA en espérant qu'il y ait un procès d'enfer pour reprendre les mots d'une illustratrice sur les réseaux sociaux.