La situation actuelle au Soudan est marquée par une crise humanitaire catastrophique, avec près de 18 millions de personnes confrontées à une faim aiguë. Le conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, qui dure depuis avril 2023, a entraîné des déplacements massifs de population, avec plus de 9 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays.
La guerre civile au Soudan se poursuit à travers tout le pays, marquée par des massacres de masse, l’utilisation de la famine comme arme et l’entrave à l’aide humanitaire. Au cours des deux derniers jours, l’armée soudanaise a mené quatre frappes aériennes sur un marché très fréquenté dans la région de Turra, au nord du Darfour, provoquant la mort de centaines de civils et la carbonisation de nombreux corps. Les médias ont diffusé des images effroyables de ce dernier massacre dans cette « guerre oubliée ». Dans ce conflit qui prend une nouvelle ampleur, ceux qui expriment leurs idées – par l’écrit, à travers leurs ouvrages ou oralement – se trouvent en grand danger.
Or, la catastrophe humanitaire provoquée par l’armée ébranle tout autant la vie intellectuelle du pays : écrivains et journalistes en subissent durement les conséquences. Dans ce contexte de guerre, les activités intellectuelles et culturelles sont presque complètement interrompues. De nombreux journaux et médias indépendants ont été contraints de fermer sous la pression, tandis que les écrivains, penseurs et journalistes ont dû quitter le pays ou poursuivre leurs travaux sous le joug d’interdictions. L’ombre noire de la guerre obscurcit de plus en plus la richesse intellectuelle du Soudan.
Depuis la mi-avril 2023, la poursuite des hostilités n’a pas seulement aggravé la crise humanitaire : elle a également porté un coup sévère à la liberté de pensée au Soudan. L’armée soudanaise et les groupes islamistes radicaux qui la soutiennent ont rejeté toutes les propositions de négociations initiées aux niveaux international, régional et local, parmi lesquelles figuraient la Plateforme de Djeddah sous l’égide de l’Arabie saoudite et des États-Unis, les pourparlers de Genève et de Manama, ainsi que les appels des forces politiques civiles menées par l’ancien Premier ministre, le Dr Abdallah Hamdok.
L’attitude intransigeante de l’armée découle de son désir de contrôler seule la scène politique et intellectuelle du pays. Ignorant la menace existentielle à laquelle fait face un Soudan en proie à la destruction et à la division, l’armée affaiblit fortement la liberté de la presse. Les événements culturels, les foires du livre, les rencontres littéraires, les activités journalistiques et la recherche universitaire ont presque entièrement cessé.
Selon les Nations Unies, près de 30 millions de Soudanais ont besoin d’aide en raison de la prolongation des combats, et la famine sévit dans tout le pays. L’intensification des migrations contraint par ailleurs de nombreux intellectuels et penseurs à fuir à l’étranger. Le contexte de crise économique et la menace sécuritaire sont devenus l’un des principaux freins à la liberté de penser.
En alimentant les combats, l’armée soudanaise a fait de l’intelligentsia soudanaise – déjà durement éprouvée – une cible privilégiée. Le 13 mars dernier, la directrice exécutive de l’UNICEF, Catherine Russell, indiquait que plus de 30 millions de Soudanais ont besoin d’aide, dont 16 millions d’enfants. On estime qu’environ 1,3 million d’enfants vivent dans des zones affectées par la famine et que plus de 770 000 d’entre eux souffriront d’une malnutrition aiguë sévère.
Combiné aux attaques visant les écrivains et intellectuels qui critiquent la guerre et appellent à la paix, ce sombre constat se transforme en un véritable « massacre intellectuel », menaçant l’avenir du pays. Les recherches montrent que plus de 14 millions de personnes ont été déplacées, 3,3 millions ont trouvé refuge dans des pays voisins et au moins 20 000 civils ont péri. Des journalistes, artistes et universitaires sont eux aussi contraints à l’exil, et le pays doit faire face à une fuite des cerveaux grandissante.
Dans un contexte où la majorité des ressources, déjà limitées, est consacrée à la guerre, les universités et centres de recherche sont obligés de fermer leurs portes ou de réduire sensiblement leurs activités, ce qui entrave gravement la production intellectuelle.
Non seulement l’armée et son commandant, Abdel Fattah al-Burhan, rejettent les propositions de règlement pacifique, mais ils bloquent également, de manière systématique, l’ouverture de corridors d’assistance humanitaire dans des régions cruciales comme Khartoum, le Darfour et le Kordofan. Priver la population civile de nourriture et de produits essentiels rend notamment impossible le travail des journalistes et écrivains. Beaucoup de journalistes qui souhaitent relater les souffrances de la population civile subissent des menaces, la censure ou redoutent d’être incarcérés.
Dans la région du Darfour également, l’armée soudanaise applique une politique similaire : elle a fermé le passage d’Adré, à la frontière du Tchad, limitant ainsi l’aide humanitaire destinée aux camps de réfugiés où le nombre de personnes confrontées à la famine s’accroît de jour en jour. Sous la pression internationale, l’armée n’a autorisé le passage de l’aide que pour une durée de trois mois, renouvelée à contrecœur.
Un récent article du « New York Times » révèle que l’armée a empêché l’acheminement d’une énorme quantité de matériel d’aide humanitaire via un point frontalier essentiel. Les ONG estiment que ces fournitures sont indispensables pour éviter des milliers de décès et dénoncent un blocus qui expose au moins 2,5 millions de Soudanais à la menace de la faim.
Outre l’usage de l’arme de la faim, l’armée continue de perpétrer des arrestations arbitraires, des pillages et des frappes aériennes contre les civils. Lundi dernier, le bombardement d’un marché très fréquenté dans la région de Turra, au nord-ouest du Darfour, a causé des centaines de morts et de blessés. Selon le « New York Times », cette attaque n’est que le dernier épisode d’une longue série d’atrocités dans cette région. Des vidéos montrent que plusieurs bombes ont touché simultanément différents points du marché. D’après les témoignages, un missile s’est abattu au centre et trois autres sur les abords, semant la panique parmi la population.
Selon l’analyse du journal américain, l’armée soudanaise vise souvent les secteurs contrôlés par les Forces de soutien rapide, poursuivant des attaques qui causent la mort de nombreux civils innocents. Dans le même temps, les journalistes de différentes villes du pays qui enquêtent sur ces massacres sont la cible de poursuites. Les lourdes contraintes bureaucratiques et la censure omniprésente compliquent la divulgation des faits au grand public. Plusieurs journalistes et auteurs ont dû se cacher, tandis que d’autres ont cherché refuge dans les pays voisins, faute de garanties de sécurité.
Dans les monts Nuba, au Kordofan du Sud, et dans les quartiers sud-est de Khartoum, sous le contrôle des Forces de soutien rapide, l’armée a mis en place des représailles collectives. En refusant les appels internationaux et régionaux à l’aide, elle a condamné des milliers de civils à la famine. En deux ans, seul un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU a pu accéder à ces zones.
Parallèlement, les affrontements ont plongé dans l’impasse les négociations avec les mouvements armés qui luttent depuis plusieurs années. L’armée avait promis de laisser passer l’aide humanitaire en échange de l’autorisation de transporter des armes et du matériel militaire, mais dans la pratique, ces promesses n’ont pas été tenues. Les journalistes indépendants qui tentent d’enquêter sur les coulisses de ces pourparlers se heurtent fréquemment à des menaces ou à des arrestations.
Dans la région occidentale du Darfour, la famine a été déclarée au camp de réfugiés de Zemzem. Des experts des Nations Unies soulignent que d’autres camps de la région encourent le même risque. Cette situation fait écho aux constats des organisations humanitaires et de l’initiative de Classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC) de l’ONU, dont le rapport de juin indiquait qu’environ la moitié de la population est confrontée à une faim sévère et que 14 régions sont menacées de famine.
Fin février, trois sœurs du camp de réfugiés de Likaavate, à l’est du Darfour, sont décédées après avoir été intoxiquées par des restes de nourriture recueillis dans une décharge. Les médias soudanais affirment que cette tragédie illustre directement les conséquences de la politique de blocage de l’aide alimentaire imposée par l’armée. Les mêmes méthodes servent aussi à étouffer les médias qui tentent de porter ce drame humain à la connaissance du public.
L’« arme de la faim » et la violence contre les civils employées par l’armée soudanaise ont déclenché l’une des plus graves crises humanitaires mondiales et commencé à détruire la vie intellectuelle du pays. Les journalistes et écrivains qui plaident pour la paix, qui informent la population et qui mènent des recherches pour proposer des solutions se heurtent à la censure et à la violence.
Alors que le Soudan compte désormais plus de 30 millions de personnes ayant besoin d’aide, la population civile et les élites intellectuelles vivent sous la menace constante de la mort, de la faim et de la peur imposée par l’armée. Cette situation menace non seulement les générations actuelles, mais aussi la vie culturelle et intellectuelle des générations futures.
Il semble que le Soudan ne puisse préserver sa richesse culturelle et son patrimoine intellectuel qu’en mettant fin au conflit et en ouvrant la voie à une résolution pacifique. Dans le cas contraire, la destruction engendrée par la guerre emportera avec elle toutes les valeurs du pays et ses esprits les plus brillants.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Auteur invité
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