Du 23 mai 2025 au 8 mars 2026, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, installée à Angoulême, consacrera une rétrospective d’envergure à Claire Bretécher (1940–2020), rendant hommage à cette figure incontournable de la bande dessinée française. L’exposition retracera le parcours de l’autrice tout en explorant les thématiques majeures qui traversent son œuvre.
Le 25/03/2025 à 14:39 par Hocine Bouhadjera
3 Réactions | 275 Partages
Publié le :
25/03/2025 à 14:39
3
Commentaires
275
Partages
La place occupée par Claire Bretécher dans la culture française contemporaine est si singulière qu’elle marque une véritable césure : il y a un avant et un après Bretécher. Son travail constitue un tournant historique pour le 9e art, à plusieurs titres.
D’une part, parce qu’il accompagne — voire devance — les mutations sociales et les transformations des mentalités entre les années 1960 et 1990 ; d’autre part, parce que l’autrice a participé, de 1973 à 1981, à l’inscription de la bande dessinée dans l’espace intellectuel français, en la plaçant au cœur d’un hebdomadaire de référence : Le Nouvel Observateur.
Sur plus de trente années de création, l’exposition mettra en lumière la manière dont Claire Bretécher s’est imposée dans un milieu encore largement masculin. D’abord signée « Claire Bretécher », elle devient rapidement une figure populaire incontournable sous le seul nom de Bretécher. Son influence s’est révélée décisive : elle a ouvert la voie à de nombreuses autrices et contraint, lentement mais sûrement, l’univers de la bande dessinée à intégrer de nouvelles représentations, notamment féminines.
Sa puissance comique, mordante mais jamais cruelle, l’inscrit dans la lignée des grands noms de la comédie de mœurs, aux côtés de Molière, La Fontaine ou La Bruyère. Bien avant la parution de ses albums, les lecteurs et lectrices de Pilote, puis du Nouvel Observateur, ont tissé un lien fort avec ses personnages, tout autant qu’avec l’autrice elle-même.
Ses œuvres majeures — Cellulite, Salades de saison, Les Frustrés, Les Mères, Une saga génétique, Agrippine — sont aujourd’hui pleinement intégrées au patrimoine culturel. Ses héroïnes, tout comme les personnages caustiques des Frustrés, sont devenus des icônes de la culture populaire, en France comme en Europe.
Intitulée Signé Bretécher, l’exposition réunira plus de 200 œuvres : planches originales, illustrations, peintures, ainsi qu’un ensemble riche d’archives imprimées (affiches, périodiques, albums) et audiovisuelles (extraits de documentaires, entretiens). Le parcours scénographique s’articule en cinq sections, mêlant approche chronologique et thématique.
Par ailleurs, tout au long de l’exposition, seront présentés les dessins hommages réalisés par une génération d’auteur·rices contemporains, parmi lesquels : Louise Angelergues, Nine Antico, Félix Auvard, Camille Besse, Tiphaine de Cointet, Clothilde Delacroix, Florence Dupré La Tour, Terreur Graphique, Magali Le Huche, Lisa Mandel, Aude Picault, Émilie Plateau, Maëlle Réat, Anne Simon, Thibaut Soulcié, Zoé Thouron et Lewis Trondheim.
Anne Hélène Hoog et Michel Lieuré assurent le commissariat de cette exposition événement, conçue pour faire (re)découvrir la richesse d’une œuvre qui a transformé à jamais le regard porté sur la bande dessinée.
Issue d’une famille de la petite bourgeoisie catholique nantaise, Claire Bretécher effectue l’ensemble de sa scolarité dans une institution catholique avant d’intégrer l’École des Beaux-Arts de Nantes. Passionnée de dessin depuis l’âge de cinq ans, elle se plonge dans les bandes dessinées et remplit des cahiers de récits illustrés. Déterminée à vivre de son art, elle s’installe à Paris en 1959, enseigne brièvement le dessin, puis réussit à publier ses premières illustrations dans des hebdomadaires jeunesse du groupe Bayard, tels que Le Pèlerin et Record.
Elle collabore alors ponctuellement avec Nikita Mandryka, Marcel Gotlib et René Goscinny, auteurs déjà établis dans Record. Elle signe aussi des illustrations pour Tintin et Spirou. C’est dans ce dernier qu’elle a enfin l’opportunité de publier une bande dessinée complète, Des navets dans le cosmos, en septembre 1967, suivie de la série humoristique Les Gnangnans (de décembre 1967 à septembre 1970).
D’autres récits complets publiés entre 1968 et 1971 révèlent son talent certain pour la narration et les dialogues comiques : Le Mille-pattes n’a pas de cœur, Les Naufragés (avec Raoul Cauvin), Robin des Foies. Parallèlement, elle propose la série Baratine et Molgaga dans Record de 1968 à 1970.
C’est avec une histoire en cinq pages au titre provocateur, Salade pour Cellulite, que Claire Bretécher rejoint l’équipe du journal Pilote (n° 502, 19 juin 1969). Le personnage de Cellulite devient rapidement populaire, en particulier auprès des lectrices, et reste une figure récurrente du magazine jusqu’en 1977. Elle collabore également avec Hubuc (pseudonyme de Roger Copuse) pour la série Tulipe et Minibus en 1970.
Bien que ses bandes dessinées lui vaudront d’être associée au féminisme, l’autrice reste toujours à distance des discours militants, évitant les revendications du M.L.F. ou des gauches post-1968. À travers la rubrique « Actualités » de Pilote, elle amorce ce qui deviendra la série Salades de saison (1971–1974), une chronique grinçante des travers, discours et contradictions de la bourgeoisie intellectuelle, qu’elle soit de droite ou de gauche.
En 1972, à l’initiative de Nikita Mandryka, elle cofonde avec Gotlib le mensuel satirique pour adultes L’Écho des savanes, dont le premier numéro paraît le 1er mai 1972. La couverture, signée Bretécher, frappe les esprits. Elle y publie des récits au ton libre et acide, à la forme plus souple que dans Pilote. La Vie sans motif de Meredith Blanchard, dans ce numéro inaugural, confirme l’émergence d’un style satirique à la fois graphique et intellectuel.
Sollicitée par d’autres publications illustrées, y compris en dehors de la presse BD, elle quitte L’Écho des savanes après le dixième numéro (1er décembre 1974), dans lequel elle signe Chandelle, une ultime histoire en huit pages.
En 1973, Claire Bretécher crée Les Amours écologiques du Bolot occidental pour l’hebdomadaire écologique Le Sauvage. La même année, elle succède à Copi dans Le Nouvel Observateur, en signant chaque semaine une planche dans la rubrique « La page des Frustrés », qu’elle animera jusqu’en 1981.
Dès 1975, inspirée par l’expérience de L’Écho des savanes et le modèle de Fluide Glacial, Bretécher se lance dans l’autoédition, se détachant du circuit éditorial traditionnel. Propriétaire des droits de ses BD publiées dans Le Nouvel Observateur, elle crée un précédent majeur dans l’histoire de la bande dessinée en devenant l’éditrice de ses propres albums. Ce choix audacieux lui garantit également des revenus importants, tant en France qu’à l’étranger.
Son premier album autoédité, Les Frustrés, paraît en 1975. Il est suivi du Cordon infernal (1976), Les Amours écologiques du Bolot occidental (1977), Les Mères (1982), Le Destin de Monique (1983), Docteur Ventouse, bobologue (tome 1 en 1985, tome 2 en 1986), Agrippine (1988), puis cinq autres tomes jusqu’en 2001, Tourista (1989) et Mouler, démouler (1996).
Avec Les Frustrés, elle dresse un portrait acéré des paradoxes des anciens soixante-huitards devenus « bobos ». Agrippine, de son côté, séduit un lectorat intergénérationnel en mettant en scène les affres adolescentes et les tensions familiales, alors au cœur des préoccupations sociologiques post-Mai 68.
Chez Claire Bretécher, le couple, la famille, les amis forment les piliers d’une comédie de mœurs qu’elle réinvente. Elle en propose une vision originale, parfois grinçante, toujours novatrice. Ses personnages féminins, à l’apparence souvent exagérément défraîchie, fripée ou grotesque, traduisent les injonctions esthétiques et sociales pesant sur les femmes.
Son goût du nonsense et de l’absurde irrigue toutes ses situations. Tout se joue dans les dialogues et les scènes, où le trait devient geste théâtral. Ses planches, à la manière de didascalies, révèlent l’influence de Jules Feiffer et Copi, eux-mêmes dessinateurs et auteurs dramatiques. Ses titres, les noms de ses personnages, leur langage, sont empreints d’un humour qui doit beaucoup à Pierre Dac et René Goscinny.
En 1975, Bretécher fait même une incursion au théâtre avec Frissons sur le secteur ou Les Amours d’une aubergine, une pièce inspirée des Frustrés, mise en scène et jouée par la troupe du Théâtre du Splendid (dont Dominique Lavanant), d’abord au Bec Fin (1975-1976), puis au Splendid. Par ailleurs, certains extraits d’Agrippine et des Frustrés seront adaptés en sketchs radiophoniques pour France Culture, ou en courts films d’animation.
Les Frustrés et Agrippine ont valu à Claire Bretécher une reconnaissance simultanée du grand public et des milieux intellectuels. En 1975, elle devient la deuxième autrice primée au Salon de la bande dessinée d’Angoulême, recevant le « Prix du scénariste français de bande dessinée ». En 1982, elle est la première femme à recevoir le « Prix spécial 10e anniversaire » du festival.
Son œuvre s’exporte rapidement : les traductions en allemand, anglais, espagnol lui assurent une notoriété internationale. En 1987, elle devient la première autrice à recevoir en Suède le prestigieux prix Adamson du meilleur auteur international, saluant l’ensemble de son œuvre.
Crédits photo : Cité internationale de la bande dessinée et de l’image - Musée de la bande dessinée
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
3 Commentaires
Marie
26/03/2025 à 07:24
Excellent article 👏
Marie
26/03/2025 à 08:34
Claire Bretécher n'a jamais été égalée en tant que "Bédéïste" et caricaturiste, et j'enrage d'habiter trop loin pour bénéficier de l'expo. Ses Frustrés sont loin d'en être, et les déboires de Cellulite ne font qu'étaler une idée certaine de la vie...Surtout surtout, elle était farouchement opposée à toute étiquette récupératrice et revendiquait au fond (il en est bien d'autres) le droit à la différence bien éloigné de l'"égalité".
FredEx
28/03/2025 à 10:02
Le meilleur ECRIVAIN français de ces années là.