Romain Potocki : “J’ai écrit ce livre par nécessité.”
Alors que son roman Le Jardin dans le ciel vient de paraître aux éditions Albin Michel, l'écrivain photographe et grand reporter Romain Potocki se confie sur ce qui a présidé à l'écriture de son premier roman, publié douze ans après L'homme itinérant, un recueil de récits de voyages.
Le 22/03/2025 à 09:08 par Auteur invité
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Publié le :
22/03/2025 à 09:08
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« Singulière idée que d’écrire pour ceux qui dédaignent l’écriture »
Georges Bernanos, Les Grands cimetières sous la lune
J’ai écrit Le jardin dans le ciel pour tous les garçons et les filles de dix-sept ans qui pensent que les livres, c’est pas pour eux.
Et que la vie qu’ils ouvrent, ces livres, cette vie seule capable d’apaiser la soif de sens, de large ou d’amitié qui peut animer quelqu’un seulement quand il a dix-sept ans, c’est pas pour eux non plus.
« Si seulement ils savaient… » me suis-je si souvent dit, moi à qui des femmes lumineuses ont donné le goût de lire dès le plus jeune âge.
J’ai écrit ce livre par nécessité : vingt ans durant il a grandi dans mon cœur, pas à pas, et presque chaque jour il m’a parlé. Je n’ai pas eu d’autre choix que de le déposer sur le papier. Ce n’est pas moi qui l’ai voulu, c’est lui qui me l’a ordonné.
Les personnages, comme il est bon de le rappeler, et c’est là le sel du roman, sont tous ici imaginaires.
Mais la librairie qui sert de cadre au livre, elle, a bien existé. Baroque et folle, bien plus que je ne saurais l’écrire. Pleine de recoins et de cachettes, comme une île au trésor dans la ville morte. Pleine de voix et de souffles, pleine d’amis, d’aventures, de drames et de folies. Avec à la barre, une femme unique et gentiment déjantée.
Dans ce chaos burlesque qu’elle orchestrait chaque jour, elle m’a fait la grâce de m’inviter, et de me faire sentir à la maison, chez moi de plein droit. Avec un cadeau incroyable pour l’aspirant lecteur fauché que j’étais : avoir la permission de me servir gratuitement en livres de poésie !
Ils étaient là-haut, tout en haut de la grande échelle, dans une vieille édition colorée tout juste bonne à prendre la poussière, à des hauteurs où personne n’osait plus se risquer.
Le samedi matin, quand on était seuls à prendre le café et les croissants au milieu de ses livres en fatras, elle me laissait me servir gratuitement, comme un prince. Et goûter à même l’échelle, comme un fruit bien mûr attrapé sur l’arbre, aux mots de Rimbaud, de Jaccottet, de Dickinson, de Hikmet ou de Daumal.
Des gars et des filles capables de réaligner le blanc d’une seule ligne, de claquer la réalité par la grâce de quelques vers, bref, de me dire des mots que je ne comprenais pas toujours, mais dont j’avais soudain besoin, un besoin vital.
J’ai écrit Le jardin dans le ciel pour lui dire merci, à elle et à tous les libraires qui ont suivi, et qui sont devenus mes amis. Merci pour tous les voyages, merci pour tout ce qui s’est passé « à bord » et pour tout ce qui s’est passé ensuite, grâce à vous, dans ma vie.
Il n’empêche : dire merci n’est pas un motif suffisant pour affronter vingt ans de travail. Si j’ai tenu si longtemps, c’est que ce roman est toujours resté en moi comme un dû à tous les enfants de dix-sept ans qui se sentent seuls, et ne trouvent pas à qui parler, ni comment — et qui savent bien que les « grandes personnes » ne se racontent que de petites choses.
Rage de leur dire, rage de leur faire savoir qu’il est des mots qui sauvent, des mots essentiels, et qu’il y en a pour tous ! Et qu’il est des conteurs, et des personnages, sur qui on peut compter bien plus fort que le plus proche, et le plus cher des frères.
Alors en ce jour de naissance de mon roman, je vous le dédie à vous, les garçons et les filles de dix-sept ans qui n’ont jamais lu. Et sur le seuil de ce livre, je vous dis :
« Bienvenue dans votre librairie »
Prenez vos aises. Prenez votre temps. Puisse-t-elle s’ouvrir à vous comme la mienne à l’époque — et vous sauver, comme à moi, sinon la vie, du moins l’âme, et le cœur, et les ailes.
Romain Potocki
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
Le jardin dans le ciel
Paru le 19/03/2025
439 pages
Albin Michel
21,90 €
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2 Commentaires
Diane Fryscher
23/03/2025 à 15:37
Joli renvoi de balle aux libraires, un livre pour les jeunes rêveurs de nos cités qui oublient souvent de regarder le ciel !
Pourtant, certains jours de beau temps, la rencontre est au coin de la rue...
Cheveux d'argent
12/04/2025 à 13:55
Librairie, un mot qui a lui seul contient tout ce qui a une importance folle dans ma vie: -plonger dans des univers, familiers ou pas ; respirer même quand l'atmosphère est viciée (qu'elle soit au-dehors ou au dedans de moi, dans un lieu, au milieu d'un groupe, imposée par le côté sombre de la vie en général...) ;
-entrer en relation avec les autres, partager, échanger, être reliée à la nature, à l'humain, à la lutte, à l'espoir...
J'ai acheté le livre de Romain Potocki sans le connaître, parce que cet ouvrage m'a "invitée" à lire le résumé, les mots "jardin" "ciel", j'ai senti déjà une évasion.
Surprenant dans l'écriture avec des mots de la cité que je ne connais pas mais qui ne m'ont en rien gênée dans la compréhension, im