S’il y a un adjectif qui peut convenir aux romans de Claire Huynen, c’est bien celui de la délicatesse qu’il convient de les qualifier. Cette autrice a le talent de parler des femmes, de leur fragilité et de leur courage à traverser les épreuves avec la sensibilité comme seule arme. Après nous avoir touché avec Ceci est mon corps, elle nous enchante et nous émeut avec Les Femmes de Louxor.
Louxor est un piège pour les occidentales esseulées qui rencontrent des hommes égyptiens qui se révèlent être de grands séducteurs. Sachant orchestrer le désir, puis le manque, ils jouent sur leurs cordes sensibles afin de les rendre dépendantes, et une fois revenues chez elles, ces femmes qui pensaient ne plus être aimées, quittent tout et épousent celui qui a su leur parler.
Mais la réalité prend le dessus sur la romance et parfois assez cruellement, l’exotisme et la magie de la relation se rangent désormais au rang des souvenirs auxquels elles veulent encore croire malgré tout .
La narratrice, amoureuse de Sayyed, rencontrée au hasard d’une balade dans les rues de Louxor, vend ses biens en France pour acheter une maison et un magasin.
Un jour, Sayyed lui présente Hamsa, qu’il vient d’épouser, elle est plus jeune et plus jolie qu’elle, plus fragile aussi, elle va vivre au rez-de-chaussée, « parce que c’est comme ça, un homme peut avoir jusqu’à quatre femmes », mais il la rassure : c’est elle et rien qu’elle qu’il aime. Entre la narratrice et Hamsa, une relation méfiante s’installe puis, peu à peu, elles vont s’apprivoiser pour devenir solidaires. Un magnifique roman sur les femmes, la sororité.
Claire Huynen a un don , celui de faire parler l’intimité des femmes et sonder leurs cœurs sans jamais tomber dans la naïveté de la sensiblerie. Pour elle, l’écriture est l’expression de son être qu’elle l’expose en toute simplicité, avec pudeur aussi, et c’est cette magie qui opère chez le lecteur et lectrice : s’immerger en douceur dans une ambiance qu’on a du mal à quitter, tant la chaleur qu’elle nous prodigue devient indispensable à notre bien-être.
Christian Dorsan : Vous écrivez sur des communautés de femmes, qu’est-ce qui vous attire dans l’univers féminin ?
Claire Huynen : J’ai toujours aimé les femmes. J’ai 54 ans et j’ai vécu une époque, il y a 30 ou 40 ans, où régnait un présupposé de rivalité entre les femmes. Pourtant, je ne l’ai jamais vécu comme tel, j’ai toujours admiré les femmes belles, les femmes fortes, les audacieuses et les insoumises, tout particulièrement celles qui l’étaient plus que moi.
J’aime aussi les hommes et les univers masculins, mais la liberté des femmes a toujours demandé un peu plus de conquête, d’effort, de hardiesse. C’est précisément cette liberté-là qui m’intéresse et ce « un peu plus » que les femmes doivent déployer, c’est là que je trouve la beauté.
Les femmes sont-elles moins aimées en Europe ou les hommes égyptiens sont plus doués pour séduire ?
Claire Huynen : Je ne crois pas que les femmes soient moins aimées en Europe, je tendrais même plutôt à penser l’inverse. La différence, dans l’histoire de ce roman, c’est qu’il ne s’agit pas d’amour, mais d’une démarche de séduction dont les atours amoureux ne sont que le prétexte.
Séduire, pour les Égyptiens dont je parle dans ce texte, est un métier bien rodé, qui déploie des méthodes de séduction aussi factices qu’efficaces. D’une manière générale, il me semble qu’il est plus facile de séduire, d’appliquer des techniques, lorsque l’on n’est pas soi-même amoureux, traversé par des émotions. L’enjeu n’est pas le même. Et dans le cas de ce roman, l’enjeu n’en est pas moins vital puisqu’il s’agit de sortir de la misère, la détermination peut alors être grande.
Très souvent Sayyed et Hamsa évoquent une sorte de fatalité en répétant « ici, c’est comme ça… » , est-ce une formule de politesse de la résignation ?
Claire Huynen : En Haute-Égypte, où j’ai vécu, et c’est particulièrement marqué dans les villages (dont chacun à Louxor est issu), c’est le collectif qui décide pour l’individu. Le libre arbitre, le choix individuel n’existent pas, ou seulement lorsqu’ils s’inscrivent dans le désir ou le besoin du groupe.
Ce sont la famille, même au-delà le village, la tradition, la religion aussi, qui déterminent le destin de chacun. S’extraire du collectif est quasi impossible. Les femmes autant que les hommes s’y plient, par résignation sûrement, mais aussi parce la société égyptienne, assez pauvre en Haute-Égypte, ne propose pas d’alternative.
Le collectif a des vertus, notamment une vraie solidarité, mais le pendant est une interdépendance qui peut parfois être vécue comme un enfermement.
La narratrice et Hamsa ne sont pas rivales mais semblent unies par la solitude.
Claire Huynen : Il me semble que, plus que la solitude, ce qui les unit surtout c’est une manière d’enfermement, de se retrouver dépendantes d’une situation qu’elles n’ont, l’une et l’autre, pas vraiment choisies. Lorsque que l’on ne peut pas changer son sort, la seule issue pour le rendre supportable est de l’accepter, de chercher à donner du sens à ce que l’on vit.
Alors elles se regardent, elles s’observent, elles se jaugent, et finalement elles sont l’une et l’autre attirées par ce qui les différencie. La narratrice admire la jeunesse de Hamsa, une manière d’innocence, mais aussi une force qui sourd chez elle. Hamsa est envieuse de la liberté de la femme occidentale qu’elle voit en la narratrice.
Dans Ceci est mon corps, c’est un homme qui empêche l’adhésion d’une novice au nom de Lois écrites, dans Les femmes de Louxor c’est la loi non écrite des hommes qui régente les femmes. Là où les hommes invoquent les lois, les femmes répondent par une approche de la société plus humaine ?
Claire Huynen : Je crois qu’en Égypte, même s’il s’agit d’une société patriarcale où les hommes ont plus de droits que les femmes, tant les hommes que les femmes en sont prisonniers. Même si son champ d’action est plus large, l’homme n’a pas beaucoup plus de possibilités de transgression que la femme.
Dans l’histoire que je raconte, il me semble que les protagonistes sont tous les trois victimes : Hamsa de son destin de femme égyptienne mariée très jeune sans vraiment l’avoir choisi, Sayyed de la pauvreté que tous subissent plus ou moins dans la région, et la narratrice probablement d’une carence amoureuse.
Dans cette société de villages, on enjoint à l’homme d’être « fort », ce qui l’amène parfois à être « dur ». Mais les femmes égyptiennes, elles aussi, ont quelque chose de dur, car le rôle qui leur est accordé n’est pas moins difficile. Je crois que c’est la pauvreté est les difficultés de la vie qui créent cette âpreté des caractères. Par exemple, ce sont les femmes qui reproduisent l’excision qu’elles ont elles-mêmes subie et ce sont elles qui sont les plus déterminées à n’y rien changer.
Personnellement, je ne crois pas que les femmes et les hommes seraient de nature différente, avec des qualités, des émotions ou des aptitudes qui seraient dévolues à l’un ou à l’autre genre. Il y a en revanche des déterminismes sociétaux, notamment géographiques ou sociaux, qui rendent plus difficile la dissidence à ce qui est attendu ou acceptable des uns et des autres. Mais il me semble que ces déterminismes créent une même coercition pour les hommes et pour les femmes.
Les mots sont-ils le prolongement de votre sensibilité ?
Claire Huynen : Probablement, oui. Même si j’ai toujours écrit des fictions, je crois que, quoi qu’on en dise ou en pense, quand on écrit, on parle plus ou moins indirectement de soi. J’ai longtemps pensé qu’on ne pouvait exprimer dans un livre que des émotions que l’on avait soi-même vécues.
Or, lorsque dans Ceci est mon corps, j’ai tenté de décrire le mouvement de la foi, les émotions de la prière notamment, ces impressions m’étaient absolument inconnues puisque je ne crois pas en Dieu. Pourtant, je crois que si j’avais été traversée par la foi, c’est ainsi que je l’aurais vécue, donc finalement c’est probablement encore ma sensibilité que j’ai écrite !
Mais la littérature est merveilleuse en ce qu’elle permet de vivre des vies que l’on n’a pas vécues, de s’inventer des histoires, et même, le temps de l’écriture, d’enfiler l’habit (ou le masque) de personnalités très différentes de la sienne.
Par Christian Dorsan
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 06/03/2025
143 pages
Arléa Editions
19,00 €
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