ActuaLitté a fait état cette semaine de la suspension d’un ouvrage, prévu aux PUF et qualifié d’antiwoke et coordonné par trois personnes. L’un des directeurs de cette parution, Xavier-Laurent Salvador, a demandé un droit de réponse, suite à cet article.
Le 14/03/2025 à 16:45 par La rédaction
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14/03/2025 à 16:45
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Droit de réponse à l’article intitulé « Un livre “antiwoke” annulé : l'éditeur se défie de Pierre-Édouard Stérin » accessible à l’adresse: https://actualitte.com/article/122515/edition/un-livre-antiwoke-annule-l-editeur-se-defie-de-pierre-edouard-sterin
Le Vendredi 14 mars 2025
Par Xavier-Laurent Salvador
Madame, Monsieur
Dans cet article :
— Concernant l’affirmation « Le « wokisme », terme péjoratif utilisé par les opposants, désigne la volonté de défendre les intérêts et les représentations des minorités »:
Vous affirmez que le terme « wokisme » est « péjoratif » et exclusivement utilisé par « les opposants », tout en en proposant une définition biaisée : « la volonté de défendre les intérêts et les représentations des minorités ». Ce cadrage rhétorique tend à suggérer que toute critique du wokisme équivaudrait à une remise en cause de la protection des minorités, ce qui est un raccourci intellectuel fallacieux. D’une part, réduire le wokisme à la simple défense des minorités revient à occulter les dérives idéologiques qui l’accompagnent : censure, réécriture de l’histoire, essentialisation des individus en fonction de leur identité, et mise au ban de ceux qui refusent d’adhérer à ces dogmes. D’autre part, notre ouvrage ne remet nullement en cause la protection légale des minorités ni ne légitime en rien les injustices envers qui que ce soit – une accusation qui serait d’ailleurs infondée au regard de la diversité des auteurs qui y contribuent. Ce que nous démontrons précisément dans ce livre, c’est que les idéologies identitaires actuelles procèdent par une inversion des valeurs : sous couvert d’émancipation, elles enferment les individus dans des catégories figées, sapent le débat démocratique et créent de nouvelles formes d’exclusion. Cette falsification du réel alimente d’ailleurs, en réaction, des mouvements populistes dont la montée est constatée partout en Occident. Plutôt que de caricaturer nos analyses, encore faudrait-il les lire. Il est vrai que vous ne pouviez pas.
— Concernant l’affirmation : « Le terme a été popularisé par Donald Trump et l'alt-right américaine, puis repris en France par l'extrême droite »
Vous affirmez que le terme « woke » a été « popularisé par Donald Trump et l’alt-right américaine, puis repris en France par l’extrême droite ». Cette affirmation est à la fois erronée et trompeuse. D’abord, le mot woke existe depuis près de deux siècles et trouve son origine dans l’histoire afro-américaine, où il désignait une vigilance face aux injustices raciales. Son usage remonte bien avant l’ère Trump, et son instrumentalisation récente – aussi bien par certains courants militants que par leurs opposants – ne peut en aucun cas être attribuée exclusivement à l’« alt-right ». Présenter les choses ainsi revient à falsifier l’histoire du concept pour en faire un simple repoussoir rhétorique. Ensuite, notre site decolonialisme.fr a mentionné le terme woke dès le 1ᵉʳ novembre 2020, bien avant que Donald Trump ne l’intègre à sa campagne et avant la création du Fonds Périclès. Preuve que ce débat existait déjà en France, indépendamment des clivages politiques américains. D’ailleurs, le terme wokisme a fait l’objet d’études approfondies dans divers cercles intellectuels, y compris au sein de la gauche progressiste. En témoignent des travaux comme ceux de Susan Neiman (Left is Not Woke), que nous avons interviewée pour notre site, et dont la traduction est en cours. Votre tentative d’assimiler toute critique du wokisme à l’extrême droite relève d’une stratégie de disqualification qui ne repose sur aucun fondement sérieux. Plutôt que de caricaturer le débat, encore faudrait-il accepter d’en examiner les termes avec rigueur.
— Concernant l’affirmation : « La rumeur, relayée en 2024 par L'Express, s'est avérée vraie »
Vous écrivez que « la rumeur, relayée en 2024 par L’Express, s’est avérée vraie », dans une tentative à peine voilée de discréditer notre mouvement par association. Outre que cette phrase est un pléonasme, elle illustre surtout l’imprécision et l’absence de rigueur de votre propos. Notre association existait bien avant la création du Fonds Périclès et a bénéficié de divers soutiens financiers au fil des ans, comme c’est le cas pour nombre d’associations engagées dans le débat d’idées. Insinuer que notre travail se réduit à une dépendance vis-à-vis d’un unique financement relève d’une manipulation qui cherche à détourner l’attention des vrais enjeux du débat. De plus, l’injonction qui nous est faite de combattre des chercheurs wokes bénéficiant de financements publics colossaux, sans que nous ayons accès aux mêmes moyens, illustre le déséquilibre du rapport de force que vous refusez d’admettre. Ce n’est pas nous qui sommes dans une position dominante, mais bien ceux que vous semblez défendre sous couvert d’un prétendu « pluralisme ». Enfin, permettez-nous de vous faire remarquer l’absurdité de votre raisonnement : si vous croisiez un rabbin lisant L’Équipe dans un train, en concluriez-vous que L’Équipe est un journal rabbinique ? Bien sûr que non. Il en va de même pour cette « rumeur » dont vous admettez implicitement qu’elle constitue le fond de commerce d’une partie de votre profession. Le journalisme ne devrait pas consister à relayer des bruits de couloir pour fabriquer artificiellement des liens de connivence, mais à rapporter des faits avec sérieux et honnêteté.
— Concernant l’affirmation : « d’une proximité avec Jean-Claude Seys, ancien propriétaire du groupe Humensis [détenu par Albin Michel depuis le 31 décembre 2024, NdR], [qui] a également cofondé un laboratoire d'idées, l'Institut Diderot, qu'il a même présidé pendant quelques années. Cette organisation tente de peser dans le débat public en assurant la diffusion des idées de ses intervenants, parmi lesquels se trouve un certain Pierre Vermeren, un des directeurs du livre Face à l'obscurantisme woke. »
Vous tentez d’établir une « proximité » entre Pierre Vermeren et Jean-Claude Seys en raison d’une simple intervention de Vermeren à l’Institut Diderot en février 2019. Cette présentation biaisée vise à suggérer une collusion idéologique là où il n’y a qu’un engagement universitaire dans le cadre d’une conférence. Pierre Vermeren a été invité par l’Institut Diderot pour s’exprimer sur un sujet en lien direct avec son champ d’expertise : Quels défis pour l’Algérie d’aujourd’hui ?, au moment du déclenchement du Hirak algérien. Cette conférence s’est tenue en présence de Jean-Pierre Chevènement et de plusieurs intellectuels franco-algériens, témoignant ainsi de la diversité des approches et des sensibilités réunies. Depuis cette date, Pierre Vermeren n’a eu aucun contact avec Jean-Claude Seys ni avec l’Institut Diderot. Il n’est qu’un intervenant parmi 217 autres dans le cadre d’un cycle de conférences mensuelles initié il y a 16 ans. Cette participation ponctuelle ne signifie en aucun cas une adhésion idéologique ou un engagement institutionnel. Enfin, il est absurde de chercher à construire un lien de connivence à partir d’un événement isolé, d’autant plus que Pierre Vermeren donne entre 20 et 40 conférences par an sur le Maghreb et l’Algérie, dans des contextes variés et auprès d’organismes aux sensibilités diverses. Lui attribuer une quelconque proximité avec l’Institut Diderot ou ses dirigeants relève donc d’une manipulation rhétorique visant à le discréditer par association, plutôt que d’un véritable souci de rigueur journalistique.
— Concernant l’affirmation : « Emmanuelle Hénin et Pierre Vermeren figurent bien sûr parmi les contributeurs du site de l'Observatoire, même si la page qui les recense a été mise hors ligne »
Vous affirmez que la page recensant Emmanuelle Hénin et Pierre Vermeren comme contributeurs de l’Observatoire a été « mise hors ligne », sous-entendant ainsi une volonté délibérée de dissimulation. Or, cette accusation repose sur une méconnaissance technique ou sur un parti pris manifeste.
En réalité, la page – comme l’ensemble du site – est continuellement accessible. L’immense succès de notre campagne actuelle engendre un afflux massif de connexions, pouvant temporairement saturer notre serveur et provoquer des dysfonctionnements ponctuels, affectant l’ensemble du site, et non une page en particulier. Cette situation est courante pour tout site connaissant une forte audience. Votre insinuation relève donc d’un registre complotiste et disqualifiant, bien éloigné de ce que l’on attend d’un travail journalistique sérieux. Plutôt que de spéculer sur des intentions imaginaires, encore faudrait-il vérifier les faits avant de les interpréter de manière biaisée.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Auteurs sans éditeurs, éditeurs sans auteurs ? Un podcast en 4 épisodes
Par La rédaction
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6 Commentaires
Relou Le Renard
14/03/2025 à 19:22
Bravo Monsieur et merci pour ces précisions.
J'ajoute que j'ai été choqué de lire une quasi-justification de la censure de ce livre sur un site littéraire de haut niveau culturel. Je ne m'attendais pas à ça.
Ce qui me fait peur dans le wokisme, ce n'est pas leur combat, qui est juste, contre le racisme, le sexisme, l'homophobie etc. Ce sont leurs méthodes, leur jusqu'au boutisme sans limite, si j'ose dire.
J'ai l'impression de voir un centriste de gauche virer stalinien.
La publication de cet ouvrage est salutaire. Merci de faire en sorte qu'elle arrive.
NAUWELAERS
14/03/2025 à 23:29
D'accord avec vous, Relou le Renard.
Mais le livre paraîtra chez un autre éditeur qui récoltera les fruits juteux de cette polémique, l'ouvrage étant nimbé de l'auréole du martyr.
Les censeurs stupides autant qu'odieux sont de façon indirecte les meilleurs attachés de presse bénévoles du livre qu'ils veulent interdire, en dehors de tout embryon de la moindre légitimité démocratique.
Réjouissons-nous déjà de l'amère déconfiture annoncée de ces fâcheux à contrecarrer et neutraliser matins, midis et soirs !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Adnstep
14/03/2025 à 21:00
La gauche sort l'artillerie lourde. 😂😂.
Ça sent la fin... Et plus la fin va s'approcher, plus ils seront sectaires et vindicatifs.
NAUWELAERS
14/03/2025 à 21:53
«S'est avérée vraie» est une tautologie: c'est: «a été avérée»...rien ne peut s'avérer faux, bien entendu !
Sinon, un droit de réponse qui fait réfléchir...
Tout ramener à Trump et à l'extrême droite américaine et autre quant à cette question, c'est évidemment totalement spécieux et erroné.
De très nombreux ouvrages et articles sérieux dénoncent ce même type de dérives calamiteuses, y compris dans l'univers académique...
Voilà à chacune et chacun de juger.
CHRISTIAN NAUWELAERS
françois
15/03/2025 à 10:27
Pourquoi publier un droit de réponse sans répondre ni aux critiques de fonds ayant conduit l'éditeur à ne plus désirer les publier, ni à dire vers qui ils vont se tourner pour publier (voire diffuser gratuitement, si c'est si important ?)
On sait que la chaîne télé du Printemps Républicain est en train de recruter et que ces personnes vont facilement pouvoir aller dire partout qu'ils sont censurés, comme d'habitude.
On attendra Médiapart pour la critique réelle de l'ouvrage, puisque aucune autre rédaction ne se donnera cette peine de faire son travail, préférant relayer la """""polémique"""", faire du clic, du fric et toujours mettre en lumière ces personnes, au détriment d'autres auteurs.
Johann Chapoutot et ses "Irresponsables" n'a toujours pas eu droit à la moindre chronique ici, par exemple. Les choix de censure sont faciles à voir.
Aurélien Terrassier
16/03/2025 à 23:36
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