#POLITEIA2025 – Le grand public connaît Thomas Snégaroff en tant que présentateur de C Politique sur France 5 et du Grand face à face tous les samedis sur France Inter. Les plus au fait savent qu'il est également enseignant à Sciences Po Paris, spécialiste de la présidence américaine. De cette passion pour le pays de Dwight D. Eisenhower, il en a tiré un spectacle, Ils ne méritent pas tes larmes. L’histoire des neuf lycéens noirs qui ont bouleversé tout une nation...
Le 14/03/2025 à 14:14 par Hocine Bouhadjera
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14/03/2025 à 14:14
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Accompagnée par Xavier Bussy à la clarinette, cette conférence musicale nous plonge dans la folie d'une certaine Amérique. Pour son ouvrage publié en 2018 chez Tallandier, Little Rock, 1957, Thomas Snégaroff s'était rendu sur le terrain, afin d'enquêter sur cet événement clé de l'histoire de la lutte pour l’égalité des droits.
S’appuyant sur des témoignages inédits et des archives publiques exploitées pour la première fois, il dressait un portrait d'une nation marquée par les blessures de la ségrégation raciale. Dans cette adaptation pour la scène, il prend la voix de plusieurs acteurs de cet épisode, pour nous faire revivre, à hauteur d'hommes et de femmes, les luttes, les espoirs et les désillusions qui ont jalonné ce combat pour l’égalité, plongeant le spectateur au cœur d’un récit aussi intime que collectif.
Le 4 septembre 1957, à Little Rock, dans l’Arkansas, la rentrée des classes marque la fin officielle de la ségrégation scolaire. Neuf élèves noirs, nouvellement inscrits dans un lycée jusqu’alors réservé aux Blancs, sont accueillis par une marée humaine hurlante, des insultes racistes et des menaces de mort. La foule, hystérique, les encercle, prête à en découdre. Des visages déformés par la haine crient leur rejet, brandissent des pancartes hostiles, menacent de lynchage...
Au milieu de ce chaos, Elizabeth Eckford, 15 ans, avance seule, isolée de ses camarades. Sans escorte, elle tente de pénétrer dans le lycée, mais la Garde nationale de l'Arkansas, déployée sur ordre du gouverneur Orval Faubus, lui barre la route. Sous les cris et les crachats, elle doit rebrousser chemin, humiliée, sans qu’aucune autorité n’intervienne pour la protéger. Le lendemain, la presse publie une image marquante : Elizabeth Eckford, 15 ans, avançant seule sous les hurlements...
Pendant des semaines, les Neuf de Little Rock subissent un calvaire quotidien. Au-delà des insultes et des menaces, ils font face à une violence physique constante : bousculades, coups, jets de pierres et de craie, crachats, boussoles chauffées au rouge posées sur leur peau. Melba Pattillo, l'une des élèves, est aspergée d’acide en plein couloir. Les toilettes deviennent des pièges où des élèves blancs les attendent pour les agresser. Malgré la peur, les coups et l’isolement, ils tiennent bon.
Thomas Snégaroff assure : « Dans ce spectacle, je ne partage qu'une petite partie des violences infligées à ces jeunes. »
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Au niveau de l'État, le racisme est approuvé, et même défendu... Le gouverneur de l’Arkansas, Orval Faubus est déterminé à maintenir les lois ségrégationnistes instaurées par l’arrêt Plessy v. Ferguson de 1896, s’opposant à l’application de l’arrêt Brown v. Board of Education of Topeka.
La situation dégénère à un point tel que le président Dwight D. Eisenhower doit déployer l’armée pour rétablir l’ordre et garantir l’application de la loi... En effet, le 25 septembre 1957, après un bras de fer avec le gouverneur de l'État, il envoie la 101ᵉ division aéroportée de l’armée pour escorter les Neuf jusqu’à l’intérieur du lycée. Ce jour-là, sous la protection des soldats, ils montent les marches du lycée, franchissant la porte sous les regards de ceux qui les haïssent. Mais même sous surveillance militaire, leur calvaire ne s’arrête pas : l'hostilité persiste, les brimades et les violences continuent, et la pression psychologique est constante. À la fin de l’année, Minnijean Brown, une des Neuf, est expulsée après avoir répondu à une provocation...
Elizabeth Eckford, personnage principal de ce récit, sera la victime de la folie d'un homme : le 12 septembre 1958, refusant d’accepter la déségrégation, le gouverneur Orval Faubus prend la décision radicale de fermer les écoles plutôt que de les voir devenir multiraciales, sacrifiant une génération entière d’élèves blancs et noirs, les plus défavorisés.... La jeune fille, d'un courage hors du commun, n'obtiendra jamais son diplôme... De son côté, Orval Faubus est réélu à six reprises...
En 1999, plus de quarante ans après ces événements, les Neuf de Little Rock sont invités à la Maison-Blanche par le président Bill Clinton. Cette fois, ils franchissent les portes d’un lieu de pouvoir en tant qu’invités d’honneur. Clinton leur remet la médaille d’or du Congrès, la plus haute distinction civile américaine, saluant leur courage et leur ténacité. Ce jour-là, ils ne sont plus des adolescents isolés et harcelés, mais des figures de la lutte pour les droits civiques, reconnues par la nation entière.
Pour nous plonger dans le contexte de l’époque, Thomas Snégaroff met également en scène plusieurs destins : un jeune blanc ordinaire, élevé dans un racisme ordinaire, un adolescent noir souffrant de déficience mentale, brûlé vif dans les années 1920 après avoir accidentellement blessé une femme blanche, ou encore le fils d’une mère assassinée par un groupe de Blancs convaincus de leur impunité... Il s'appuie aussi sur la figure de Daisy Bates, journaliste et militante des droits civiques, qui a occupé un rôle central lors de l'affaire des Neuf de Little Rock.
Les compositions originales de Xavier Bussy - sauf l'hymne américain - nous transportent dans une ambiance jazzy, presque dansante, comme pour mieux marquer la profonde tragédie des mots de Thomas Snégaroff.
Loin d’une simple reconstitution, cette conférence musicale donne chair aux protagonistes, incarnant à la fois la brutalité de la ségrégation et la résilience de ceux qui l’ont défiée. La mise en scène ne se contente pas de raconter ce tragique épisode : elle plonge le spectateur dans un passé encore brûlant, où la haine se déchaîne sans filtre et où l’injustice se heurte à un courage inébranlable.
Loin d’un simple exercice de mémoire, ce spectacle interroge le présent, rappelant que les fantômes de la ségrégation hantent toujours l’Amérique contemporaine. D'ailleurs, aucun pays n'est épargné par les spectres du racisme, dont la France...
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Une rencontre que l'on ne dévoilera pas, des décennies plus tard, achève le spectacle de Thomas Snégaroff, comme le symbole d'un passé qui réinterroge le présent. Il en ressort une compréhension essentielle à toute réconciliation : que chaque partie reconnaisse ses torts afin que tous puissent avancer ensemble.
Le Festival Politéïa de Thionville continue jusqu'à dimanche 16 mars. Le programme complet est à retrouver ici.
Crédits photo : Le maire de New York, Robert Wagner, adressant ses félicitations aux neuf adolescents ayant intégré la Central High School de Little Rock en 1958. Domaine public.
DOSSIER - Festival Politéïa 2025, à Thionville : Quels progrès, et quels avenirs ?
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 01/03/2018
336 pages
Editions Tallandier
19,90 €
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