#POLITEIA2025 – Pour sa seconde édition, le festival Politéïa de Thionville se penche sur une ancienne gloire à l'image ternie par les événements : le progrès. Un thème exploré sur quatre journées, au travers d'un programme d'une impressionnante richesse. Logiquement, au regard de son essor fulgurant ces dernières années, l'intelligence artificielle ouvre le bal, avec son cortège d’inquiétudes sur l’avenir...
Le 13/03/2025 à 17:50 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
13/03/2025 à 17:50
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Devant une salle bondée, garnie, entre autres, des collégiens et lycéens de la ville, trois sommités ont discuté d'une des questions les plus prégnantes actuellement, mais aussi des plus complexes : l’Intelligence Artificielle est-elle un progrès humain ?
Pour esquisser une réponse à cette vaste question, trois sommités : Jean-Gabriel Ganascia, professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie, directeur adjoint du Laboratoire informatique de Paris 6, membre du comité national d’éthique du CNRS, et auteur de L’IA expliquée aux humains; Tariq Krim, entrepreneur, initiateur du mouvement Slow Web, ancien vice-président du Conseil du numérique, et auteur de La grande dépossession; et Julie Martinez, avocate, directrice générale de France Positive, spécialiste du droit des nouvelles technologies, et autrice d'IA et fake news. Sommes-nous condamnés à la désinformation ?
Pour lancer cette discussion, qui s'est révélée être de haute volée, le premier tente d'abord de définir qu'est-ce que l'intelligence, notion polysémique s'il en est. Il questionne : « Est-ce un synonyme d'esprit, qui s'animerait donc de lui-même ? s'auto-anime ? Si tel est le cas, l'IA n'en est pas capable. Lorsqu'on qualifie un lycéen d'intelligent, cela renvoie souvent à sa capacité à être astucieux. Les machines ne le sont pas forcément. »
Les fondateurs de ce que l'on nomme l'intelligence artificielle s'appuyaient en réalité davantage sur les méthodes positivistes du XIXe siècle, basées sur l'expérimentation. Jean-Gabriel Ganascia explique : « Il s'agit de définir les facultés mentales par le biais d'expérimentations. Hippolyte Taine, philosophe et historien aujourd'hui moins connu, a écrit un traité, De l’Intelligence, décomposant la notion, entre le raisonnement, la perception, la mémoire etc. Avec l'avènement de l'ordinateur en 1946, les pionniers de l'informatique ont perçu dans cette nouvelle technologie un moyen d'explorer l'intelligence de façon externe, et d'en modéliser une forme artificielle. »
De son côté, Tariq Krim, avec son approche d'acteur du secteur, l'affirme sans ambages : « L'Intelligence artificielle est d'abord un nom marketing. » Il partage une anecdote, afin de mieux expliciter son idée : « Un autre nom a été très usité un temps, la cybernétique, soit l'étude des systèmes de régulation et de communication chez les êtres vivants et les machines. Le père fondateur de la notion est le mathématicien Norbert Wiener. Un jour à Brooklyn, je rencontre Marvin Minsky, l'un des pionniers de l'intelligence artificielle. Au fil de notre conversation, il m'explique que tous les collègues de Norbert Wiener ne pouvaient pas le souffrir. Alors au moment de porter une conférence, ils se sont dits que s'ils mentionnaient la cybernétique, il va vouloir venir, alors ils ont trouvé ce nom d'intelligence artificielle... »
Pour celui qui a passé de nombreuses années à la Silicon Valley, l'IA constitue une science, mais aussi une technique, ou dit autrement de la bidouille, et enfin un art. Charles Baudelaire, qui voyait dans l’artificiel une sublimation plutôt qu'un simple travestissement du réel, y discernait l’expression du génie humain et du raffinement civilisateur.
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En tant que développeur et observateur assidu de ces technologies - longtemps considéré comme une impasse s'amuse-t-il à rappeler -, Tariq Krim constate deux approches principales de l'intelligence artificielle : un moyen d'augmenter nos capacités, de découvrir et d'améliorer des procédés, « ou notre style d'écriture, par exemple ». Quand d'autres pensent que la machine remplacera l'homme dans certaines tâches à terme. Est-ce que ses développeurs actuels le font dans l'optique de soutenir les hommes dans leurs activités, ou de les remplacer, telle est la question...
L'intelligence artificielle est par ailleurs intrinsèquement liée à l'aventure d'internet. Avant les années 80, l’informatique fonctionnait en vase clos : tout ce qui était réalisé sur une machine y restait. Puis les logiciels ont été connectés, jusqu'à permettre d’analyser les comportements des utilisateurs. Anecdote non sans signification : dès la fin des années 70, les réseaux bancaires ont été les premiers à être interconnectés.
Jean-Gabriel Ganascia raconte : « Sir Tim Berners-Lee, informaticien britannique qui travaillait alors au CERN, proposa en 1989 un système pour gérer et partager des informations entre chercheurs à travers le monde, ce qui deviendra la toile mondiale, ou World Wide Web. L'idée était de s'appuyer sur les réseaux de communication, qui permirent les premiers navigateurs web au milieu des années 90. Cela a marqué le début du cyberespace, perçu comme un nouveau domaine de l'esprit. Nous rêvions d’un monde immatériel où la connaissance serait universellement accessible, un rêve démocratique. Malheureusement, ce rêve s'est retourné... »
« La douche froide, c’était croire qu’internet était neutre, et nous y avons cru », complète Julie Martinez, et de continuer : « Les réalités économiques se sont rapidement imposées, transformant ce nouvel espace en un terrain de jeu pour le marketing hyper-ciblé, jusqu'à devenir une arène pour des manœuvres politiques. Des bulles informationnelles ont été façonnées, et aujourd'hui un Elon Musk ne se cache même plus dans sa volonté de modeler l'opinion, au travers de son réseau social X. »
Si la juriste constate que des lois et autres réglementations ont été instaurées pour compenser ce qu’elle perçoit comme une menace pour la démocratie, « nous accusons un retard de 20 à 30 ans », juge-t-elle. De ce fait, il faut, toujours selon cette dernière, porter des initiatives « pour développer et encourager un esprit critique adapté à ce nouveau monde numérique ».
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Pour sa part, Jean-Gabriel Ganascia a toujours été frappé par la manière dont la gratuité a été utilisée comme un levier économique, et ce bien avant Internet : « Avec le Minitel, nous avions déjà un modèle où l'accès semblait libre, mais où d'autres formes de monétisation existaient en arrière-plan. Puis est venu Internet, et avec lui Google, qui a perfectionné cette logique. C'est elle qui a choisi d'afficher très peu de publicité, presque invisible, mais extrêmement bien ciblée. C'est ce que j'appelle la stratégie des sirènes : attirer les utilisateurs avec un service apparemment gratuit, tout en les enfermant progressivement dans un système où leurs données deviennent la véritable monnaie d'échange. »
« En mathématiques, il suffit d’accumuler suffisamment d’informations sur quelqu’un pour prédire ses actions », complète Tariq Krim : « C’est ainsi qu’on a aujourd'hui le fameux "l’ordinateur dit que", devenu un principe incontournable dans des domaines comme la finance. »
Il identifie néanmoins trois grandes visions, de manière schématique, qui ont façonné le développement d'internet : la vision soviétique, incarnée par Anatoli Kitov, qui percevait l’informatique comme un outil de gestion centralisée de la société et de ses citoyens; américaine, avant tout commerciale, portée par des équipes brillantes et diversifiées, transformant le web en marché. Et à contrario, la vision européenne, qui a porté un idéal humaniste, cherchant à garantir un accès universel au savoir et à la culture. Rappelons que Linux et le Web, deux innovations décisives et européennes, ont été offerts en open source. « Le génie américain fut de comprendre l'importance de l'interface, qui est soit immédiatement compréhensible, soit inutilisable pour le grand nombre », analyse l'entrepreneur.
Il développe : « Google en est l’exemple parfait : à l’origine, seule la performance de l’algorithme de Larry Page faisait la différence dans les recherches, mais le reste du modèle a été construit en récupérant des concepts et des technologies déjà existants. Google a compris que le modèle semi-gratuit était le plus efficace : plus les utilisateurs l’utilisent, plus ils améliorent ses performances. C’est ce qui fait leur force par rapport à Bing de Microsoft par exemple, qui n’a jamais pu rivaliser en raison d’un manque d’utilisateurs pour affiner ses résultats. »
« La gratuité sur Internet est une illusion », surenchérit Julie Martinez : « En réalité, nos données ont une valeur immense, et ce modèle économique repose entièrement sur leur exploitation. Une idéologie spécifique se développe autour de cette logique, portée par des figures influentes comme Peter Thiel et Elon Musk, tous deux proches des cercles conservateurs américains et soutiens de Donald Trump. Ils ne se contentent pas d’exploiter les données ; ils façonnent aussi la viralité des contenus, influençant ce qui circule et ce qui est amplifié. L’élection présidentielle aux États-Unis en est un parfait exemple : une grande partie de la bataille s’est jouée en ligne, sur les réseaux sociaux, où les algorithmes ont joué un rôle déterminant dans la diffusion des messages et l’orientation des débats. »
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Bouclant la boucle de l'IA, Jean-Gabriel Ganascia observe : « Le courant libertarien repose sur une vision ultra-individualiste où l'argent détient tous les pouvoirs et où l’État est perçu comme un obstacle dont il faut se libérer. Cette idéologie influence largement les débats autour de la régulation de l’intelligence artificielle. »
Avec son approche plus iconoclaste, Tariq Krim voit plutôt dans des personnages comme Peter Thiel et Elon Musk des « constructivistes radicaux qui cherchent à réinventer la réalité selon leur propre vision. Pour ces entrepreneurs, tout repose sur la survie : tout le monde se lance dans l’IA parce que c’est devenu incontournable. » Avec parfois une hybris qui dépasse l’entreprise pour s’étendre à la politique, à l’image de Mr. Musk...
Le Festival Politéïa de Thionville continue jusqu'à dimanche 16 mars. Le programme complet est à retrouver ici.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Festival Politéïa 2025, à Thionville : Quels progrès, et quels avenirs ?
Par Hocine Bouhadjera
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1 Commentaire
seingelt
14/03/2025 à 07:29
Putain, encore n'importe quoi 😂 que des sophistes qui ignore totalement ce qu'est l'IA, on dirait des clones d'Enthoven (regardez les vidéos de MrPhi sur youtube bande de bras cassés 😀) vraiment c'est pas sérieux 1, de faire un colloque la dessus avec des brèles ignorantes, et vous 2. de rapporter leur propos debiles, sur ce sans rancune, j'aime bien votre site ❣️