Société aliénée et société saine

Erich Fromm, Janine Claude, Mathilde Niel

En 1955, Eric Fromm, figure première de l’école dite de Francfort, s'attelait à repenser l’humain dans un monde « productiviste ». Gouvernée par l’impératif économique, quelle place pour l'homme moderne ? Lorsque la production devient une fin en soi, quel espace pour la créativité humaine ? Des individus déconnectés d’eux-mêmes, est-ce le symptôme d’une société malade ? Chacun est condamné à n'être qu'un rouage passif d’un système qu’il ne maîtrise plus ?

Le psychiatre et sociologue d’origine allemande est formel : l’homme contemporain est devenu un étranger à son travail, à ses objets, à ses semblables, à son gouvernement, et finalement à lui-même. Sa personnalité n’est plus l’expression de son libre arbitre, mais le produit d’un conditionnement social qui le prive de toute autonomie réelle. 

Même ceux qui paraissent prospères sur le plan matériel souffrent souvent d’un mal-être profond, symptomatique de l'aliénation...

Face à cette impasse, quelle alternative ? Entre le dirigisme du capitalisme et l’oppression des régimes totalitaires, Eric Fromm propose une troisième voie humaniste. Dans sa vision, les structures économiques et politiques sont conçues pour favoriser son épanouissement.

Atteindre une société saine nécessite, ainsi, un changement culturel radical. Il appelle à abandonner le paradigme de l’« avoir » pour celui de l’« être », où les priorités se déplacent de l’accumulation matérielle vers la recherche d’un sens profond et d’une harmonie avec le monde qui nous entoure. Pas loin d'un discours par trop naïf ? Ce serait le caricaturer : pour situer le bonhomme, il a été l’un des premiers intellectuels à poser les bases de l’idée de revenu de base inconditionnel.

D'approche psychanalytique et influencé par Marx, il s’éloigne néanmoins de Freud sur plusieurs points : il rejette l’universalité du complexe d’Œdipe et de la pulsion de mort, et considère l’analyse comme un échange humain, contrairement à la neutralité freudienne. Il met l’accent sur l’individualisation des comportements et la quête d’union-au-monde dans la liberté. Son analyse du totalitarisme s’appuie sur la peur de la liberté et l’évitement de la liberté, expliquant comment la destructivité et la consommation compensent l’angoisse existentielle.

Si Erich Fromm a marqué la pensée du XXᵉ siècle, plusieurs intellectuels et psychanalystes lui ont reproché des limites méthodologiques et théoriques. Herbert Marcuse, dans Éros et Civilisation (1955), le critique pour sa lecture trop modérée du marxisme. Selon lui, bien qu'il dénonce les effets de l’économie de marché, il ne remet pas fondamentalement en cause les valeurs productivistes et individualistes sur lesquelles repose le système capitaliste.

Theodor Adorno, son collègue de l’École de Francfort, lui a reproché, de son côté, une simplification excessive du marxisme. Il réduirait le matérialisme historique à une analyse psychologique des comportements individuels, au détriment des structures économiques et historiques. Jacques Lacan l'a jugé trop simpliste et accessible...

Dans la collection des Belles Lettres, Le Goût des idées, portée par Jean-Claude Zylberstein, ce texte des plus stimulant revit, dans nouvelle édition, reprise de la version publiée par Courrier du livre en 1971. Un ouvrage sur le bonheur, pour le bonheur, et un jalon dans l'histoire de la pensée au XXe siècle. Traduction : Janine Claude.

 

Une michronique de
Hocine Bouhadjera

Publiée le
11/03/2025 à 18:07

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1 Commentaire

 

Dokan Lones

12/03/2025 à 11:49

Je retrouve, sans plaisir, je l'avoue, les âneries que j'ai trop souvent entendues sur le marxisme, le capitalisme, la société de consommation quand j'étais gosse dans les années 70.
Je pensais que l'Humanité s'était débarrassé de cette vision ultra-passeiste du monde. Et aussi de ces deux escrocs que furent Marx et Freud.
On dirait pas, vu cette re-édition.

Société aliénée et société saine

Erich Fromm trad. Janine Claude

Paru le 15/01/2025

240 pages

Belles Lettres

17,00 €