De 300 à 150 €. En un décret, publié au Journal officiel, le Premier ministre François Bayrou a réduit de moitié le montant des crédits alloués aux jeunes de 18 ans, même si certaines conditions permettent d'obtenir quelques euros supplémentaires. Le secteur du livre, quelques jours après l'annonce, ne s'en est toujours pas remis, inquiet des conséquences pour « un outil formidable, vertueux ».
Le 06/03/2025 à 10:25 par Antoine Oury
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06/03/2025 à 10:25
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Sans bruit, le ministère de la Culture a finalement réduit de moitié le montant de la « part individuelle » du Pass Culture, versée aux jeunes à leur 18e édition. De 500 € lors de la phase expérimentale, elle avait été réduite à 300 € en 2021, quand le dispositif incitatif avait été généralisé à tous les jeunes âgés de 18 ans.
Le décret signé par François Bayrou, publié au Journal officiel du 28 février dernier, liste quelques autres mesures. Ainsi, si le bénéficiaire ouvre son compte à 17 ans, il recevra d'emblée 50 €, puis 150 € à ses 18 ans. Par ailleurs, des critères socio-économiques ont été ajoutés au dispositif.
50 € supplémentaires seront versés si le bénéficiaire est concerné par l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, l'allocation aux adultes handicapés, ou si le quotient familial de son responsable légal est inférieur à un seuil fixé par le ministère de la Culture.
Enfin, les jeunes de 15 et 16 ans, qui recevaient respectivement 20 et 30 €, repartent bredouilles. Cette revue à la baisse des moyens du Pass Culture s'inscrit dans une recherche effrénée d'économies du gouvernement de François Bayrou, qui a multiplié les mesures d'austérité ces derniers mois. Ainsi, la part collective du Pass Culture, destinée à financer des actions d'éducation artistique et culturelle, a-t-elle été gelée, le 31 janvier 2025, jusqu'à la fin de l'année scolaire. Sollicitée dans le cadre de cet article, la SAS Pass Culture n'a pas encore répondu à nos questions.
Depuis sa généralisation, et dès sa phase d'expérimentation, le Pass Culture a constitué un solide allié pour le secteur du livre. D'après un rapport publié par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) en juillet 2024, les ouvrages représentaient 71 % du total des réservations des jeunes entre 2018 et 2023, et 50 % des montants dépensés.
Un engouement qui s'expliquait en partie, visiblement, par la présentation des offres accessibles via le Pass Culture dans l'application : sur la même période 2018-2023, 98,6 % des offres du Pass étaient des livres, selon le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture...
Malgré ce biais évident en faveur du livre, le Pass Culture avait le mérite de faire prendre aux jeunes la direction des librairies. En 2021, alors que l'expérimentation était toujours en cours, plusieurs libraires signifiaient leur enthousiasme à ActuaLitté.
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« L'appétence des jeunes pour le livre est réelle, et le Pass lève le problème du budget. Les jeunes font leur choix sur l'application, mais le retrait en librairie nous permet ensuite de les conseiller, de les orienter, de leur faire découvrir l'enseigne... On se retrouve face à de jeunes clients intéressés, passionnés même, et d'une gentillesse... », témoignait à l'époque Dominique Fredj, de la librairie Le Failler, à Rennes.
Alexandra Charroin-Spangenberg, présidente du Syndicat de la Librairie française et cogérante de la Librairie de Paris à Saint-Étienne, nous confirme « le constat selon lequel des jeunes qui n'étaient jamais entrés en librairie l'ont fait grâce au Pass Culture. Celui-ci a eu un réel impact sur la lecture, le fait de venir en librairie, où les librairies ont d'ailleurs été un médiateur important, car nous leur avons souvent expliqué comment cela fonctionnait. »
Au Syndicat national de l'édition, Renaud Lefebvre, le directeur général, s'alarme déjà du désengagement du gouvernement. Pour lui, la coupe de 50 % des crédits à 18 ans et la suppression à 15 et 16 ans « entrent en contradiction avec les conclusions d’une étude alarmante du CNL, publiée l’année dernière, sur les jeunes et la lecture ».
Selon l'arrêté des comptes 2023 de la SAS Pass Culture, le montant brut des réservations s'élevait cette année-là à 275 millions €, dont 96,4 millions € pour la seule catégorie des livres. Autrement dit, le Pass Culture constitue pour le secteur une source de revenus non négligeable, qui profiterait, d'après une étude de la SAS Pass Culture elle-même, essentiellement aux grandes librairies — voire aux grandes surfaces culturelles — et aux éditeurs ayant déjà pignon sur rue.
Une analyse que tient à nuancer Alexandra Charroin-Spangenberg, qui insiste : « Que la Fnac soit l'un des plus importants bénéficiaires, cela semble évident, car les jeunes s'y dirigent en priorité, et leurs magasins présentent par ailleurs une offre en spectacle ou en musique. Mais cela ne signifie pas que les autres n'ont rien : les ventes du Pass représentent en moyenne 2 à 3 % du chiffre d'affaires dans les librairies. »
Elle souligne en outre que, si le top 10 des ventes du Pass Culture fait apparaitre des titres déjà très populaires, il dissimule un éclectisme flagrant. « Environ 80.000 références différentes ont été réservées en 2023, sur une tranche d'âge, rappelons-le, très resserrée, ce qui témoigne au contraire d'une forte diversité. »
Le dispositif n'était pas forcément au service d'une hégémonie culturelle, mais pourrait le devenir, craint-elle : « Avec moins de budget, il y a le risque que les bénéficiaires se tournent vers des propositions moins risquées », avance-t-elle, « parallèlement à la baisse mécanique des dépenses, puisque les crédits sont amoindris ».
Au SNE, le directeur général revient pour sa part sur un reproche récurrent adressé au Pass Culture : son incapacité partielle à atteindre certains bénéficiaires, notamment les plus défavorisés ou éloignés des pratiques culturelles. « Le taux de non-recours s’élève à 15 % chez les jeunes, à 30 % chez les publics les plus défavorisés, ce qui reste exceptionnellement bas », estime Renaud Lefebvre en citant les observations de rapports de la Cour des comptes et de l'IGAC.
« Certes, il existe un effet d’aubaine du Pass, pour les jeunes aux pratiques culturelles déjà développées. Mais quel dispositif n’a pas d’effet d’aubaine ? »
Selon lui, la nouvelle version du Pass Culture, et notamment sa bonification sous certaines conditions socio-économiques, ne devrait pas obtenir de meilleurs résultats sur ce point. « La majoration des crédits proposée par la nouvelle version du Pass Culture est une véritable usine à gaz, qui va faire exploser le taux de non-recours au dispositif. »
Le directeur général du syndicat patronal des éditeurs estime que le Pass lui semble victime « d’arbitrages défavorables au sein du ministère quant au Pass Culture », évoquant. « une volonté politique de restreindre les crédits alloués », avance-t-il. D'après lui, « elle s’accorde d’ailleurs avec un contexte de rapports à charge successifs et d’engouement médiatique pour la remise en cause du Pass Culture, qui débouchent sur une véritable instruction contre celui-ci ».
Principale mesure culturelle des deux mandats d'Emmanuel Macron, le Pass Culture est resté sous le feu des projecteurs, à la fois encensé et critiqué. Les différents rapports évoqués par le directeur général du SNE, qu'ils soient parlementaires, issus de l'Inspection générale des affaires culturelles ou de la Cour des comptes, ont le mérite d'avoir apporté un peu de transparence à un dispositif parfois opaque, tout en nourrissant les différentes auditions de la ministre elle-même.
À ce titre, devant les députés, l'hypothèse d'une réduction aussi drastique des crédits de la part individuelle n'avait jamais été évoquée. Sur la question du budget du Pass et de son poids sur les finances publiques — 267,5 millions € pour la Culture, en 2024 —, elle avait seulement esquissé la possibilité d'« un fonds de dotation privé », abondé par des mécènes.
Rappelons à ce titre que le financement du Pass Culture, à l'origine, devait s'appuyer sur une prise en charge publique de 20 % des dépenses, pour 80 % laissées à « différents partenaires », à savoir des acteurs culturels, et notamment les « offreurs », selon un modèle qui n'a finalement jamais été vraiment détaillé.
À la place, des « contributions sur réservation », assimilables à des réductions de prix, sont concédées par les offreurs, comprises entre 2 et 10 %, selon un barème général progressif qui leur est appliqué à partir de 20.000 € annuels de chiffre d’affaires via le Pass Culture. En somme, certains offreurs au chiffre d'affaires importants ne sont pas intégralement remboursés des achats effectués par les jeunes dans leurs points de vente.
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Dans le domaine du livre, en raison de la loi sur le prix unique, cette réduction de prix ne peut pas excéder 5 % : les offreurs sont donc toujours remboursés à hauteur de 95 % du tarif — ou 100 % si leur CA annuel sur le Pass est inférieur à 20.000 €.
Au global, ce mode de financement du Pass Culture s'avérait particulièrement défavorable pour les finances publiques qui, en 2022, avaient avancé 200 millions €, pour 12,5 millions € de contributions des offreurs...
L'hypothèse d'un financement plus largement assuré par des acteurs privés « n’a jamais émergé dans les discussions autour du Pass Culture, depuis que je suis à la direction du SNE [2023, NdR], et n’a pas non plus été évoquée à l’occasion de la mission », nous indique Renaud Lefebvre. « Dans le livre, la loi sur le prix unique du livre s’applique et encadre les possibilités sur ce terrain. De plus, les librairies ne sont pas dans la même logique que des opérateurs en ligne, qui pourraient consentir à des avantages ici ou là », poursuit-il.
La possibilité d'une contribution des maisons d'édition n'était donc visiblement pas au programme. « Je rappelle par ailleurs que les sommes fléchées vers le secteur du livre sont dérisoires au regard de celles qui sont apportées à d’autres industries culturelles. Le livre bénéficiait certes du Pass Culture, mais celui-ci n’a pas été conçu pour le secteur du livre », ajoute Renaud Lefebvre.
Au-delà des regrets liés à la réduction des moyens du Pass Culture, l'avenir du budget qui lui était alloué interroge : s'agit-il d'une perte sèche, ou bien la somme sera-t-elle injectée dans d'autres politiques culturelles ? Questionné sur le sujet, le ministère de la Culture n'a pas encore donné suite.
« Même s'il ne revient pas au SNE de décider des allocations budgétaires, nous voudrions aujourd’hui avoir connaissance des dispositifs de substitution prévus par le ministère. En leur absence, il faudra conclure que le développement des pratiques culturelles des jeunes n’est pas prioritaire », avance ainsi Renaud Lefebvre. « Nous pouvons bien sûr comprendre les impératifs liés aux efforts budgétaires, mais nous déplorons qu'ils s'effectuent sur des sujets essentiels comme la lecture publique », renchérit Alexandra Charroin-Spangenberg. « Et, puis, deux ans, cela semble un peu court pour tirer des conclusions. »
L'absence d'une alternative réfléchie au Pass Culture est d'autant plus flagrante que le ministère de la Culture prévoyait une réforme du dispositif au moins depuis l'arrivée de Rachida Dati rue de Valois, début 2024. Celle-ci avait même lancé des « missions flash » pour évaluer les potentiels impacts de ces modifications substantielles. Le SNE comme le SLF nous a confirmé avoir été auditionné : tous deux ont évidemment déployé les discours relayés ci-dessus, très positifs.
Le directeur général du SNE nous précise avoir échangé avec les équipes du ministère en visio, le 15 novembre 2024 : « À cette occasion, on nous a exposé un certain nombre d’arguments et de pistes, en nous indiquant que le ministère reviendrait vers nous rapidement. Et puis, finalement, rien : est-ce que cette mission a donné lieu à un rapport ? Si oui, il est dommage de ne pas en avoir eu connaissance », déplore-t-il.
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Les deux interlocuteurs de la rue de Valois n'ont pas été informés des conclusions de ces missions flash, mais un proche du dossier, côté ministère, nous confirme que les deux enquêtes sont désormais closes.
La vitesse à laquelle le ministère de la Culture semble avoir agi, en sabrant dans les crédits du Pass, rappelle la célérité pour mettre en œuvre et doter ce même dispositif, lors du premier mandat d'Emmanuel Macron. Cet effet miroir s'applique aussi aux syndicats patronaux des libraires et des éditeurs : d'enthousiastes, les voici particulièrement déçus.
Photographie : illustration, Images Money, CC BY 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
4 Commentaires
Salarié élu
06/03/2025 à 14:38
Rendez-nous le Pass Culture !
Bonjour à toutes et tous,
Je m'appelle Cloé et je suis scandalisée par la décision du gouvernement de supprimer le Pass Culture pour les moins de 17 ans et de le diminuer de moitié pour les jeunes de 18 ans.
On entend souvent dire que les jeunes ne s’intéressent pas à la culture et passent leur temps sur les réseaux sociaux. Et maintenant, on enlève cette petite aide financière qui permettait d’acheter des livres, d’aller au théâtre ou d’assister à des concerts ?
À 15 et 16 ans, nous recevions respectivement 20 euros et 30 euros sur l’année, et c’est fini ! Le gouvernement ne s'est pas arrêté là. À 18 ans, nous ne recevons plus que 150 euros de crédit, contre 300 euros auparavant.
J’ai lancé une pétition contre cette mesure des autorités, qui veulent faire des économies sur le dos des jeunes. Signez-la dès aujourd’hui sur Change.org.
Il nous faut 100 000 signatures pour déposer cette pétition auprès de la ministre de la Culture, Rachida Dati.
Chaque signature compte.
Merci pour votre soutien !
Cloé
christophe aubert
07/03/2025 à 05:22
Rachida Dati ministre de la culture, contre la culture pour tous, particulièrement celle des plus défavorisés, pourquoi je ne suis pas du tout étonné ??
alaindulac
07/03/2025 à 12:17
Et dire que tous les opposants à Macron ont craché sur le pass culture quand il a été institué, comme toujours : critiquez, critiquez, on ne sait pas pourquoi mais cela fait du bien !
Maintenant qu'il faut rentrer en économie de guerre, le pass culture fera sans doute partie des premières économies à faire ...
Yannick
10/03/2025 à 09:58
Bonjour,
Il semble que le ministère de la Culture ait d’autres priorités que d’amener la jeunesse vers le livre. https://www.liberation.fr/economie/medias/la-plume-des-marchands-de-journaux-change-de-forme-pour-un-logo-moderne-et-attractif-selon-rachida-dati-20250307_JYTQOHLFNFFR7C3I6I6OEY5DUM/ Les rumeurs parlent de 6 à 10M, inclus la participation à l’achat. Meilleures salutations.