Après La hyène du Capitole, roman de deux possédés entourés de démons (ou l’inverse), Simon Liberati raconte son enfance, par l’entremise du prestigieux collège privé catholique, Stanislas. Un autre pandémonium à sa manière, bien policé.
Le 04/03/2025 à 17:00 par Hocine Bouhadjera
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04/03/2025 à 17:00
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« Trompé par la taille de mon crâne, mon oncle René (mathématicien) m'ayant découvert la bosse des maths, on voulait que j'aie un an d'avance. Faute d'un bagarreur, on aurait un jeune génie. »
Il s’agit de la deuxième fois que j’essaye d’avoir Simon Liberati en entretien. D’abord pour La Hyène du Capitole, maintenant pour Stanislas. Deux échecs. D’autant plus qu’il m’a laissé un gentil mot, dans mon exemplaire de son dernier livre, qui s’achève par « en attendant de vous rencontrer bientôt ». Un écrivain et éditeur, récemment primé, m’assurait il y a quelques semaines : « Ne le prend pas personnellement, Simon est comme ça. Il ne lit pas ses mails, il oublie de répondre etc. Si tu veux l’avoir, dis-le-moi, je t’arrange ça. » J’ai donc en réalité un moyen, en théorie, d’atteindre le grand écrivain, mais moi aussi, je regimbe.
L’idée de Schopenhauer, selon laquelle un livre porte le meilleur de son auteur, semble particulièrement convenir à Simon Liberati. Dans son dernier ouvrage, le timide-placide-menteur-décadent fait peu de mystères sur sa personne, au fil de ses douze années à « Stan ».
L’école d’Edouard Baer, des enfants à Amélie Oudéa-Castera et d’André-Jean Festugière, auteur de l’énorme Révélation d’Hermès Trismégiste ; mais aussi les parents, la famille, les silhouettes de l’enfance, les premières lectures, jusqu'à l’entrée dans l'âge adulte. Le baptême a été réalisé par celui qui fit carrière sous le nom de Patrick Bruel, avec une grande bassine d’eau, dans une boîte de nuit, en plein mois de novembre…
Dans Stanislas, on n’est pas encore dans les intérêts occultistes du co-réalisateur de Rosa Mystica, mais dans l’âge tendre. Installé dans le sixième arrondissement, à 300 mètres de l’établissement placé sous le haut-parrainage du chevalier Bayard. Riche, la famille de Simon, comme on l’a toujours présumé ? En culture surtout, avec un père surréaliste déjà raconté dans Les Rameaux noirs, et une mère danseuse. L’appartement est un HLM, obtenu « grâce à un ami communiste ». Entouré d’un « rêve aristocratique », celui de son paternel - à ne pas confondre avec le rêve bourgeois. « Très dénué d'ambition sociale », André Liberati s'est cantonné à « de médiocres travaux de bureau ».
Beau gosse aussi, ce que révèle une des rares photos de ce dernier trouvable sur internet, et d’une timidité maladive, révèle son fils : « Il fut toute sa vie un orgueilleux révolté qui voulait qu'on le laisse tranquille, au milieu de ses livres et de ses idées métaphysiques, voire ésotériques, parfois bizarres. » On en sait un peu plus de qui l’auteur tient sa quête de l’envers des êtres et des choses… Reste cette différence entre André, poète, « un jaillissement », et Simon, prosateur, « une revanche sur des années d'humiliation. Il aimait Rimbaud et moi Huysmans ».
J'aime le monde, le lieu où je suis, le foyer où je me consume et dont le vent un jour dispersera les cendres.
J'aime les êtres qui m'entourent, mais j'aime à travers eux la vérité qui les éclaire et les rend transparents, j'aime en eux le bon grain à tout jamais séparé de l'ivraie, et que l'ivraie soit jetée aux flammes et que le vent chasse cette mauvaise fumée.
J'aime en chacun ce qui le dépasse et l'entraîne, ce regard qui l'éclaire et qui peut-être un jour fera resplendir son visage parmi les siens comme une lampe.
— La Lampe, d’André Liberati.
Pas riche donc le jeune Simon Liberati, à l’inverse de son camarade Xavier de La Motte-Bouloumié, fils du propriétaire de l'eau d'Évian. Pas de nom reconnaissable non plus, comme les neveux du controversé Pierre Drieu la Rochelle, ou le fils de l’empereur Bokassa 1er. Une prime jeunesse angélique malgré tout, stable, et du beau monde qui l’a entouré.
« Les personnages de Dickens » s'appelaient Yves de Bayser, Nicole Cartier-Bresson, Pierre Josse, Mimi la princesse malaise, Eli Cartier-Bresson, « quelques Anglais, des ivrognes, de merveilleuses grandes personnes avec des caractères et des opinions politiques bien tranchés ». Le père Louis Cognet aussi, qui mourut subitement. Sa grand-mère maternelle, Odette, a fondé une maison d'édition de livres de luxe et une revue sous emboîtage toile, Paroles peintes, « dont le titre avait été trouvé par mon père dans un poème de Charles d'Orléans ».
Le comité de lecture, dirigé par Jean Paulhan, comptait les noms d'Aragon, Mandiargues, Jean Follain, et plus tard Denis Roche. Chaque poème était illustré par une lithographie originale d'un peintre : Braque, Chagall, Miró, Calder, Tal Coat, Matta, Alechinsky. « Ma grand-mère dirigeait cela de main de maître et gagnait assez d'argent pour entretenir toute la famille », assure l’auteur. Le grand-père n’est pas banal non plus, à découvrir en lisant Stanislas…
L’institution au nom si évocateur - un cadet de la bourgeoisie versaillaise -, a récemment fait la une des médias, jusqu’à bénéficier d’un Complément d'enquête dédié, comme Depardieu : un peu trop catho de droite, pour résumer, et un des lycées de France où la mixité sociale est la plus faible… Ce n’est pas le sujet de Simon Liberati, même s’il ne niera pas ces affirmations pour son époque, bien au contraire.
L’élève trop doux, « très diplomate » selon son grand-père, y a passé douze ans. Résultat ? « Plusieurs défauts : mal écouter ce que veulent m'enseigner les professeurs ; ne jamais faire de sport sauf à coups de taloche ; me méfier de la bourgeoisie soi-disant catholique et ses rejetons sauf à coucher avec leurs femmes, leurs filles ou leurs petites-nièces à l'hôtel ; accepter toutes les drogues que l'on m'offre même les plus bizarres ; éviter autant que possible de devoir aller au bureau contre salaire et ne jamais avoir d'enfant. »
Des décennies après ses jeunes années, l’auteur est formel : « Pour moi, il n'y eut pas de maître et rien ne s'apprit à l'école. La pédagogie fut au mieux une niaiserie, au pire un viol moral, un attentat aux mœurs et au goût. » L’ascendance a, là-encore, eu une forte influence : « Fils d'un surréaliste resté surréaliste en dépit de ses conversions et volte-face, j'entendais dire à la maison que les professeurs étaient un corps de métier à peine plus fréquentable que les gens de lettres ou les policiers. Breton les avait en horreur, mon père y revenait souvent. » Il est malgré tout sorti de Stan avec « le sens de la satire conséquente des vacheries auxquelles cette société m'a habitué », « un peu de latin », et savoir un peu qui il est. « C’est à cela que sert l'école au fond. »
Le collège, pour Simon Liberati, fut celui de tous les enfants trop introvertis : un calvaire, sous la terreur de ses petits camarades. « C'est à Stanislas, à ces années de formation et de souffrance que je dois mon refus du monde réel, de toute responsabilité et le refuge merveilleux, le royaume de la reine Sibylle que furent pour moi les aventures sentimentales et les livres », analyse-t-il, avec le recul.
Les autres étaient des Parisiens : grandir dans leur ville reste l’école de la vie la plus rude. Ses enfants sont prêts aux milieux les plus hostiles après cette traversée du feu. « Paris a quelque chose de corrompu, un mauvais air. Papa me disait qu'au service militaire, les Parisiens étaient les plus acérés, les Marseillais ne valaient pas grand-chose et les pieds-noirs non plus. Il y avait jusque dans mon enfance une méchanceté parisienne, une vacherie que j'ai vues encore au Palace. »
Avec ses phrases élégantes, limpides, et une érudition toujours délivrée avec parcimonie, Simon Liberati raconte cette institution du centre de Paris, qui n’échappa aux profondes transformations de l’après mai-68, ces excessives années 70 que l’écrivain aime tant. Entre les premiers gudards, les plus décadents de cette jeunesse bourgeoise, les premiers amours, quelques drames autour, la mère de « tonton merguez ». Une éducation.
Une assemblée d'hommes de plus de vingt ou trente personnes, l'esprit d'équipe, la politique, le sport, la famille, les responsabilités et toute forme de camaraderie (à ne pas confondre avec l'amitié), tout ça me révulse. J'aime les renégats, les solitaires, les samouraïs. Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche.
Pourquoi, parmi les écrivains qui comptent, on aime celui-ci plutôt qu’un autre ? Parce qu’ils résonnent, qu’on partage avec eux une « parenté d’oreille ». Pour aimer Simon Liberati, il faut que le sens esthétique domine tous les autres - son nihilisme n’épargne que l'art. Il faut qu'une belle idée mérite tous les sacrifices, en commençant par celui de la raison. Que le style soit tout, dans l’écriture ou dans la vie. Un « goût de la provocation et du scandale » aussi, qui n’est pas sans rapport avec ce qui précède, peu de sentimentalité réelle, et « une inexorable solitude ».
Mais quel est donc ce secret crucial que notre écrivain dévoile dans son dernier ouvrage ? Cette révélation, qui, une fois mise en lumière, éclaire tant de choses – peut-être même tout ? C’est un fils à maman… « Cette proximité si longue (près de dix-sept ans) avec toutes sortes de rituels, de baisers et de disputes fut la première grande histoire d'amour de ma vie. (...) Je me rends compte aujourd'hui qu'une pareille fusion est rare. »
À LIRE - Simon Liberati : Blues électrique
L’écrivain ne s’épargne pas dans Stanislas, s’explique surtout, sans se rapporter, un quelconque moment, à une forme de moralité. Et quelques allusions à sa bisbille, physique puis par livres interposés, avec son ex écrivaine, Eva Ionesco : « Comment avons-nous pu devenir si enragés l'un contre l'autre, alors que nous étions d'abord si gentils et si heureux. (...) J’ai toujours pardonné aux personnages de roman, même les coups de couteau »…
Ça s’est senti, que j’ai beaucoup aimé ?
Par Hocine Bouhadjera
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3 Commentaires
Alexandre
07/03/2025 à 09:26
"controversé Gilles Drieu La Rochelle" ? Vous devez plutôt vouloir parler de Pierre Drieu La Rochelle, non ?
Hocine Bouhadjera - ActuaLitté
07/03/2025 à 10:43
Bonjour Alexandre,
Merci pour votre commentaire, le double romanesque m'a trompé...
Bien à vous,
Axolotl
10/03/2025 à 08:42
La revue d'Odette Lazar-Vernet s'appelait non pas "Paroles de peintres", mais "Paroles peintes".