Dès 2019, à l'occasion de son expérimentation, le Pass Culture offrait à 135.000 jeunes âgés de 18 ans 500 € à dépenser en expériences et produits culturels, une somme réduite à 300 € en 2021, au moment de sa généralisation à tous les bénéficiaires. Le crédit, à compter de ce 1er mars, ne s'élèvera plus qu'à 150 € versés au 18e anniversaire, avec quelques « bonus » à la marge, a décrété le Premier ministre.
Le 28/02/2025 à 09:37 par Antoine Oury
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28/02/2025 à 09:37
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Publié au Journal officiel de ce vendredi 28 février, le décret ministériel du 27 février tranche dans le vif. Signé par le Premier ministre François Bayrou, sur le rapport du ministère de la Culture, il apporte plusieurs modifications au dispositif connu sous le nom « Pass Culture », promis à une réforme depuis quelques mois déjà.
La principale modification porte sur la somme offerte aux jeunes, au moment de leur 18e anniversaire, créditée sur une application leur permettant de réserver des spectacles, concerts et autres expériences culturelles, ou d'acheter des biens, comme des instruments de musique, des vinyles ou des livres.
D'un montant de 300 € depuis 2021, cette somme se trouve réduite de moitié, avec désormais 150 € disponibles « lorsque le bénéficiaire du compte personnel numérique a ouvert son compte à l'âge de dix-huit ans ».
Cette coupe significative est cependant amoindrie par un étonnant « bonus ». Ainsi, un bénéficiaire qui ouvre son compte à l'âge de 17 ans recevra déjà 50 €, puis 150 € supplémentaires à son 18e anniversaire.
Par ailleurs, et conformément à la volonté de Rachida Dati d'inclure des critères socio-économiques à l'attribution des crédits, 50 € supplémentaires seront crédités à l'âge de 18 ans si le jeune remplit au moins une des conditions suivantes :
• Bénéficie de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé mentionnée à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale ;
• Bénéficie de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ;
• À un quotient familial de son responsable légal au cours de sa dix-septième année inférieur à un seuil fixé annuellement par arrêté du ministre chargé de la culture [encore inconnu à l'heure de publication de cet article, NdR].
Le décret procède à d'autres modifications du dispositif, en écartant la part individuelle du Pass Culture pour les jeunes de 15 à 16 ans, qui obtenaient auparavant 20 et 30 €, respectivement, à leur anniversaire. Par ailleurs, les sommes allouées aux jeunes pourront désormais être dépensées sous quatre ans, contre deux jusqu’à présent.
Rachida Dati annonçait une réforme du Pass Culture depuis son arrivée au ministère de la Culture, début 2024. Les critiques pleuvent sur le dispositif, venues de l'opposition, mais aussi de la Cour des Comptes, qui a pointé à la fois le bilan de cette politique culturelle et le mode de gestion choisi et perpétué, à travers une SAS exclusivement financée par l'État.
Le coût de ce Pass Culture pour les finances publiques faisait partie des reproches récurrents : 267,5 millions € dans les missions du ministère de la Culture en 2024, contre seulement 107,5 millions € de crédits destinés à l'éducation artistique et culturelle (EAC). Les discussions autour de la loi de finances 2025 ont d'ailleurs réduit les crédits du dispositif, dans un contexte de volonté politique de baisse des dépenses publiques, y compris pour la culture.
À LIRE - Le 20 mars, le monde de la culture appelé à la grève
La réduction de 50 % des crédits alloués à l'âge de 18 ans procéderait ainsi d'une logique double : d'une part, la plus évidente veut qu'en période d'austérité affichée du gouvernement Bayrou, les importantes dépenses de l'État pour le Pass Culture fassent tache. D'autre part, cette réduction sonne comme la reconnaissance d'un semi-échec du dispositif, dont les effets bénéfiques sont surtout ressentis par les jeunes « disposant déjà, notamment par leur environnement familial, d’un capital culturel plus élevé », comme le soulignait la Cour des Comptes dans un rapport.
Bien entendu, cette réduction des dépenses publiques en faveur du Pass Culture, dans un contexte austéritaire, pourrait ne pas bénéficier à d'autres missions du ministère de la Culture : la perte resterait donc sèche pour les acteurs de la culture.
Parmi ceux-ci, les libraires, les éditeurs et, en bout de chaine, les auteurs, réserveront sans doute un accueil glacial à cette réforme du Pass Culture et à la baisse brutale des crédits alloués. Les premiers se félicitaient d'un dispositif qui attirait visiblement les jeunes en librairie et donnait un coup de fouet au chiffre d'affaires, dans le domaine du manga, mais pas seulement.
Les deuxièmes se frottaient les mains : les dépenses publiques subventionnaient directement des ventes de livres, sans que les éditeurs ne mettent la main à la poche, comme cela était pourtant envisagé. En effet, le Pass Culture devait, à l'origine, être financé en grande partie par les industries culturelles elles-mêmes : par manque de volonté politique ou lobbying trop efficace des industriels, l'État en supporte à lui seul la charge, encore aujourd'hui.
Les auteurs, pour leur part, n'auront bientôt que leurs yeux pour pleurer : après le gel des budgets de la part collective du Pass Culture, la réduction de la part individuelle signe la disparition de revenus supplémentaires, par le versement de droits d'auteur.
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Précisons toutefois que, qu'il s'agisse des libraires, des éditeurs et, souvent, des auteurs, les ventes liées au Pass Culture bénéficient généralement aux mêmes. D'après une étude de la SAS Pass Culture, les grandes librairies étaient favorisées, parce qu'elles possèdent un stock d'ouvrages plus importants, tandis que les réservations se concentraient sur un petit nombre de titres, massivement réservés.
Pass Culture : les titres les plus réservés en 2023
1. Jamais plus, Colleen Hoover, Hugo poche
2. Captive - Tome 1, Sarah Rivens, Hlab
3. Cœurs et âmes - poche, Colleen Hoover, Hugo poche
4. À tout jamais, Colleen Hoover, Hugo roman
5. L'as de cœur, Morgane Moncomble, Hugo poche
6. Lait et miel/Milk and honey, Rupi Kaur, Pocket
7. Captive - Tome 2, Sarah Rivens, Hlab
8. Influence et manipulation, Robert B. Cialdini, Pocket
9. Du mensonge à la violence, Hannah Arendt, Le livre de poche
10. Code civil 2024 annoté. Édition limitée. 123e éd., Xavier Henry, Dalloz
- Rapport de la SAS Pass Culture
La réduction des crédits alloués au Pass ne devrait toutefois pas fondamentalement changer une incontournable critique adressée au dispositif. En se concentrant exclusivement sur la consommation, au détriment de la médiation culturelle, il vient alimenter le chiffre d'affaires d'acteurs de l'édition déjà dominants, popularise des textes déjà hégémoniques, à l’encontre d'autres propositions.
Dans un communiqué, la société Pass Culture informe les opérateurs de ce revirement, pour le moins inattendu. « La part individuelle du pass Culture, financée par le ministère de la Culture, évolue afin de respecter les contraintes budgétaires de l’État. Cette réforme est effective à compter du samedi 1er mars 2025 », indique-t-on.
Et de détailler les différents éléments :
Les jeunes bénéficient d’un crédit de 150€ à leurs 18 ans.
Les jeunes recevront désormais 150€ à leur dix-huitième anniversaire. Ce changement est valable également pour les jeunes de 17 ans et moins inscrits avant la réforme ; il ne concerne cependant pas les jeunes de 18 ans qui ont obtenu leur crédit de 300€ avant la réforme du 1er mars.
Les jeunes de 18 ans qui en ont le plus besoin verront leur crédit augmenté de 50€.
Les jeunes remplissant certaines conditions de ressources ou bien en situation de handicap recevront un crédit supplémentaire de 50€, portant ainsi leur crédit à 200€.
Les jeunes de 18 ans disposent de 3 ans pour utiliser leur crédit.
Les jeunes peuvent utiliser leur crédit jusqu’à la veille de leurs 21 ans. Ils disposent donc d’une année de plus pour utiliser leur crédit.
Les jeunes reçoivent un crédit de 50€ à leurs 17 ans.
Ce crédit remplace celui de 30€ précédemment attribué. Le crédit reçu à 17 ans et non-utilisé sera ajouté à celui reçu le jour des 18 ans.
Tous les crédits sont cumulables les uns avec les autres.
À partir du 1er mars 2025, tous les crédits reçus sont cumulables d’une année sur l’autre jusqu’à expiration des droits du bénéficiaire, la veille de ses 21 ans.
Les 15-16 ans peuvent profiter d'offres gratuites mais ne bénéficient plus de crédit.
Les jeunes qui fêteront leurs 15 ou 16 ans à partir du 1er mars 2025 ne recevront pas de crédit pour ces anniversaires. Ils peuvent toutefois s’inscrire sur l’application et découvrir les lieux culturels et leur programmation autour de chez eux.
Dans un communiqué transmis à ActuaLitté, le Le Syndicat national de l’édition prend acte des mesures d’économie budgétaire et s’inquiète de leur impact sur la lecture des jeunes.
Le Syndicat national de l’édition prend acte d’une décision d’économie budgétaire sur les crédits alloués en soutien aux pratiques culturelles chez les jeunes. Il regrette d’apprendre ces mesures alors même que la mission flash, lancée le 8 novembre 2024 par le ministère de la Culture afin d’étudier les impacts d’une réforme du pass Culture sur le secteur du livre et la lecture, n’a pas remis ses conclusions.
Il relève cependant que les mesures annoncées ne remettent pas en cause les fondements du dispositif et préservent le principe essentiel de liberté de choix des bénéficiaires.
À LIRE - Rachida Dati : comment réduire les ventes de livres du Pass Culture ?
Il déplore que les jeunes de 15 et 16 ans s’en voient désormais exclus alors que cette classe d’âge est spécifiquement identifiée par la récente étude du Centre national du livre comme présentant les risques les plus alarmants de décrochage dans les pratiques de lecture.
Le Syndicat national de l’édition redoute également que cette mesure fragilise la chaîne du livre, et en particulier ses acteurs les plus vulnérables parmi les auteurs, éditeurs et libraires.
Dans un communiqué de presse, le Syndicat de la librairie française évoque cette réforme du pass Culture comme « un coup de frein à la lecture des jeunes et à leur fréquentation des librairies ».
Le Syndicat de la librairie française regrette que les mesures de restriction budgétaire, aussi justifiées qu'elles puissent être dans leur principe général, pénalisent un dispositif qui développe la pratique de la lecture chez les jeunes de toutes origines sociales et leur fréquentation des lieux de découverte culturelle que sont les librairies.
En réduisant à la fois le nombre de bénéficiaires et la dotation qui leur est versée, cette réforme va considérablement atténuer l'élan que ce dispositif a créé dans les relations entre les jeunes, le livre et les librairies. Rappelons qu'au moment où de nombreuses études pointent la baisse de la lecture chez les jeunes, ceux-ci ont librement choisi de privilégier le livre dans leur usage du pass Culture. Il faut d'autant plus s'en réjouir que, contrairement, aux idées reçues, les achats de livres via le pass Culture sont loin de se limiter au manga et à la romance, par ailleurs injustement stigmatisés alors qu'ils constituent des voies populaires d'accès à la lecture. La littérature, les sciences humaines, les ouvrages pratiques ou encore ceux portant sur l'art et la mode sont également plébiscités.
Rappelons que près de la moitié des usagers du pass Culture ont découvert un nouveau lieu du livre, marchand ou non marchand, grâce à ce dispositif. Dans les deux tiers des cas, ce sont des librairies indépendantes que découvrent les jeunes. En librairie, ces derniers sont accompagnés. Cette médiation permet de les mettre à l'aise par rapport au livre et, dans de nombreux cas, de leur donner un goût pérenne pour la lecture. Par ailleurs, près de 70% des jeunes issus de milieux populaires utilisent le pass Culture, soit bien davantage que pour toute autre pratique culturelle.
Le Syndicat de la librairie française est surpris que cette réforme entre en vigueur sans concertation sur les moyens de maintenir, voire d'amplifier, cette dynamique très positive que le pass Culture a su créer au niveau du livre et de la lecture. Il est d'autant plus surpris que la ministre de la Culture, Rachida Dati, avait déclaré, en novembre 2024, lors de l'annonce d'une réforme à venir du pass Culture, qu'elle ne souhaitait pas que celle-ci se fasse « au détriment du secteur du livre, plébiscité par les usagers ».
A cet effet, elle avait mis en place une « mission flash » chargée « d'étudier l'impact de la mesure sur le secteur du livre et de la lecture, et de proposer des solutions qui valorisent le réseau des librairies indépendantes, souvent la première porte d'entrée des jeunes vers la lecture et la culture ». Or, cette mission, dont le rapport n'a pas été rendu public, n'est jamais revenue vers les libraires pour discuter de mesures visant à atténuer l'effet de la réforme sur leur profession.
Le Syndicat de la librairie française appelle donc la ministre de la Culture à prendre l'initiative d'une concertation permettant d'atteindre les objectifs qu'elle avait elle-même définis. Les libraires, pour leur part, vont continuer à s'investir pleinement auprès des jeunes pour leur faire connaitre leurs offres et partager avec eux le plaisir inégalé de la lecture.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Albums, romans : une sélection de 20 livres jeunesse pour Noël 2020
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
1 Commentaire
Komixx under Volcano
01/03/2025 à 17:56
La générosité bourgeoise à ses limites.
Pour + de Pléiades, taper "j'aime la croissance et, je veux qu'elle revienne au galop".
Sinon, retrouvez les nombreuses boites à livres de votre quartier.
hasta la vista girls and boys