Scénariste ! de Philippe Blasband est un anti-manuel d'écriture de scénario qui fait tout ce que les autres ne font pas. Déjà, il est rédigé par un vrai scénariste, dont c'est le métier ; ensuite, il ne fait pas croire que l'application de formules et recettes va régler les questions d'écriture ; enfin, il replace le scénariste là où il doit être : au cœur d'une très large équipe, en dialogue et ping-pong constant avec toute une série d'emmerdeurs et de trouble-fêtes. Une leçon de cinéma en prise directe avec le réel.
Philippe Blasband est scénariste, c'est son métier, et c'est sans doute ce qui apporte à ce livre de fausses recettes tout son piquant.
Là où la plupart des auteurs de livres pratiques consacrés à l'écriture scénaristique parlent d'un métier qu'ils ne pratiquent pas, Blasband s'amuse à illustrer ses propos de cas réels, concrets, où les enjeux du scénario butent contre les intérêts d'autres corporations impliquées dans la réalisation d'un film : producteurs (cela va de soi), réalisateurs (évidemment), mais aussi costumières, acteurs ou décorateurs, entre autres. Un long métrage — et plus encore une série — est une œuvre collective, fruit de la collaboration entre plusieurs dizaines, voire centaines, d'artistes et de techniciens.
Le scénario, pierre fondatrice de l'édifice encore à construire, ne doit pas se confondre avec le résultat. Il n'est pas le film, il n'est même pas la totalité du film en devenir, il est un outil. Précieux, crucial, fragile, mais un outil tout de même, dont on peut se débarrasser très simplement. En l'enterrant à tout jamais. Ce qui est le destin de l'écrasante majorité des scénarios rédigés.
Philippe Blasband n'est pas que scénariste. À l'origine, il a une formation de monteur et cette expérience de narration qui se fabrique à partir du matériau brut filmé (la pellicule, à l'époque où il étudiait à l'INSAS à Bruxelles) lui permet de comprendre de façon très concrète ce qu'est la matière même d'un film et qui n'a — au final — plus grand-chose en commun avec le script d'origine, en dehors des dialogues.
Un scénario se construit à partir de mots, mais ne se concrétise jamais qu'une fois transformé en plans, en séquences, une fois les personnages incarnés, les décors fabriqués, les lumières posées, et ainsi de suite. Les phrases ne sont que des outils transitoires qui permettent à tous les membres de l'équipe de tournage de visualiser temporairement ce que sera le film, de saisir quelles émotions sont en jeu, quels enjeux sont posés.
Philippe Blasband est aussi auteur de théâtre, metteur en scène, et il a été réalisateur. Tous ces métiers exercés en renfort de celui de scénariste lui ont permis d'acquérir une connaissance pratique des autres professions dont le travail repose sur la lecture approfondie du scénario. Quand la réalisatrice, le cadreur, le compositeur, les actrices, le producteur exécutif ou la directrice de casting lisent la continuité dialoguée, ils y accordent tous une grande attention, mais n'y cherchent pas les mêmes informations.
Or chacun doit y trouver ce dont il a besoin pour exercer au mieux sa profession dans le cadre du tournage ou de sa préparation. Un scénario n'est pas qu'une histoire, que des péripéties ou que des dialogues. C'est tout cela à la fois... et bien plus. C'est un levier pour apaiser les angoisses des producteurs, un guide pour orienter le travail de dizaines de professionnels, un embryon à partir duquel vont se développer les personnages à l'écran.
Autobiographie à peine déguisée, Scénariste ! est découpé en courts chapitres, eux-mêmes rédigés sur un tempo de scénario, avec des phrases brèves, des idées concises et imagées, qui se succèdent sans temps mort avec des thèmes et des motifs récurrents, qui traversent le livre. Plutôt qu'une méthode d'écriture, n'aurait-on pas entre les mains un scénario de cinéma déguisé, sans personnage principal ?
Pas vraiment, car en réalité, il y a bien un protagoniste très présent : c'est l'auteur du livre, qui s'exprime à la première personne de façon récurrente, dans des intermèdes encore plus brefs, consacrés à des épisodes personnels et des anecdotes, voire des interrogations abyssales, notamment à propos des ses pensées suicidaires. Ces confessions sans détour, bourrées d'un humour pince-sans-rire délicieux, dessinent à travers ce manuel d'écriture une sorte d'autobiographie centrée non pas sur la psychologie et les détails géographiques (même s'il y en a fatalement dans le parcours d'un auteur né à Téhéran, qui a grandi à Boston et étudié à Bruxelles) mais sur le rapport très personnel au métier de scénariste.
Et aux rencontres, embûches, rebondissements, qui font que certains scénarios (très peu) deviennent des films tandis que tous les autres resteront à tout jamais des projets de cinéma inaboutis.
Le sous-titre de l'ouvrage est « Manuel d’écriture scénaristique pour les apprentis scénaristes, mais aussi pour celles et ceux qui s’intéressent au scénario et au cinéma ». Cependant, la question qui se pose, évidemment, dans un marché du livre saturé de méthodes miraculeuses pour accoucher d'un scénario de long-métrage ou d'une bible de série qui se vendra comme du pop-corn dans un multiplexe, est de savoir si ce livre peut être utile aux futurs scénaristes ou aux professionnels qui cherchent à s'aérer l'esprit.
La réponse ne fait pas de doute. C'est un grand oui enthousiaste. Car ce qu'apporte Blasband, c'est un point de vue très rare de l'intérieur du monde du cinéma et de la télé, qui, porté par un humour féroce, beaucoup d'autodérision et une grande humilité, n'hésite pas à raconter en détail les échecs, les frustrations, les négociations désagréables, les errements, qui forment tout autant le quotidien des scénaristes que l'écriture ou les séances de brainstorming dans la writing room.
Et à fournir des exemples et contre-exemples pour étayer chacune de ses intuitions et propositions d'écriture ou d'analyse. Exemples qui vont puiser dans l'histoire du cinéma mondial, du Parrain à Coup de foudre à Notting Hill, en passant par les premiers épisodes de Dora l'exploratrice, et quelques-uns des films auxquels il a contribué comme Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyne ou Les émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris.
Lire Scénariste ! c'est moins apprendre des trucs et ficelles pour gagner du temps dans la rédaction d'un synopsis ou d'un traitement que se préparer psychologiquement aux mille épreuves qu'il faudra surmonter avec ce document en main pour qu'il finisse par être tourné — sans être trop détourné — et que le travail du scénariste soit également rémunéré comme il se doit.
En plus d'être un coach en écriture sympathique et amusant (malgré – ou grâce à — ses penchants dépressifs chroniques), Blasband se révèle aussi être un coach syndical et un conseiller en négociation implacable. Au fil de la lecture, on se dit que le jour où il en aura marre d'écrire des scénarios, il pourra se recycler comme agent de scénariste ou porte étendard au sein des négociations interprofessionnelles.
Intermède autobiographique : Puisque l'auteur joue la transparence de bout en bout dans son livre, je me permets de faire de même dans cette chronique, sans pour autant déballer ma vie qui n'intéresse personne.
J'ai rencontré Philippe Blasband il y a une trentaine d'années, quand nous avons été invités par le Collectif Alpha, à Saint-Gilles à animer avec quelques autres écrivains des ateliers d'écriture, puis j'ai eu le plaisir de le retrouver autour de l'écriture d'une série télé intitulée S01 qu'il avait imaginée avec Sylvie Bailly pour la télévision belge, dont les épisodes n'ont jamais été tournés, ce qui n'a pas empêché ces journées dans la writing room de rester parmi les meilleurs moments d'écriture de mon parcours d'auteur.
Voilà, vous savez tout.
Par Nicolas Ancion
Contact : nicolas.ancion@gmail.com
Paru le 07/02/2025
336 pages
Impressions nouvelles (Les)
22,00 €
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