Assises2025 – Deux journées à Bordeaux ayant réuni quelque 450 professionnels réunis — dont près de 430 éditeurs indépendants. À ce seul chiffre, la Fedei disposait d’un indicateur marquant l’engouement pour cet événement : à Aix, deux ans plus tôt, 280 personnes s’étaient retrouvées. Retour sur ces rencontres au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, ces 20 et 21 février.
Le 22/02/2025 à 18:05 par Nicolas Gary
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Publié le :
22/02/2025 à 18:05
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« L’avenir de l’édition indépendante, c’est nous qui l’écrivons. » La présidente de la Fédération des éditions indépendantes, Esther Merino, accueillait avec cette promesse les professionnels réunis la veille de l’ouverture.
Une inauguration accompagnée de ces mots du président de Région, Alain Rousset, rappelant que son territoire compte 247 maisons, de tous les genres éditoriaux. La Nouvelle Aquitaine se place ainsi juste après l’Île-de-France — et fut la première, en 2014, à signer un contrat de filière aux côtés du ministère de la Culture (qu’occupait alors Fleur Pellerin) et du CNL (présidé par Vincent Monadé).
Lui aussi saluait le travail des éditeurs indépendants, soulignant que leur « précarité naturelle nécessite des politiques spécifiques » à même de générer « le bouillonnement pour les écrivaines et écrivains. Et cette diversité aboutit à ce que se publient des livres que les lecteurs n’attendent pas forcément ». Sourires dans la salle.
Car ces œuvres, pour qu’elles existent, il ne suffit pas de les identifier, les concevoir, les imprimer : « La visibilité demeure notre problème premier », répétera au fil de l’événement la présidente de la Fedei. « Collaborer mieux encore avec les libraires, qui sont déjà sursollicités par les grosses structures, voilà l’un des enjeux pour les indépendants », nous assure Dominique Tourte, directeur général de la Fédération.
En 2023, la définition de cette indépendance devint le fil conducteur des Assises — qui soulevaient déjà un enthousiasme général. « Bien entendu, nous n’avons pas résolu cette définition en interrogeant la notion : nous avons trouvé des éléments — des critères pour l’approcher », nous précise-t-il.
Mais indépendants, en regard de qui et en regard de quoi ? Dans le hall du TNBA aussi bien que sur les marches de l’établissement, on s’interroge aussi : « Être indépendant, c’est disposer de la capacité de décision immédiate », estiment certains. « Posséder la majorité de son capital », pointent d’autres.
Or, quel que soit le critère, demeure l’interdépendance dans un écosystème du livre où chacun tente de tirer son épingle du jeu. « Les risques, c’est l’éditeur qui les prend tous, chez les indépendants », ajoute la présidence. Une revendication que porte la Ligue des auteurs professionnels depuis des années, « mais qui concerne le rapport des auteurices avec les grandes maisons. Et à ce titre, nous avons des batailles communes », appuie-t-elle.
Économiquement, l’indépendant s’avère un acrobate qui balance entre pressions et résilience, comme le révéle l’étude du cabinet Axiales. Elles et ils seraient 2500 en France. « Nous avons observé que les structures ayant moins de 10 ans passent difficilement les 25.000 € de chiffre d’affaires annuel », insiste spécifiquement Françoise Geoffroy-Bernard, co-autrice de l’étude avec Christophe Jacquet.
Aussi, quand 72 % des répondants se révèlent des structures commerciales, la donnée prend toute son ampleur. « Salons et crowdfunding apportent en effet des bouffées d’oxygène aux finances, mais pour beaucoup, cela reste un sacerdoce. »
Alors, pourquoi poursuivre ? La question amuse, surprend ou provoque des sourires crispés, selon les interlocutrices et interlocuteurs que nous avons sollicités. « Parfois je me demande en effet », nous glisse l’une d’elles. Désabusée l’édition indépendante ? « Désanchantée parfois, de constater combien je multiplie les contorsions pour exister, oublier le sentiment d’être un simple rouage de la Distribution. »
Dans un secteur qui a tendance à se refiler le bébé avec l’eau du bain (et même la serviette, le talc et les couches), on essaye parfois l’optimisme. « Les libraires sont des partenaires naturels, avec leurs impératifs : vendre des best-sellers implique-t-il d’en connaître le contenu ? Quand on me répond par l’affirmative, et qu’en retour, on n’a pas le temps d’ouvrir mes titres, j’avoue : c’est dur. Et humiliant. »
Certains ont opté pour l’autodiffusion et l’autodistribution, garantissant une connaissance plus humaine de celles et ceux qui gèrent les points de vente. Des modèles de réussite que l’on ne conteste pas : « Simplement, ils représentent des réussites impossibles à dupliquer, parce que répondant aux spécificités de la structure. Ce ne sont pas des solutions — et je ne parle pas de remède miracle, juste de mettre en avant des outils valables pour un plus grand nombre », indique une éditrice jeunesse.
La mutualisation en fait partie : certes, elle regroupe et morcelle, mais représente l’une des pistes quand les catalogues se recoupent, que les thématiques éditoriales se rencontrent. « L’écueil régionaliste pour des maisons avec une ambition nationale est rapidement écarté », poursuit-elle. « On tente, de concert avec des maisons qu’on apprécie, de voir plus grand… » Toutefois, en matière de réussite pour la mutualisation, la solution Oplibris comptera parmi les plus beaux succès de la Fedei...
Plus visibles à plusieurs ? En attendant que l’union fasse réellement la force, « elle lutte contre l’invisibilité que nous endurons », renchérit Esther Merino. Et si l’on ne baisse pas les bras, ou que l’on n’a pas encore vendu sa société à un plus gros poisson, nous assurent nombre de participants, « cela tient à une certaine fierté dans l’exercice de notre profession ».
On entendrait Rostand : « On ne se bat pas dans l’espoir du succès. » Sauf qu’ici, personne n’a le sentiment que son catalogue serait inutile : le focus réalisé par Vincent Henry sur six structures le démontrait. Tout en diversité, ces portraits fixent un paysage essentiel à une dynamique française — francophone, ajouteraient volontiers les invités venus du Québec, Lux Editeur et de Suisse, Hélice Hélas.
Alors oui, cette étude 2025 a mis un coup de cafard en cette première journée, « alors je me suis rabattu sur les clopes avec les copains dehors », nous glisse un éditeur, présent à Aix en 2023. « On m’a même conseillé l’acupuncture pour arrêter de fumer : j’aurais au moins gagné ça », appuie-t-il d’un clin d’œil jovial.
D’autres confient n’avoir pas su où donner de la tête : avec trois ateliers proposés simultanément, plusieurs regrettent d’être venus seuls pour assister à plus de ces temps de partage. Mais une offre dense et fournie, voilà qui reste au mérite de l’organisation. « Même l’IA, dont je me fiche éperdument, je suis allé suivre la table ronde : c’était intéressant, je le reconnais, même si je n’ai toujours pas compris concrètement ce que je pourrais en faire », grogne un ancien.
La sacro-sainte visibilité, l’édition indépendante se l’est offerte durant ces deux journées, avec même la perspective de soutiens apportés par le Centre national du livre, tournés vers la promotion spécifiquement. Pascal Perrault, directeur général du Centre, reste prudent sur le projet, « qui doit encore obtenir la validation du conseil d’administration, mi-mars ».
Et d’ajouter pour ActuaLitté : « Au terme d’un audit des aides à la promotion, nous avons réfléchi à de nouvelles solutions susceptibles d’accompagner les indépendants, sur la base d’un projet construit pour trois années. » Une manière de privilégier les actions au long court, avec un cahier des charges bénéficiant d’un soutien financier sur la période.
L’idée fait son chemin. « Nous avons travaillé de concert avec le CNL sur cette possibilité », reprend Dominique Tourte, « qui représenterait en soi un coup d’éclairage pour les maisons retenues ». Une sorte de The Voice, sans qu’il soit nécessaire de s’équiper d’un buzzer ni de fauteuils rouges qui tournent.
La référence amuse, sans pour autant être réfutée : pourquoi pas une téléréalité des éditeurs. « Pour exister et attirer l’attention, j’ai déjà fait tellement plus », s’esclaffe une éditrice, retournant à sa discussion. « Si l’on ne repart pas avec des solutions toutes prêtes, on a le plaisir de se retrouver plus nombreux que dans les salons où l’on croise, parce qu’ils sont des passages obligatoires. Et cela fait un bien fou : l'indépendance, c'est aussi ce supplément d'âme. »
Le titre de mon article ! Certaine de ne pas vouloir être citée ? « Surtout pas ! Je connais votre journal », riposte-t-elle en riant : « Mais une interview pour parler de nos auteurs, avec plaisir ! ».
Invisibilité, vous avez dit ?
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Economie, coopération au coeur des Assises de l'édition indépendante 2025
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
Domi Cholet
24/02/2025 à 14:12
Chacun défend son beef on ne parle pas bcp des auteurs mais seulement d une concurrence entre éditeurs gros et petits ils oublient de dire combien ils demandent aux auteurs....