À 85 ans, Marie-Reine de Jaham publie le troisième volet de sa saga martiniquaise : L’Héritière de la Grande Béké (Caraïbéditions). Presque un siècle d'Histoire défile sous ses mots et, avec eux, se dessinent les contours d'une Martinique aux multiples visages. De l'éruption de la Montagne pelée en 1902 à la Seconde Guerre mondiale, en passant par les années 50-70 et ses grands bouleversements, rien n'échappe à la romancière. Sans concession, elle confronte l'île à son héritage. Entretien.
Le 20/02/2025 à 17:32 par Louella Boulland
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Publié le :
20/02/2025 à 17:32
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« Je me suis inspirée de mon vécu pour créer quelque chose d’authentique. Mais j’ai laissé une grande place à la fiction », assure à ActuaLitté Marie-Reine de Jaham. Née en Martinique, elle y grandit jusqu’à ses 20 ans, dans la peau d’une « béké », ces blancs créoles descendants des premiers colons. Un héritage qu’elle découvre à travers les histoires familiales qu’on lui conte, qui la bercent et forment son identité.
Issue d’une lignée de planteurs arrivés sous Richelieu, elle aurait des liens de cousinage avec Joséphine de Beauharnais. Des siècles plus tard, elle fait vivre une mémoire insulaire auprès de ses lecteurs : « Quand le temps passe, la légende remplace peu à peu l’Histoire... », souffle-t-elle, espiègle.
Ses racines, son enfance, et sa terre natale sont ses sujets de prédilection : « J’aime écrire sur l’île », lâche-t-elle, tout simplement. De cet aveu sont nés nombre de romans, et une saga familiale aux accents autobiographiques : La Grande Béké. 2 tomes publiés respectivement en 1989 et en 1993 chez Robert Laffont.
Le premier narre la détermination de cette femme qui porte le nom de Fleur de Mase. Après l’éruption de la montagne Pelée en 1902, c’est elle qui a rebâti la fortune familiale, et s’est construite une puissante réputation sur l’île. « Celui-là, je l’ai presque écrit comme un roman policier », se remémore-t-elle.
S’en est suivi un deuxième tome, Le Maître-Savane. Cette fois, l’autrice se glisse dans la peau du petit-fils de La Grande Béké, Michel de La Joucquerie. Elle décrit son combat pour préserver l’héritage légué, face à un puissant promoteur immobilier venu transformer la Martinique...
Et, comme le prédit l’adage : « Jamais deux sans trois »... Marie-Reine de Jaham revient donc, 36 ans plus tard, avec un nouveau tome. Si l’ouvrage n’est plus édité chez Robert Laffont, dont elle n’appréciait plus « le côté grosse usine », mais bien chez Caraïbéditions, « une maison très professionnelle qui valorise la culture créole ». Là n’est pas la seule différence.
Ce dernier livre « est bien plus profond que les deux autres », estime l’écrivaine. « Il contient plus de réflexion, et une analyse plus poussée sur l’évolution historique de l’île », observe-t-elle. Plus intime aussi, forcément. Car Garance de la Joucquerie, l’arrière-petite-fille de la Grande Béké et personnage principal du roman, c’est elle, son double littéraire. « À la différence près que je me suis rajeunie de cinq ans », glisse-t-elle en souriant.
« Je voulais raconter l’histoire de cette petite fille qui découvre deux univers : celui des noirs et des blancs. Et ça devait avoir l’air aussi naturel que l’air qu’on respire, car c’est ainsi que je l’ai vécu », explique Marie-Reine de Jaham. Et de souligner : « Cette jeune fille découvre des secrets, des non-dits familiaux. Et, en même temps, elle observe les contrastes entre l’histoire de l’île, qui se déroule sous ses yeux, et celle de sa propre famille, marquée par de multiples tragédies ». Luttes d’héritage, intrigues… L’héritière de la Grande Béké « offre tout ce que la nature humaine peut avoir de complexe et de perfide ».
Avant d’avoir percé ma première dent, j’avais déjà réalisé qu’autour de moi gravitaient deux mondes, le monde des Blancs et le monde des Noirs.
– Extrait de L'héritière de la grande Béké
À travers les yeux de Garance, les lecteurs deviennent des témoins privilégiés des grands changements de l'île. Au fil des années, et des pages qui se tournent, on la voit se transformer, s’émanciper, tenir tête aux anciens maîtres et, peu à peu, les écarter.
« La Seconde Guerre mondiale fut un déclencheur important », témoigne l’autrice. Et pour représenter au mieux cette époque charnière, elle s’est appuyée sur l’Histoire : « J’ai fait beaucoup de recherches, pour être la plus juste possible », précise-t-elle, tout en reconnaissant la grande aide que lui a apporté son éditeur, Florent Charbonnier.
Un livre : pour Marie-Reine de Jaham, c’était le meilleur moyen d’aller « au fond des choses ». Entre les lignes, elle dessine une critique sans concession de l’île et ses habitants. À commencer par ceux à qui elle appartient, les Békés...
« Je leur reproche d’avoir manqué une vocation historique : celle de s’impliquer dans le gouvernement de l’île. Confortablement installés dans leur position, ils refusent d’admettre cette réalité. Cela déplaît, certes, mais ils persistent, volontairement ou non, dans une forme d’aveuglement », argumente-t-elle.
Les Blancs découvriront qu’ils n’ont pas l’apanage de la civilisation, il en existe une autre, essaimée par l’esclavage sur la terre entière, et qui finira par les dévorer.
– Extrait de L'héritière de la grande Béké
Si elle croit au renouveau des Antilles, la Martiniquaise refuse que cela se fasse avec superficialité. À l'image de ces mouvements prônant une identité créole partagée, qui fleurissent sur l'île : « Ce n’est pas la vérité, on n’est pas tous les mêmes créoles. Là-bas, tout est question de couleur de peau », reconnaît-elle. « Chacun a son génie. »
« Je ne porte ni cause ni idéologie. C’est à chacun de se forger sa propre opinion », affirme l’autrice. Ses récits ont suscité des réactions contrastées, notamment au sein de la communauté béké. Mais peu importe : ce qui compte, ce sont les bonnes critiques, les articles élogieux dans la presse locale. Et la conviction que la littérature peut jouer son rôle dans la réconciliation avec l’histoire coloniale et la mémoire collective. « C’est elle qui communique », tranche-t-elle.
À LIRE – Bruno Gaccio : "Je me fous de la morale des gens"
Cet avenir, elle l’écrira. Et il prendra la forme d’une suite, projetée dans les années 2030-2035. Cette fois, elle donnera vie à un personnage « dur, un costaud », promet-elle. Son éditeur n’est pas encore au courant — du moins officiellement. Mais elle y croit, et elle compte bien aller au bout. « Si Dieu me prête vie encore un moment », philosophe-t-elle, à l'image de son roman .
Crédits image : © H. Roncière
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
Paru le 03/12/2024
448 pages
Caraibeditions
22,50 €
Paru le 25/01/2023
416 pages
Caraibeditions
11,60 €
Paru le 21/10/2022
448 pages
Caraibeditions
11,60 €
17 Commentaires
Marc Lamenace
21/02/2025 à 01:46
"Les Blancs découvriront qu’ils n’ont pas l’apanage de la civilisation, il en existe une autre, essaimée par l’esclavage sur la terre entière, et qui finira par les dévorer."
Ne pourrait-on pas plutôt imaginer que tous les gens de couleurs de peau différentes vivent en harmonie plutôt que de s'entredéchirer ?
Imagine all the people,
Sharing all the world...
(John Lennon)
Marie-Reine de Jaham
23/02/2025 à 15:35
Entièrement d'accord avec vous, Marc!
MRJ
Je suis propriétaire de ma tablette
22/02/2025 à 06:24
Vs écrivez des pensées de békés pas d'une noire née ds les Antilles qu'avez-vous ft pour les femmes noires à part s'enrichir à leurs dépens par vos écrits vs le dits vous même j'ai sauvé l'héritage malhonnête des de jahm (argent en payant à coup de lance pierres) sous la canne et la banane empoisonnée par du chlordecone en laissant ces femmes et hommes illettrés pour mieux les tromper vs écrivez des mensonges qui n'intéressent qu'une minorité vos mains, st remplies du sang des martiniquais noirs ne l'oubliez pas vs êtes liée indirectement puisque ce St vos descendants directs vs l'avouez par vos propres paroles je, suis une, descendance de cette femme qui avait une vie de débauche josephine raciste et esclavagiste ainsi que, son ex époux Napoléon sachant que la vraie josephine est morte d'une appendicite et qu'il y a eu ursupation avec sa sœur seul le vrai DIEU VOUS JUGERA AU MOMENT VOULU VOS FRÈRES BÉKÉS ONT TOUJOURS EMPÊCHÉ LES NOIRS MARTINIQUAIS D'ÉVOLUER OR IL N'Y A AUCUNE DIFFÉRENCE INTELLECTUELLE VS 'LE SAVEZ PARFAITEMENT EN COMPLICITÉ AVEC LES GOUVERNEMENTS FRANÇAIS ÉCRIVEZ UN LIVRE CONTRE L' ABUS DE LA VIÉ CHÈRE EN MARTINIQUE ET VS NE SEREZ PLUS CONSIDÉRÉE COMME UNEBEKEE AUX YEUX DE VOS COMPATRIOTES BÉKÉS DE L'ABUS DE LEURS CRÉDITS BANCAIRES QU'ILS N'ONT JAMAIS REMBOURSÉ DES TERRAINS VOLÉS DS LES PLUS BEAUX TERRAINS DE L'ILE LES BÉKÉS PAYENT DES IMPÔTS DES OCTROIS DE MER DES IMPÔTS FONCIERS NON NON ÇA M'AMUSE QD UN BEKE ÉCRIT UN LIVRE SUR LA GUADELOUPE OU LA MARTINIQUE LISEZ LA BIBLE MADAME ET ÉCRIVEZ VOTRE LIVRE MAIS PRIEZ Dieu de vous inspirez pour dire la vérité sur les agissements cruels et perfides de vos ancêtres jusqu'à nos jours lors qu'il interviendra avec sa vraie justice il sera SS pitiés il voit tout et sait tout cordialement
Choupette
22/02/2025 à 08:47
J'aimerai tous les lire.
Pour les commander, en commençant par le premier. Une liste serait appréciable et utile.
Je reviens de Martinique où j'irai de plus en plus ( ma fille y vit depuis qques années).
Mais en voyant Marie-Reine de Jaham, sa personnalité me donne vraiment envie de lire ses écrits.
Marie-Reine de Jaham
23/02/2025 à 15:38
Que c'est gentil à vous, Choupette! Voulez-vous que nous échangions plus longuement par mail?
Vous pouvez me contacter mariereinedj@orange.fr. A bientôt! MRJ
Rayma
22/02/2025 à 14:43
Cela me parle beaucoup en tant qu'Antillaise d'origines diverses sur fond africain, indien... Nous avons envie de savoir comment ces Antillais, car les békés de Guadeloupe, Martinique et de toute la Caraïbe sont eux aussi des Antillais au même titre que les autres, vivent vraiment, comment ils vivent notre histoire commune entre "chiens et chats ". Nous ne les voyons pas. Nous savons qu'ils existent qu'ils pèsent très lourds économiquement mais pour nous ils vivent dans un autre monde, à l'écart de nous autres.
Marie-Reine de Jaham
23/02/2025 à 15:39
Vos remarques sont très intéressantes et je vous en remercie, Rayma!
Chavannes
05/03/2025 à 05:57
Pas sûr que les békés vivent comme tous les martiniquais... On ne les voit pas parce qu'ils choisissent de vivre à part.
BELLONIE Jean-Damien
22/02/2025 à 14:54
C’est avec un immense plaisir que je retrouve Marie-Reine de Jaham grâce à cet article
et reportage excellemment structuré et intéressant.
J’ai hâte de lire son dernier ouvrage.
Nous avons eu la joie et l’honneur de recevoir M-R de Jaham à
Marie-Reine de Jaham
23/02/2025 à 15:42
Rappelez-moi quand nous nous sommes rencontrés, Jean-Damien! Je serais ravie d'échanger de de nouveau avec vous. Mon mail: mariereinedj.orange.fr. A très vite! MRJ
Bern
22/02/2025 à 17:43
Vraiment surpris, qu'elle puisse faire "d'une cousinade avec Joséphine Tascher de la pagerie" et de surcroît, il y a bien d'autre famille d'origine colon qui ne se revendique pas. Àprès des recherches preuve à l'appuie....
Giga
22/02/2025 à 18:41
C est très bien et j aimerais vs recevoir à mon emission culture patrimoine et musique et prestige sur le plateau de kmt si possible
Marie-Reine de Jaham
23/02/2025 à 15:25
Bonjour, merci pour votre retour enthousiaste. Ce serait un immense plaisir de se rencontrer. Vous pouvez me contacter par mail à l'adresse mariereinedj@orange.fr
A très vite !
Michel
23/02/2025 à 14:18
Une lecture qui va me passionner,Metro vivant en Martinique depuis 1976, 82 ans,marié à une martiniquaise depuis quarante années, une activité professionnelle dans une administration
Un échange avec l’auteur,partage de mon vécu
Jc
23/02/2025 à 17:28
Avant il y avais des mélanges noir béké( viols ) mais comme aujourd’hui c est interdit normal qu il n y a plus de mélange puisque que le noir est détesté !
nuagejaune
23/02/2025 à 19:44
Je crois que Marie - Reine de JAHAM
est sincère dans ses écrits malgré qu’elle soit d’abord d’une romancière profondément martiniquaise, mal comprise des autres créoles d ascendance africaine
Et en 972 , il faut dire les choses telles
qu’elles sont, au risque de déplaire
À sa propre communauté, celle des
« Békés « descendants blancs colons:
Une pluralité des CRÉOLES mais pas dans le sens d’une diversité harmonieuse métissée, mais plus un « agglomérat « de groupes , de communautés forcées à vivre ensemble sous le regard de la République française et des fonctionnaires d ´Etat de métropole
Moi même issue d’une minorité arrivée en Martinique après 1848
j’ai du trouver ma place dans cette
Pluralité des « créoles « mais personnellement je ne me considère
pas créole
Kruppa babault
23/02/2025 à 19:50
Je pense que le nom de Jaham a été transformé le vrai orthographe serait Jaham d'origine poitevine , j'ai dans ma généalogie les Jahan de la ronde qui sont partis au Québec ( les acadiens).
C'est dans une revue de paris match que j'ai lu l'article.
Cordialement