Cathy Borie se sent à l’aise chez les éditions Avallon, elle nous avait profondément émus avec ses précédents titres, et à nouveau, elle récidive avec Une Femme dans les bois, son tout nouveau roman. Cathy Borie brosse des portraits de femmes prêtes à tout pour vivre émancipées, libres d’attaches, affrontant les dangers et les injustices de la vie. C’est l’inverse dans celui-ci : elle donne vie à une femme qui s’est enfuie de sa famille pour vivre dans la forêt, se fondre avec la nature et se soustraire au monde.
Le 12/02/2025 à 11:01 par Christian Dorsan
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Publié le :
12/02/2025 à 11:01
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Partout en France on évoque « la dame blanche », légende urbaine ou récit pour se faire peur, chacun à la sienne dans chaque région. Mais dans le roman de Cathy Borie, la « dame blanche » existe bel et bien et elle chaparde parfois dans les maisons, à la faveur de la nuit et même si on la devine au hasard des balades ou des chasses, personne ne l’a vraiment vue et ne sait qui elle est. Une femme dans les bois est l’histoire de celle qui hante une forêt et alimente l’imaginaire collectif.
Construit en deux parties, la première est une ode à la nature et la femme, la deuxième partie revient sur l’enfance, la jeunesse de cette mystérieuse « fée de la nature » et son histoire qui est étroitement liée à l’évolution de la société. Et comme à son habitude, Cathy Borie apporte ses mots qui touchent et apportent son lot d’émotions.
ActuaLitté : Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire de cette femme qui vit dans les bois ?
Cathy Borie : Il y a plusieurs facettes que je trouve fascinantes : la solitude immense de cette femme qui au lieu d’être une souffrance la sauve (plus ou moins) de ses démons intérieurs ; son pouvoir à tirer de la nature tout ce dont elle a besoin pour survivre ; l’écart énorme de sa vie avec celle que nous menons dans notre monde de vitesse et de technologie… Me mettre à sa place pour écrire cette histoire a été une vraie expérience, que je serais bien incapable de vivre en réalité.
La forêt est nourricière, voire hospitalière pour Cora, est-ce la nature même de la féminité ?
Cathy Borie : Je ne suis pas sûre que ce soit si simple. Nous nous sommes en tous cas beaucoup éloignés, nous les femmes et tous les humains en général, de ces figures féminines qui étaient en communion avec la nature, guérisseuses et autres sorcières réhabilitées depuis peu par les écrits féministes.
Mais j’avoue que cette idée de proximité femme/forêt trouve en moi une résonnance (intellectuelle en tous cas) et que j’ai été très touchée par des lectures comme Dans la forêt de Jean Hegland (trad. Josette Chicheportiche, Gallmeister 2018), Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba (Folio, 2022) ou encore Le Sanctuaire de Laurine Roux (Folio, 2022), pour n’en citer que quelques-unes. Je serais assez fière que Une femme dans les bois fasse écho à ces autrices.
L’enfance et la jeunesse de Cora sont liées à l’évolution de la société. D’une famille rurale « tribu », mai 1968 a bouleversé les codes et les habitudes du modèle familial traditionnel.
Cathy Borie : Pour l’avoir vécue (je suis née en 1955 comme Cora !) je crois que cette époque a marqué les mentalités à des tas de niveaux. Il existe des gens bien plus compétents que moi pour analyser les différents impacts dans de nombreux domaines.
En ce qui concerne le côté familial, éducatif et psychologique, le bouleversement me paraît évident, et l’histoire de Cora s’appuie en partie sur mes propres expériences ou celles de personnes plus ou moins proches : le changement de statut de la femme, les progrès technologiques qui se répercutent au quotidien, le recul de la ruralité, l’accès plus généralisé aux études supérieures, la notion d’adolescence qui vient se caler entre l’enfance et l’âge adulte...
Autant d’évolutions qui modifient le fonctionnement des familles et qui questionnent différemment chacun. et de leurs membres. Cora connaît ces modifications de façon un peu atténuée parce qu’elle vit à la campagne, mais comme la résistance au changement y est plus forte, elle n’est pas pour autant épargnée.
Dans les familles, on taisait encore la mort d’un enfant à ses frères et sœurs (Dolto était encore peu connue et le bébé n’était pas encore une personne), et l’homosexualité ne sera dépénalisée qu’en 1982, et retirée de la liste des maladies mentales qu’en 1981. Les drames que vit Cora ne sont donc pas exagérés, ils sont ressentis dans un contexte bien précis et entraînent des réactions à la mesure des souffrances éprouvées.
Habituellement, vos héroïnes se battent, Cora, elle, s’échappe, sa fuite est une forme de combat ?
Cathy Borie : Oui, en effet, dans la mesure où elle a compris/deviné que son état après la mort de Sam la conduirait dans un endroit qui la tuerait à petit feu. Elle fuit, mais sa fuite l’oblige à se battre pour sa survie, sa liberté, son autonomie, afin de trouver en elle et dans la forêt les ressources pour continuer à être un peu elle-même. C’est sans doute la plus courageuse de toutes mes héroïnes !
Un événement tragique bouleverse Cora, les traumatismes engendrent des bouleversements de vie. Est-ce une constante ?
Cathy Borie : C’est une constante dans mes romans parce que je crois en effet que la vie est comme ça. Le tragique que je raconte n’a pas toujours lieu dans la réalité, mes romans jouent un rôle de loupe en grossissant le trait, mais nous avons tous dans nos vies des exemples à plus petite échelle.
Quoi qu’il en soit, même si le traumatisme ne provoque pas un bouleversement visible et immédiat, il laisse une trace à l’intérieur de la personne, parfois indélébile, et qui sera peut-être à l’origine de changements ultérieurs, ou encore d’une souffrance chronique.
Les femmes sont au cœur de tous vos romans : courageuses, volontaires, mais souvent injustement malmenées. La femme est-elle sous-considérée ?
Cathy Borie : Oui et elle l’est d’abord par elle-même, elle a fini par intégrer cette infériorité transmise depuis des siècles dans la plupart des cultures, mais ce n’est pas un scoop. Si je raconte les vies de femmes que vous qualifiez de courageuses et de volontaires, ce sont pourtant au départ des femmes plutôt ordinaires, moyennes, banales, ce sont les circonstances qui les amènent à un combat qu’elles n’avaient pas prémédité.
Ce qui est le cas aussi dans la vraie vie. Et sans doute pour des tas d’hommes aussi, mais je ne me sens pas capable de me projeter dans un héros masculin, je préfère parler de ce que je connais mieux.
Pour vivre en harmonie avec soi-même, faut-il nécessairement vivre en dehors du monde ?
Cathy Borie : Je suis très tentée de répondre oui ! Le monde actuel me pousse de plus en plus à la solitude, je ne vis pas en sauvage comme Cora car je n’ai pas les compétences nécessaires, mais je fréquente très peu mes semblables. Bon, il reste évidemment les communications virtuelles, mais celles-là, au moins, on les maîtrise un minimum, on peut s’en déconnecter si on veut.
Cela dit, ce n’est pas forcément pour être en harmonie avec soi-même, même si ça aide, mais surtout pour ne pas multiplier les relations superficielles, parler pour ne rien dire, parader, etc. Pourtant je continue à penser que les humains ont beaucoup à s’apporter les uns aux autres, mais il semble qu’on a perdu le mode d’emploi…
À LIRE – Bruno Gaccio : "Je me fous de la morale des gens"
Tirée d’un fait divers, La Femme dans les bois, est une naufragée dans la forêt, si elle a choisi de vivre en dehors du monde, cet exil est lié à une blessure profonde, le monde extérieur vécu comme une menace ou peut-être, Cora se sent responsable du malheur qui a frappé sa famille.
Cathy Borie sème des indices, mais c’est aux lecteurs et lectrices de trouver la solution, car, si la solitude est un remède aux traumatismes, elle est aussi un poison qui tue à petit feu. Un roman qui, comme tous les autres ouvrages de Cathy Borie, donne à réfléchir et à repenser nos relations avec les autres et les événements qui nous touchent.
Crédits image : © Cathy Borie
Par Christian Dorsan
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 10/01/2025
192 pages
Les éditions d'Avallon
19,00 €
Paru le 07/06/2018
308 pages
Gallmeister
11,00 €
Paru le 03/02/2022
140 pages
Editions Gallimard
8,00 €
2 Commentaires
Florence LIENARD
13/02/2025 à 17:18
Je suis fan des romans de Cathy Borie.
J'ai acheté "une femme dans les bois" mais n'ai pas encore eu le temps de le lire.
Nous nous connaissons depuis longtemps : nous étions instits à l'école Léo Lagrange à Sartrouville (78)
J'espère que beaucoup de lecteurs auront envie de découvrir ses romans grâce entre autres à cet article.
Cathy
15/02/2025 à 16:47
Merci mille fois pour ton soutien !