Des officiers de la police israélienne ont mené des raids dans deux librairies emblématiques de Jérusalem-Est spécialisées dans l'identité palestinienne et le conflit israélo-arabe. Lors de ces interventions, de nombreux ouvrages ont été confisqués et Mahmoud Muna, le propriétaire de ces établissements, ainsi que son neveu, Ahmad Muna, ont été arrêtés.
Le 10/02/2025 à 12:47 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
10/02/2025 à 12:47
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Selon un journaliste de Haaretz, Nir Hasson, ils ont été détenus pour la nuit dans les locaux de la police de la Mission russe de Jérusalem, suite à une opération autorisée par un mandat de perquisition judiciaire.
Le frère d'Ahmad Muna, Murad Muna, a révélé que pour choisir les livres à confisquer, majoritairement rédigés en arabe, les policiers auraient utilisé Google Translate. « Ils ont pris tout livre qui ne leur plaisait pas », a-t-il déclaré. Parmi eux figuraient l'œuvre de l'artiste Banksy, Wall and Piece, et Gaza in Crisis par l'académicien américain Noam Chomsky et le chercheur israélien Ilan Pappé, ou Love Wins, par le cinéaste et photographe canadien Afzal Huda.
Il a également mentionné un incident spécifique où les policiers ont réagi à la vue d'une édition du journal Haaretz comportant des images d'otages, en interrogeant sur son contenu avant de conclure à de l'incitation à la violence et de saisir tout livre arborant un drapeau palestinien.
Nir Hasson, qui a eu accès au communiqué complet de la police, explique que « le délit qui leur est imputé n'est pas une incitation ou un soutien au terrorisme, mais plutôt une violation de l'ordre public ». Une accusation qui nécessite, dans la loi, une approbation formelle des procureurs. Le propriétaire et son neveu feront face à une audience devant le tribunal ce lundi.
La police a partagé comme preuve que les libraires se livrent à l'incitation et au soutien au terrorisme, un livre de coloriage, From the River to the Sea.
Le slogan complet, From the river to the sea, Palestine will be free, a été créé par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964, exprimant l'idée d'un État unique allant de la Méditerranée au Jourdain. Avec le temps, il a été adopté par le Hamas, renforçant l'interprétation de certains comme un appel à l'éradication d'Israël. D'autres voient dans ce slogan une aspiration à la démocratie et à l'égalité de droits entre Palestiniens et Israéliens, sans intention destructrice d'Israël.
La police israélienne a par ailleurs déclaré que « les détectives ont rencontré de nombreux livres contenant du matériel incitatif avec des thèmes nationalistes palestiniens » dans les enseignes.
Fondée en 1984 sur la rue centrale Salah el Din à Jérusalem-Est, Educational Bookshop (EB) s'est imposée comme une des librairies les plus importantes dans la diffusion de la culture du Moyen-Orient et du conflit arabo-israélien.
Ses collections comprennent principalement des ouvrages de recherche publiés par des institutions et des éditeurs, mais aussi une sélection variée de littérature arabe, de guides, de dictionnaires et de manuels d'enseignement de l'arabe, selon la structure. La librairie est par ailleurs un centre culturel actif, organisant des lancements de livres, des conférences et des projections de films.
La succursale originale vend des livres en arabe, tandis que la librairie anglophone est fréquentée par des Palestiniens, des Israéliens et des étrangers. La troisième est située dans l'American Colony, un hôtel de Jérusalem populaire depuis des décennies.
Mahmoud Muna, le propriétaire des enseignes, a poursuivi ses études supérieures à Londres, où il a obtenu des diplômes en informatique. Actif dans diverses initiatives culturelles et littéraires, il intervient régulièrement dans les médias.
Le député Ayman Odeh, qui dirige le parti politique communiste Hadash, et l'auteur engagé Nathan Thrall ont manifesté ce matin à Jérusalem contre l'arrestation d'Ahmad et Mahmoud Muna. Plus généralement, sur les réseaux sociaux, le soutien à la librairie et son équipe domine.
« Dans une réalité où les enfants meurent de faim et meurent de faim, que les morts dans le voyage d'extermination qu'Israël mène à Gaza sont comptés par dizaines de milliers et que les survivants essaient de reconstruire leur vie dans la destruction et sous la menace constante, la barbare d'hier L'invasion de la librairie éducative de Jérusalem-Est semble presque négligence, marginale, mais il est important de s'attarder dessus et sur le lien entre les choses », a partagé, de son côté, sur sa page Facebook, la traductrice et présidente du groupe de défense des droits humains B’Tselem, Orly Noy.
Cette dernière confesse : « Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites sur ce commerce si spécial, qui est un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui s'intéressent à la culture de la région en général, et la culture palestinienne en particulier. Avec l'aide du propriétaire Mahmoud Mona, j'ai découvert là de jeunes poètes palestiniens qui étaient pour moi de vraies perles. »
Parmi les autres réactions à cette opération de la police israëlienne, la rapporteuse spécial des Nations unies sur les territoires palestinien, Francesca Albanese, a confié sur X : « Choqué par le raid des forces israéliennes sur la librairie éducative de Jérusalem-Est, un phare intellectuel et un joyau familial résistant à l'effacement des Palestiniens sous l'apartheid. Chers citoyens internationaux à Jérusalem : venez nombreux, soutenez la famille Muna et protégez ce centre vital. Ne les laissez pas seuls ! »
L'organisme Ad Kan, qui milite pour la paix entre Juifs et Palestiniens, a déclaré que la librairie et ses employés « sont une partie importante de l'avenir partagé que nous envisageons pour Jérusalem. L'arrestation et la confiscation nuisent non seulement au droit à la libre expression et à la liberté d'information, mais placent également l'avenir de la ville sur le fil du rasoir. »
B'Tselem a pour sa part appelé à la libération immédiate des deux hommes et à la fin de la persécution des intellectuels palestiniens. « La tentative d'écraser le peuple palestinien inclut le harcèlement et l'arrestation d'intellectuels », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Et de développer : « Mahmoud et Ahmad Muna, figures bien connues de la scène culturelle de Jérusalem, dirigent la Librairie Éducative - un point de rencontre pour la discussion culturelle et politique. Israël doit les libérer immédiatement de détention et cesser de persécuter les intellectuels palestiniens. »
Educational Bookshop est inscrite depuis 2023 dans le réseau Médi Weaves, composé de librairies indépendantes situées de Athènes à Tel Aviv, incluant Paris, Barcelone, Tanger, Jérusalem et Syracuse, visant à promouvoir le livre comme outil d'échange interculturel autour de la Méditerranée. Ce projet soutenu par des mécènes comme la Fondation Jan Michalski et l'association Noi Albergatori, vise à renforcer le rôle des libraires dans la promotion du dialogue et de la diversité culturelle.
Il « condamne fermement les descentes menées hier par la police israélienne à l’East Jerusalem Educational Bookshop ainsi que l’arrestation de son propriétaire, Mahmoud Muna, et de son neveu, Ahmad Muna ». Et, là-encore, « exige leur libération immédiate ».
« Il s’agit d’un acte fasciste manifeste que d’attaquer une librairie, de confisquer des livres et d’arrêter ses propriétaires sous prétexte que le gouvernement israélien n’approuve pas leur contenu », selon Marilia Di Giovanni, directrice générale fondatrice de Medi Weaves et propriétaire de la librairie Casa del Libro Rosario Mascali à Syracuse. Et d'être formelle : « Si les livres deviennent une menace, alors ce n’est plus une démocratie. »
Ce raid intervient dans un contexte où la police avait déjà fermé, la semaine précédente, une autre librairie dans la vieille ville de Jérusalem, non nommée par The Times of Israel. Cette fermeture faisait suite à la vente de livres jugés incitant à la violence, mettant en avant des figures telles que Yahya Sinwar et Hassan Nasrallah, respectivement anciens chefs du Hamas et du Hezbollah, tués par des frappes israéliennes en 2024. Le propriétaire de cette librairie, un homme dans la quarantaine résidant dans la vieille ville, a été arrêté, interrogé et son commerce a été fermé pour une durée d'au moins 30 jours.
Des actions des forces de l'ordre qui s'inscrivent dans un contexte de tensions à Jérusalem-Est qui s'étalent depuis plusieurs mois. Le 13 août dernier encore, Itamar Ben Gvir, ancien ministre israélien de la Sécurité nationale et figure de l'extrême droite, a mené un groupe de près de 2250 juifs qui ont prié et hissé le drapeau israélien sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est.
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Cet acte, perçu comme une provocation, a eu lieu lors de la commémoration de Ticha Beav, marquant la destruction des temples juifs. Malgré la règle du statu quo de 1967, qui interdit la prière non-musulmane sur ce site, ce geste a exacerbé les tensions, avec des critiques affirmant qu'il s'agit d'une tentative de judaïsation du lieu, en contradiction avec le droit international et les accords de paix qui préservent le statut du site. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, s'était désolidarisé de l'incident, réaffirmant l'engagement d'Israël envers le statu quo.
Le parti Otzma Yehudit, dirigé par le même Itamar Ben Gvir, a récemment démissionné du gouvernement israélien pour protester contre un accord d'échange de prisonniers avec le Hamas, considéré par eux comme illégal.
Avec cette démission, le gouvernement a perdu six sièges mais conserve une majorité avec 62 sièges restants sur 120 à la Knesset. L'accord de cessez-le-feu et d'échange de prisonniers à Gaza, approuvé par le gouvernement israélien, comprend trois phases sur une période de 42 jours chacune. Il fait suite à plusieurs mois d'intenses bombardements de la bande de Gaza par Israël, en représailles à l'attaque du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas.
Crédits photo : Partie de Jérusalem-Est. Andrew Shiva (CC BY-SA 4.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
10 Commentaires
Thomas M.
10/02/2025 à 13:35
Etrange qu'en France, les mêmes qui conspuent l'identité française célèbrent celle palestienne et font peu de cas de celle israélienne.
Au risque du point Godwin, il faut bien reconnaître que "From the river to sea" a le même poids que "Deutsche uber alles"...
Qui sème le vent récolte la tempête, la bande de Gaza n'a jamais été aussi proche d'un reset américain.
Je n'ai pas souvenir, dans l'histoire humaine, d'une période où le terrorisme ait gagné le match. Surtout pas contre Israël.
Cyril Balcon
11/02/2025 à 02:17
+1
Michel Seamless
11/02/2025 à 12:24
Au risque du point Godwin, il faut bien reconnaître qu'approuver à demi-mot un "reset américain" a le même poids que souhaiter "une solution finale"...
Aurélien Terrassier
12/02/2025 à 11:52
Propos ignobles je me demande ce que fait la modération des fois.
J.Cutler
11/02/2025 à 08:24
Etonnant? Non. cf le dernier "Manière de voir" : "L'antisémitisme et ses instrumentalisations" On sait que nombre d'Israéliens, conscients de leur identité, réprouvent le pouvoir actuel.
Cyril Balcon
12/02/2025 à 01:00
oui on connait "je suis antisioniste" mais quand même "from the river to the sea" :
https://www.lefigaro.fr/politique/pour-92-des-juifs-francais-la-france-insoumise-contribue-a-faire-monter-l-antisemitisme-20240607
J.Cutler
12/02/2025 à 09:25
Lisiblement la réflexion n'est pas votre tasse de thé.
Aurélien Terrassier
12/02/2025 à 13:25
Nulle part chez ce type d'individu.
Cyril Balcon
13/02/2025 à 01:25
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Aurélien Terrassier
11/02/2025 à 09:26
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