#POLITEIA2025 – La seconde édition du festival biennal des idées, Politéïa, se tiendra du 13 au 16 mars 2025, à Thionville. La première édition avait été marquée par des échanges autour du thème de « La Liberté ». Cette fois, « Le Progrès » sera au centre des débats. La notion, acquise il y a un temps, est aujourd'hui remise en question, tant par les défis écologiques que les mutations technologiques, en passant par les débats sociétaux qui en redéfinissent les contours.
Le 11/02/2025 à 17:59 par Hocine Bouhadjera
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C'est pourquoi, l'intitulé exact de cette édition se présente en forme de question : « Quels progrès ? » L'adjoint à la culture de la mairie de Thionville, Jackie Helfgott, constate : le concept de progrès, bien que central dans l’histoire des idées, a été différemment apprécié en fonction des époques et des contextes socio-culturels.
Chez Aristote, on ne trouve pas une véritable théorie du progrès telle qu’on la conçoit aujourd’hui, mais plutôt une vision du développement humain marquée par des cycles, où certaines formes de savoir et d’organisation politique apparaissent, disparaissent, puis réapparaissent sous d’autres formes. Plus généralement, le respect pour les ancêtres de l'antiquité reflétait cette même vision cyclique du temps, où chaque période devait honorer et préserver l'héritage des précédentes, plutôt que d’envisager un progrès linéaire et continu.
À La Renaissance, l’idée d’une amélioration globale de la condition humaine émerge, notamment à travers les avancées scientifiques et techniques. On observe un regain d’intérêt pour l’Antiquité, une explosion des connaissances scientifiques (Copernic, Galilée), et des révolutions artistiques et humanistes, mais la croyance en un progrès linéaire de l’humanité n’est pas encore dominante. L’idée de progrès reste limitée à certains domaines, et ne s’étend pas encore à l’idée d’un perfectionnement généralisé de la société ou de l’individu.
Les sociétés anciennes, notamment celles de la Grèce antique et de Rome, étaient largement perçues comme les modèles parfaits d’organisation politique, sociale et culturelle. Dans cette perspective, la recherche du meilleur monde possible passait moins par l’amélioration continue que par la restauration ou l’imitation des anciennes pratiques jugées comme ayant atteint une forme de perfection, en particulier dans des domaines comme la politique, l'art et la philosophie.
Avec le Siècle des Lumières, l'idée de progrès prend une dimension plus philosophique et universaliste : le progrès devient une aspiration à l’émancipation de l’individu et de la société par la raison, le savoir et la science. Pourtant, aucun cadre strict ne permet encore d’objectiver ce progrès ou d’en mesurer les effets concrets. Certains penseurs des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau, restent par ailleurs critiques face aux effets du progrès technique et scientifique sur la moralité et la société.
Il faudra attendre les deux derniers siècles pour que la notion de progrès se structure de manière plus rigoureuse, entre Auguste Comte et autres saint-simoniens, englobant à la fois l’évolution de l’individu, de la société et, plus largement, de l’humanité tout entière : « On parle alors d’un progrès linéaire, suivant une trajectoire ascendante et cumulative », constate Jackie Helfgott.
Ce dernier développe : « Aujourd’hui, cette conception linéaire du progrès est profondément mise à l’épreuve. Les crises écologiques, les pandémies, la résurgence des guerres et des tensions géopolitiques, ainsi que l’incertitude politique et les conflits sociaux viennent bousculer l’idée d’un progrès continu et inéluctable. »
Dès lors, quel progrès peut-on encore envisager ? C’est la question centrale que cette édition du festival Politéïa entend explorer : devons-nous toujours penser le progrès comme un mouvement continu vers un idéal collectif, ou devons-nous reconnaître qu’il s’agit d’un cheminement plus complexe, fait de reculs, de stagnations et de réorientations ? Le progrès est-il d'ailleurs une notion universelle ?
Si certaines avancées, notamment scientifiques et technologiques, semblent indéniables — comme l’essor de l’intelligence artificielle ou les progrès en biotechnologies et en génétique — elles soulèvent aussi des questions éthiques et sociétales profondes : « L’IA, par exemple, modifie radicalement le travail, la créativité et même notre rapport à la connaissance, tandis que les manipulations génétiques ouvrent la porte à des dilemmes bioéthiques majeurs », analyse l'adjoint à la culture de la mairie de Thionville.
Et de continuer : « Dans le même temps, les tensions géopolitiques, la montée des nationalismes et le retour de guerres à grande échelle démontrent que le progrès politique et social n’est jamais acquis. Les événements récents montrent à quel point la trajectoire du progrès peut s’inverser ou se fragmenter, remettant en cause des acquis que l’on pensait inébranlables. »
L'élu en arrive à une question : « Doit-on encore le penser comme une marche ininterrompue vers un avenir meilleur, ou faut-il reconnaître que son cheminement est bien plus tortueux, incertain, voire parfois régressif ? Une certitude demeure : le progrès n’est plus linéaire, et c’est précisément cette complexité qui mérite d’être interrogée. »
Pour se rapprocher d'une réponse satisfaisante à cette question, quatre jours, plus de 80 intervenants, et une quarantaine de rendez-vous, incluant tables rondes, leçons, projections cinématographiques ou des spectacles. La première journée, le jeudi 13 mars, commencera par une matinée dédiée aux scolaires, tout en étant ouverte au grand public.
Côté tables rondes, la première, Comment faire progresser la démocratie ?, réunira Charlotte Girard, Pascal Perrineau et Antoine Bristielle pour discuter du renouveau de la démocratie et de la participation citoyenne dans un monde en constante évolution. La question, Le progrès entraîne-t-il une crise des valeurs ?, sera abordée par Vivien Garcia, Wolf Feuerhahn et Philippe Huneman, qui exploreront les effets du progrès sur les repères et valeurs fondamentales.
Comment la fiction questionne le progrès ? verra Fleur Hopkins-Loféron, Virginie Tournay et Jacques Véron échanger sur le rôle de la fiction dans l'exploration des choix technologiques et sociaux, quand L’école est-elle encore source de progrès ? réunira Marie Duru-Bellat, Grégoire Borst et Jean-Michel Blanquer pour débattre du rôle de l’éducation dans l’émancipation et la transmission des savoirs face aux inégalités et aux évolutions sociétales.
La musique et son évolution seront explorées dans la table ronde La musique régresse-t-elle ?, avec Christophe Conte, Florent Garcia et Michèle Tosi, et pour traiter de l'Occident et de ses enjeux actuels, Isabelle Lasserre, Pierre Haski et François Heilbronn se demanderont : L’Occident est-il en déclin ?
Les discussions incluront le rôle des entreprises dans le progrès social, l’héritage des Lumières, les inégalités territoriales, l’impact de la robotisation et de l'IA, les progrès des droits des femmes, les avancées en santé mentale, le rôle de l'art dans la société, l'influence de la politique sur le progrès, l'éducation, l'écologie, ou encore le rôle des jeunes générations dans la définition de l'avenir. Le progrès est-il de droite ou de gauche, voici une des grandes questions qui sera soulevée...
Trois grands entretiens sont par ailleurs prévus. Marie Dosé, avocate française spécialisée dans le droit pénal, et Julia Minkowski, co-fondatrice et présidente du Club des Femmes Pénalistes, échangeront autour de la présomption d'innocence, un principe humaniste fondamental souvent mis à l'épreuve. Cet entretien s'articulera autour de leur ouvrage récent, Éloge de la présomption d'innocence (L'Observatoire), et examinera comment ce principe est perçu et appliqué dans le contexte actuel de la justice.
Celui qui occupe la chaire de Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie au Collège de France depuis 2006, Antoine Compagnon, discutera des Antimodernes. Ces figures intellectuelles, comme Chateaubriand, Baudelaire et Proust, qui ont avancé tout en regardant dans le rétroviseur, illustrant une approche critique de la modernité. Cette discussion permettra de mieux comprendre ce courant qui définit une partie de la modernité en la distinguant d'un progressisme trop simpliste.
Enfin, Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo et écrivain, accompagné de Philippe Val, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo et ancien Directeur général de France Inter, explorera des thèmes liés à la liberté d'expression et à la tolérance.
Cette édition du festival Politéïa proposera également plusieurs leçons, dont une d'Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de Protection des Oiseaux, qui interrogera l’impact du progrès sur la biodiversité et la défense des espèces menacées, à l’occasion de la parution de son Dictionnaire amoureux de la vie sauvage (Plon).
Michèle Riot-Sarcey, historienne et spécialiste du féminisme, reviendra sur sa vision du progrès et des idéaux émancipateurs dans une leçon d’histoire. Laurence Devillairs, philosophe et spécialiste du XVIIe siècle, abordera la contribution des femmes à la pensée philosophique et sa perception du progrès, à l’occasion de la sortie du livre collectif Ce que la philosophie doit aux femmes (Robert Laffont). Grégoire Borst, professeur en neurosciences cognitives de l’éducation, dirigera une master class sur les avancées pédagogiques et les évolutions du système éducatif à travers les sciences du développement.
Comme lors de la première édition, la plupart des lieux emblématiques de la ville seront investis, parmi lesquels le Puzzle, le Théâtre municipal et le Casino. À cela s’ajoute la participation de trois librairies indépendantes de Metz et d’une librairie de Thionville, afin d’assurer la présence de « l’outil indispensable pour porter des idées, les livres », explique Pascal Didier, à l'origine de cette idée de festival.
Thomas Snégaroff présentera une conférence musicale, Ils ne méritent pas tes larmes, retraçant le combat des neuf lycéens noirs de Little Rock en 1957.
Le Hot Swing Orchestra fera revivre l’esprit du jazz en déambulant dans la ville, accompagnant le public vers les lieux du festival. Côté cinéma, trois projections viendront questionner le progrès : Les Temps modernes de Charlie Chaplin pour les scolaires, Soleil Vert sur l’effondrement écologique et Her, qui interroge notre rapport à l’intelligence artificielle.
À LIRE - Le(s) Progrès, grand thème du second Festival des Idées Politéïa
Une librairie éphémère et des séances de signatures permettront de découvrir les ouvrages des invités, quand l’exposition photographique collective Échos de demain, menée par Fanny Indo et Mickaël Stibling, explorera l’essence du progrès à travers l’image. La compagnie Nihilo Nihil proposera un apéro littéraire autour des liens entre nature et progrès. Un atelier d’écriture sur la poésie et l’IA animé par Dorian Masson invitera à créer avec l’intelligence artificielle. Enfin, la Place de la Liberté accueillera un village gourmand avec food-trucks et espaces conviviaux.
Et pour conclure, un souhait de Jackie Helfgott : « Que Boualem Sansal soit libéré, car après un festival consacré à la liberté, sa présence parmi les invités prendrait tout son sens. Il est d'ailleurs symboliquement inscrit dans la liste des intervenants. »
Ci-dessous, le programme complet de l'édition 2025 de Politéïa :
Crédits photo : Festival Politéïa
DOSSIER - Festival Politéïa 2025, à Thionville : Quels progrès, et quels avenirs ?
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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