Bourrée d’énergie, d’idées et d’envie de créer ce qui n’existe pas, Joëlle Epée Mandengue est une belle personnalité à très fort potentiel. Dessinatrice de BD, elle crée en 2016 un festival qui acquiert très vite une renommée internationale : le Bilili BD Festival à Brazzaville. Depuis 9 ans, il met en lumière les talents de la BD en Afrique, connus ou inconnus. Mais Joëlle Epée Mandengue est aussi commissaire d’exposition, découvreuse de talents, initiatrice de collaborations panafricaines et internationales, éditrice, … mille et un projets passionnants.
Le 30/01/2025 à 12:48 par Agnès Debiage
2 Réactions | 100 Partages
Publié le :
30/01/2025 à 12:48
2
Commentaires
100
Partages
Impossible de ne pas entendre son nom quand on s’intéresse à la bande dessinée en Afrique. Depuis des années, Joëlle Epée Mandengue fait partie de ces personnes qu’on évoque souvent autour de moi mais je ne l’avais jamais rencontrée. Et puis, en mai dernier, lors du Salon international du Livre d’Abidjan (SILA), je me suis retrouvée face à elle. Coup de cœur pour celle que j’ai surnommée « Ma star », petit clin d’œil à sa popularité. On s’est assises côte à côte et c’était comme si on se connaissait déjà. Quelques mois sont passés et j’ai eu envie d’en savoir plus sur tout ce qu’elle entreprend.
ActuaLitté : Alors Joëlle, comment est né ce Bilili BD Festival ?
Joëlle Epée Mandengue : Bilili a démarré tout petit, très modestement en 2016 avec 200 visiteurs à l’Institut français de Brazzaville. Neuf ans après, il est en train de devenir un « petit grand » qui se multiplie sur le continent africain avec le concept des Bilili pop-ups (des mini Bilili BD Festival dans d'autres pays). La confiance que nous accorde pas mal de partenaires depuis des années soutient ce développement et certains nous demandent d’implémenter chez eux cette expertise du Bilili BD Festival. C’est notre capacité à stimuler les territoires et la création au niveau de la BD et de quelques arts graphiques périphériques qui favorisent ce développement dans un environnement sain, crédible et propice à des collaborations.
Depuis 2020, nous avons commencé à streamer tous nos ateliers, conférences, cérémonies d'ouverture et de clôture, … Parfois même, on enregistre et on rediffuse plus tard. Mon objectif est de permettre à tous ceux qui ne peuvent pas être à Brazzaville lors du Bilili, de ne pas être déconnectés de tout. J’ai envie qu’ils vivent un peu à distance, ce qui se passe et ce qui se dit au Bilili BD Festival.
En quoi l’édition 2024, en décembre dernier, marquait-elle encore une étape supplémentaire ?
Joëlle Epée Mandengue : 2024 a été l’édition de tous les records : nous avons eu plus de 45 invités internationaux qui ont convergé vers Brazzaville représentants une vingtaine de nationalités.
Parmi les nouveautés 2024, le Bilili a accueilli sa toute première résidence Europe-Afrique 100% féminine, réunissant des autrices du collectif féministe suisse “La Bûche” et des autrices venant de Guinée Conakry, du Maroc, du Gabon, de RDC et du Kenya. Elles avaient pour mission de travailler sur la thématique croisée de la « sororité » avec sous-jacente, la question du contact et même du premier contact, quel qu’en soit la conception. L’idée était de montrer en miroir, les ressemblances, les différences, les forces et les faiblesses, les réussites et les échecs. Elles ont expérimenté, par le dessin, la rencontre entre des autrices de différents continents qui exercent la même profession.
La programmation était riche en rendez-vous avec notamment des focus internationaux permettent à des invités de présenter leur travail au grand public comme aux professionnels présents. Cela avait comme objectif, au-delà de la découverte, de fluidifier les échanges et les possibles collaborations.
Enfin, pour la première fois, nous avons eu le plaisir d’accueillir Marie Fabbri, la directrice du marché des droits du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Les droits sont un sujet essentiel car nous avons beaucoup de dessinateurs, mais surtout d’autodidactes qui se sont parfois formés au dessin sur YouTube mais qui ignorent tout de cet environnement, de ce métier, des lois en vigueur, de comment valoriser leurs œuvres dans d’autres pays et d’autres langues.
Enfin, le Bilili BD a aussi été un carrefour des langues puisqu’il a intégré de la BD anglophone lusophone, arabophone (classique et dialectal). Cela nous a donné l’opportunité de présenter des travaux de plusieurs pays, avec même des inserts en swahili (pour la BD kenyane) et une anthologie de la bande dessinée guinéenne qui intègre des termes dans les langues parlées localement. Du coup, la question des droits était au cœur de nombreuses collaborations.
Quel regard portez-vous sur le développement de la bande dessinée en Afrique ?
Joëlle Epée Mandengue : La pénétration des réseaux sociaux et du digital notamment via les smartphones ont accéléré la « consommation » de bandes dessinées, mais aussi les adaptations en dessins animés ou en jeux vidéo de BD. Cela a stimulé l’envie de créer et d’exister et j’ajouterais même l’envie de créer sur son territoire avec son propre imaginaire. Quand on regarde cette évolution de la BD en Afrique, il y a un avant les années 80 et clairement un après bien différent. Et les années 2000 ont encore marqué une nouvelle étape.
Si on observe la courbe de création avec l’influence majeure du manga japonais ou du « manhwa » coréen qui pénètre de plus en plus les téléphones portables, je pense que, sur les 5 à 10 prochaines années, les maisons d’édition qui allient BD et digital connaîtront une explosion de leur activité.
La population du continent africaine est très jeune. Les adolescents et étudiants d’aujourd’hui, imprégnés de cette culture BD, seront des jeunes parents dans quelques années. De ce fait, on peut imaginer qu’avec plus de moyens financiers, cette génération sera encore plus avide de contenus qu’aujourd’hui et sera tentée de transmettre cette culture à ses propres enfants.
Nous sommes sur une dynamique de croissance qui n’a pas encore révélé toute sa force. On pourra alors faire des Etats généraux très positifs de l’avancement de la BD sur le continent africain.
Quels sont les projets d’Elyon’s, l’autrice de BD que vous êtes également ?
Joëlle Epée Mandengue : Avant je pensais que je n’étais pas très active. Petite, on me disait même que j’étais fainéante. Mais je me rends compte quand j’évoque mes projets que cela peut faire beaucoup. On peut se dire que je n’ai pas de vie en dehors de mon travail, que je n’ai pas d’amis … mais non je vous rassure tout va bien et j’arrive même à faire des nuits de 8h (c'est rare, mais ça arrive).
Je suis très reconnaissante envers Dieu. Quand dans une journée surchargée, le bon contact arrive au bon moment, cela m’aide tellement.
N’oublions pas que je suis scénariste, j’aime écrire des histoires et créer des fils de connexion entre un personnage et une situation. Force est de constater que, dans cette réussite de Bilili, il y a clairement un scénario qui nous dépasse, avec des connections improbables mais qui donnent des infinis merveilleux. Du coup, dans mes projets et mes interventions, je continue à exister en tant qu’autrice.
Par exemple, je travaille sur un projet qui rassemble plusieurs pays autour de la thématique de la mémoire du génocide dans le monde et moi, je me focalise sur le Rwanda pour l’Afrique (recherche dans le pays, témoignage de survivants, mise en commun de toutes ces histoires lourdes mais qu’on doit raconter). Les générations futures ne doivent pas oublier que la nature humaine est complexe et que le mauvais endoctrinement peut amener à des massacres de masse. Ce projet dans lequel je suis très investie, verra le jour en 2026 normalement.
Elyon’s, l’autrice, continue à travailler aussi sur La vie d’Ebène Duta (la BD dont j’ai publié déjà 3 tomes et qui en comptera 6). Je garde active mon identité d’autrice à laquelle je suis attachée.
Quels liens tissez-vous entre les régions du continent ?
Joëlle Epée Mandengue : Les réseaux sociaux ont donné beaucoup de visibilité aux auteurs de toutes les régions d’Afrique, qu’elles qu’en soient les langues. Les outils de traduction en ligne ont favorisé les échanges entre les communautés linguistiques.
A titre d’exemple, lorsque j’ai eu à travailler sur l’exposition Kubuni, bandes dessinées d’Afrique.s (avec la Cité internationale de la Bande dessinée d’Angoulême), le fait d’être en contact avec Zebra comics au Cameroun m’a beaucoup aidé à mettre des noms sur des personnages, des auteurs que je suivais (notamment avec le Nigéria et le Ghana). J’ai aussi pu mieux découvrir la bande dessinée d’expression arabe.
Dans le cadre du dernier Bilili, nous avons créé une exposition intitulée Carrefours qui permet de réunir des auteurs s’exprimant dans un dialecte marocain, un auteur mauritanien qui fait de la BD en français mais qui est imprégné d’une culture musulmano mauritanienne forte, mais aussi un auteur de Guinée équatoriale qui lui écrit en espagnol.
L’exposition va être enrichie avec, par exemple, un auteur d’Ethiopie qui produit des BD en anglais et en amharique. C’est intéressant de voir que finalement nous sommes tous du même continent et que Bilili participe activement, à créer des liens et faire naître des collaborations. En Afrique, les créateurs tissent aussi leur toile d’influence toutes langues confondues grâce aux réseaux sociaux. C’est formidable.
Et parlez-nous de cette activité d’éditrice que vous mettez en place ?
Joëlle Epée Mandengue : En fait, c’est plus mon mari, Jean-Jacques qui s’occupe de cela et se forme dans ce sens. Depuis plusieurs années, nous avons connecté de formidables dessinateurs avec de belles maisons d’édition, notamment en France, pourtant certaines pépites qui nous tiennent très à cœur n’ont pas encore pu être éditées.
Alors, nous nous sommes donnés comme objectif d’en publier plusieurs en 2025, sous le nom des éditions Maduta. Nous sommes accompagnés par certains spécialistes de l’édition qui voulaient mener des projets en Afrique. Et c’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous nous engageons dans cette voie. Et puis, cela me permettra aussi de ne plus publier mes albums La vie d’Ebène Duta en auto-édition, il y a donc une cohérence dans cette orientation.
Parmi vos multiples facettes, vous êtes aussi commissaire d’exposition. Pourquoi ?
Joëlle Epée Mandengue : J’ai eu le plaisir et l’honneur d’être commissaire de plusieurs expositions. J’ai été formée au musée du Louvre dans la conception d’expositions temporaires. C’était un programme incroyable. En dehors des expos virtuelles comme “Afropolitan Comics”, ou le blockbuster “Kubuni, les bandes dessinées d’afrique.s” qui a fait le tour du monde, j'ai travaillé sur « Kosangisa », une exposition en réalité augmentée montrant la créativité des auteurs congolais de Brazzaville et Pointe Noire autour du thème du métissage.
Sayan Kid est le jeune prodige qui m'a assisté dans cette aventure. J’ai aussi une collaboration avec un musée qui travaille sur la BD du continent, au féminin. Le résultat de cette collaboration sera rendu public fin 2025.
Allez dites-nous tout ? Avez-vous un grand projet ?
Joëlle Epée Mandengue : Oui ! résolument ! J'ai un grand projet de cœur que je conçois petit à petit depuis pas mal de temps, accompagnée par certains partenaires : un musée sur la mémoire de la bande dessinée en Afrique, qui serait à la fois centre de ressources, bibliothèque mais aussi tiers lieu qui permettrait d’expérimenter d’autres activités et concepts autour de la BD, de l’illustration, du livre papier comme de sa version dématérialisée.
J’ai vraiment envie que ce musée voie le jour dans les deux années à venir au Congo Brazzaville. Il y a un enjeu de mémoire essentiel pour les générations à venir. Tellement d’auteurs se font voler leur téléphone (beaucoup dessinent brillamment au doigt sur leur smartphone), certains perdent tout à cause d’un problème technique de leur ordinateur, Christophe Cassiau Haurie a perdu une magnifique collection d’albums introuvables à cause d’un dégât des eaux.
Constituer cette mémoire, rendre ce musée réel, c’est mon grand grand projet 2025 - 2027.
Crédits photo : Joëlle Epée Mandengue
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
2 Commentaires
Nathalie
31/01/2025 à 13:18
Chez quel éditeur peut-on trouver (en France) des bd d'auteurs africains ?
Paul MONTHÉ
01/02/2025 à 18:13
WOOAAARRRGH 🙆🏿♂️😳💪🏾😃✨✨✨!