À l'occasion d'une conférence donnée en Pologne à l'Institut français, l'écrivain David Camus, petit-fils d'Albert Camus revenait sur le parcours de son grand-père. « Comme disaient les Polonais : "Il a été naturalisé Polonais." Mon grand-père reste plus que jamais d’actualité, et plus je le lis, plus je trouve que ses écrits nous aident. » Il confie le texte de son intervention à ActuaLitté.
Le 23/01/2025 à 16:45 par David Camus
13 Réactions | 324 Partages
Publié le :
23/01/2025 à 16:45
13
Commentaires
324
Partages
En ce début de 2025, alors que la Pologne vient de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, sa résistance face aux totalitarismes nazi puis soviétique résonne avec une actualité particulière. Dans l’après-guerre, alors que l’Europe se reconstruisait et se divisait sous la menace de la guerre froide, la Pologne était devenue un terrain d’affrontement idéologique et symbolique. Intégrée de force au bloc soviétique, elle incarnait les luttes pour l’émancipation face aux totalitarismes.
Albert Camus, écrivain et penseur engagé, porta une attention particulière à ce pays, voyant en sa résistance un écho à sa propre quête de justice et de liberté. Cette relation, moins connue que son engagement pour l’Algérie ou son rapport à l’Espagne, éclaire la cohérence de sa pensée politique et l’universalité de son œuvre.
Dès 1944, Camus, alors directeur du journal Combat, est profondément sensible aux situations d’oppression à travers le monde. Le contexte de l’Insurrection de Varsovie, où des résistants polonais ont combattu les nazis pendant 63 jours (du 1er août au 2 octobre 1944), s’inscrit dans ce cadre. L’inaction de l’Armée rouge, stationnée sur la rive est de la Vistule, a suscité de nombreuses interrogations. Mais si cette passivité soviétique préfigure les dérives d’un système qu’il va progressivement dénoncer comme totalitaire, pour Camus, il s’agit d’une double trahison : non seulement de la Pologne, mais aussi des idéaux de solidarité humaine.
Cependant, il faut noter, comme l’indique Jeannine Verdès-Leroux dans la Pléiade Albert Camus, que le journal Combat lui-même ne montrait pas toujours une compréhension claire de l’évolution de la situation polonaise. Si les informations concernant l’Armée rouge étaient précises, le journal reprenait parfois la propagande communiste, allant jusqu’à qualifier les résistants de l’Armée de l’Intérieur (Armia Krajowa) de néo-fascistes. Le gouvernement polonais en exil était même décrit dans ses colonnes comme « l’Organe exécutif d’une Constitution semi-fasciste, [qui] ne peut représenter que la minorité réactionnaire du pays » (2 janvier 1945). Cette ambivalence reflète la complexité de la période et les difficultés à saisir pleinement les enjeux de la situation polonaise.
Camus s’intéresse à celle-ci dès octobre 1944. Dans Combat, il compare les occupations passées : selon lui, l’Allemagne vaincue connaîtra une occupation « dure et sans merci », plus sévère qu’en France en 1940, mais moins brutale que celle subie par la Pologne. Cette hiérarchisation est révélatrice : elle montre que Camus avait pleinement conscience de la singularité et de l’extrême brutalité de l’occupation en Pologne. Elle témoigne aussi de sa capacité à établir une gradation lucide dans l’oppression, refusant tout relativisme moral face aux différentes formes de domination.
Le 29 novembre 1944, dans un éditorial de Combat, Camus écrit :
« La Belgique, l’Italie, la Pologne, la Grèce aussi, à un moindre degré, se trouvent devant des problèmes qui semblent les dépasser. Et quand même elles seraient capables de les régler seules, on ne les laisserait pas faire. La politique intérieure de chaque État a trop d’influence sur la conduite de la guerre pour que les nations belligérantes ne s’y intéressent pas. À quoi bon se boucher les yeux ? (…) La Russie et la Grande-Bretagne interviennent dans les affaires de la Pologne que les États-Unis abandonnent à son sort. Disons donc ouvertement que ces nations ne sont pas encore souveraines, même si nous devons ajouter que cela est provisoire. Ces servitudes trouvent leur légitimité dans l’état de guerre, mais il ne servirait de rien de ne pas les appeler servitudes. »
Hélas, comme nous le savons, cette servitude, dans le cas de la Pologne, durera jusqu’en 1989, confirmant la prescience de l’analyse camusienne sur la nature des régimes imposés en Europe de l’Est.
Le 3 janvier 1945, dans un éditorial de Combat commentant un communiqué de l’Agence française de presse sur la transformation du Comité de Lublin (pro-communiste) en gouvernement provisoire polonais, Camus déplore :
« Le communiqué publié par notre agence manque de ce courage élémentaire qui s’appelle la clarté. (...) Dire que notre pays n’a pas à s’immiscer dans les affaires intérieures de la Pologne, c’est dérober la vraie question. Car la reconnaissance du gouvernement d’un pays étranger n’est pas une intervention dans les affaires de ce pays. C’est un acte de politique internationale que chaque nation est obligée de faire ou de ne pas faire. [...] Dire, pour justifier notre neutralité, que la situation politique de la Pologne ne nous est pas suffisamment connue, c’est oublier que cet argument a été soutenu par les Alliés pendant des années pour empêcher la reconnaissance du gouvernement de Gaulle. (...) Le silence eût été plus clair. »
Cette position critique préfigure son attitude après-guerre, quand la Pologne devient un des piliers du bloc soviétique, soumise à une répression culturelle et intellectuelle intense. Tandis que des figures comme Aragon ou Sartre justifient les actions de l’URSS au nom du « progrès historique », Camus refuse le silence complice de nombreux intellectuels de gauche et dénonce sans détour la mise au pas des écrivains, artistes et penseurs russes et d’Europe de l’Est par le régime stalinien.
Cette pensée dissidente s’inscrit dans sa réflexion développée notamment dans Ni victimes, ni bourreaux (1946), où il s’oppose à toute justification de la violence au nom du progrès historique. Pour lui, aucune idéologie, fût-elle révolutionnaire, ne peut justifier l’oppression des peuples et la négation des libertés fondamentales. Ainsi, écrit-il le 20 novembre 1946 (dans Sauver les corps) :
« (…) les idéologies marxiste et capitaliste, basées toutes deux sur l’idée de progrès, persuadées toutes deux que l’application de leurs principes doit amener fatalement l’équilibre de la société, sont des utopies d’un degré beaucoup plus fort. En outre, elles sont en train de nous coûter très cher. »
La compréhension de Camus de la situation polonaise s’est considérablement approfondie grâce à ses contacts avec trois exilés polonais très importants : Czesław Miłosz (1911-2004), Gustaw Herling-Grudziński (1919-2000) et Józef Czapski (1896-1993). Ce dernier, en particulier, a joué un rôle crucial dans cette prise de conscience. Czapski était l’un des rares officiers polonais ayant échappé aux massacres perpétrés par l’URSS. Emprisonné en 1939, déporté puis libéré en 1941, il publia en 1948 Enfin, la vérité sur Katyn (Gavroche, 12 mai 1948), un témoignage bouleversant basé sur ses notes prises en URSS en 1941-1942. Sa correspondance avec Camus (sept lettres de Camus et onze de Czapski sont conservées dans le fonds Camus) témoigne d’échanges intellectuels féconds, notamment autour de la littérature russe et de la traduction polonaise de La Peste. Ces discussions portaient particulièrement sur Vassili Rozanov (1856-1919), révélant un intérêt partagé pour la pensée dissidente russe.
Mais l’engagement de Camus contre les totalitarismes ne se limite pas à ces prises de position dans Combat ou à sa conférence donnée le 28 mars 1946 à l’université Columbia (« La crise de l’homme »), au cours de laquelle il déclara : « Oui, il y a une Crise de l’Homme, puisque la mort ou la torture d’un être peut dans notre monde être examinée avec un sentiment d’indifférence ou d’intérêt amical ou d’expérimentation ou de simple passivité. »
Sa réflexion s’approfondit dans son essai L’Homme révolté (Gallimard, 1951), où il critique les régimes sacrifiant la liberté présente au nom d’une justice future. Dans ce contexte de soviétisation brutale, L’Homme révolté, bien que censuré en Pologne, trouve un écho clandestin parmi les dissidents. En dénonçant sans détour les mécanismes totalitaires, Camus s’attire de vives attaques de la part des intellectuels communistes français.
La publication de L’Homme révolté en 1951 marque un nouveau jalon dans la relation entre Camus et la Pologne.
La première réception critique polonaise significative vient de Zygmunt Markiewicz (1909-1991) qui, dans Kultura en 1952, présente Camus comme un penseur en quête persistante de vérité. L’éditeur de Kultura, Jerzy Giedroyc (1906-2000), conscient de l’importance du texte, cherche activement un critique qui pourrait en rendre le contenu accessible aux lecteurs polonais. Il sollicite particulièrement Konstanty Aleksander Jeleński (1922-1987), qui ignore ces appels. Giedroyc voit dans la pensée camusienne le fondement possible d’un centre intellectuel capable d’affronter la pensée marxiste dominante.
En 1958, une première traduction paraît à Paris, chez Kultura. Cette version, dans une traduction de Joanna Guze (1917-2009), est intégrale. Cette dernière avait initialement rêvé de publier L’Homme révolté en Pologne (Człowiek zbuntowany), avec le soutien enthousiaste de Camus, mais y avait renoncé, convaincue que l’œuvre n’échapperait pas à la censure. Camus s’était alors engagé à soutenir sa publication à Paris.
Une autre édition paraît en 1971 chez Państwowy Instytut Wydawniczy, à Varsovie ; mais cette version est significativement censurée : la section sur la « révolte historique » est entièrement supprimée, réduisant l’œuvre à ses réflexions métaphysiques et littéraires, excluant délibérément toute critique des idées marxistes et léninistes.
L’accès au texte intégral reste difficile, même si avec l’aide de la CIA, des copies de l’essai de Camus parviennent en Pologne ; et il faudra attendre 1989 pour que l’œuvre soit publiée officiellement dans son intégralité en Pologne.
Face à ces restrictions, l’ouvrage circule dans les réseaux clandestins. Dans les années 1980, des maisons d’édition underground le réimpriment illégalement, aux côtés d’autres textes critiques comme ceux d’Orwell. Le livre devient un symbole de résistance intellectuelle, notamment lors de la grève des étudiants de Lublin en 1981. Sławomir Majewski (1956-2022), participant d’août 1980, a décrit la conscience des dissidents polonais avant la chute du communisme :
« Tout a été abordé et considéré, du trotskisme aux principes cupides du capitalisme américain du milieu du XIXe siècle, en passant par les labyrinthes sinueux du socialisme à visage humain. (…) Camus est apparu aussi souvent que les pensées de Tolstoï, Herzen, Tourgueniev, Gorky. »
Si L’Homme révolté trouve un écho si puissant en Pologne, c’est que l’ouvrage propose une analyse du totalitarisme particulièrement pertinente dans le contexte polonais. La critique que fait Camus de la « révolution historique », qui sacrifie la liberté présente au nom d’une justice future, résonne profondément dans un pays prétendument socialiste. Sa distinction entre révolte et révolution, entre une résistance éthique qui préserve certaines valeurs et une révolution qui finit par tout justifier au nom de l’histoire, offre un cadre théorique crucial pour penser la résistance au régime communiste.
Plus encore, sa réflexion sur la nécessité de limites dans l’action révolutionnaire, sur le refus du « tout est permis » nihiliste comme du « tout est possible » totalitaire, fournit des outils intellectuels précieux pour une opposition qui cherche à rester fidèle à ses principes moraux.
Dès 1956, Camus pouvait écrire qu’il connaissait de longue date « la misère et l’oppression que des millions d’hommes subissaient à l’Est ». Cette connaissance précoce, nourrie par ses échanges avec les intellectuels polonais en exil, lui permettait de porter un regard particulièrement lucide sur la situation des pays sous domination soviétique.
L’engagement de Camus pour la Pologne s’intensifie lors des événements de Poznań en juin 1956. Les manifestations ouvrières qui débutent aux usines Staline (ex-usines Cegielski) pour des revendications économiques se transforment rapidement en soulèvement populaire. La répression fait entre 58 et 78 morts selon les estimations et des centaines de blessés, suscitant l’indignation de Camus qui y voit la confirmation de sa thèse : le communisme soviétique, loin de libérer la classe ouvrière, l’a soumise à une nouvelle forme d’exploitation.
Le 2 juillet, il signe dans Kultura un texte de protestation contre la répression des insurgés.
Le 13 juillet, il écrit dans Franc-Tireur : « Non, ce n’est pas un régime normal que celui où l’ouvrier se voit contraint de choisir entre la misère et la mort. »
L’analyse que fait Camus des événements de 1956 est particulièrement éclairante, car elle met en parallèle les soulèvements polonais de Poznań et hongrois de Budapest. Ce dernier, qui dura d’octobre à novembre 1956, fut réprimé dans le sang par l’armée soviétique, causant environ 2 500 morts. Pour Camus, ces deux révoltes, bien que marquée par des différences — la répression fut beaucoup plus brutale en Hongrie — révèle une même vérité fondamentale : la faillite du système soviétique face aux aspirations irrépressibles des peuples à la liberté.
De plus, il met en évidence le contraste entre les différents modes de répression en Pologne et en Hongrie, pour démontrer que le système soviétique n’est pas un monolithe : des fissures apparaissent dans ce qui semblait être un bloc uniforme. Cette analyse, bien qu’ancrée dans les événements de 1956, anticipe indirectement la stratégie qu’adoptera plus tard Solidarność en Pologne : exploiter les contradictions internes du régime tout en évitant une confrontation directe qui pourrait justifier une intervention militaire soviétique.
Si Camus s’engage pour la cause polonaise, son œuvre trouve en retour un accueil particulier en Pologne, malgré la censure du régime communiste. Ses pièces de théâtre, comme Le Malentendu (Nieporozumienie, publié en 1958 en Pologne) et Caligula (Kaligula), publié en 1960 en Pologne), sont jouées dès que les autorités le permettent. En 1958, L’État de siège (Stan oblężenia) est joué à Cracovie, au Teatr Ludowy.
Ses romans, comme L’Étranger (Obcy) et La Peste (Dżuma), circulent d’abord clandestinement avant d’être publiés officiellement, respectivement en 1957 pour Dżuma et en 1958 pour Obcy.
Le message de La Peste dépasse le contexte algérien pour trouver une résonance particulière en Pologne. Comme les habitants d’Oran luttant contre une épidémie, les Polonais, face au joug nazi puis soviétique, ont mené une résistance collective reposant sur la solidarité et le refus du fatalisme. La célèbre phrase de Camus, « Il n’y a pas de honte à préférer le bonheur », pourrait être lue comme une exhortation à combattre la résignation face aux oppressions successives.
Un autre écho frappant à la pensée de Camus en Pologne se trouve dans l’œuvre de Czesław Miłosz, poète, essayiste et prix Nobel de littérature en 1980. Leurs écrits témoignent d’une inquiétude commune face aux mécanismes d’oppression et aux sacrifices imposés par les idéologies totalitaires. Si Camus affirme dans L’Homme révolté que « La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible », Miłosz, lui, donne à cette révolte une portée mémorielle et morale.
En 1950, Miłosz écrit un poème intitulé « Ty, który skrzywdziłeś » (« Toi qui as blessé »), adressé à ceux qui abusent de leur pouvoir pour opprimer de simples citoyens. Un fragment de ce poème est aujourd’hui gravé sur le mémorial des ouvriers des chantiers navals de Gdańsk, érigé en hommage aux victimes de la répression politique lors des manifestations de décembre 1970. Ces mots, simples, mais puissants, rappellent que la lutte pour la justice dépasse la mort et l’oubli :
« Toi qui as blessé un homme simple en éclatant de rire de son malheur,
Prends garde. Le poète se souvient. Tu peux le tuer — un nouveau naîtra.
Les actes et les paroles ne s’effacent pas. »
Ce poème, dans son intégralité, est une dénonciation des abus de pouvoir et un appel à la mémoire collective. Gravé dans le métal, ce fragment illustre la conviction que les oppressions, si brutales soient-elles, ne peuvent effacer la mémoire collective ni étouffer la quête de justice. Ces mots résonnent avec l’humanisme lucide de Camus, pour qui l’écriture, comme la révolte, est un acte de résistance morale.
Cette proximité intellectuelle s’est aussi manifestée sur le plan personnel : Miłosz témoignera plus tard que Camus fut l’un des rares intellectuels occidentaux à lui tendre la main lors de son exil de la Pologne stalinienne en 1951. Alors que beaucoup le considéraient comme un paria ou un « pécheur contre l’avenir », l’amitié de Camus l’aida à survivre dans le labyrinthe de l’Occident.
Des figures comme Adam Michnik (né en 1946) reconnaissent en Camus un esprit libre et une voix morale essentielle. Sa conception de la révolte comme acte de résistance éthique, capable de conjuguer exigence de justice et refus du totalitarisme, influence durablement la dissidence polonaise. Bien que Leszek Kołakowski (1927-2009) partage certaines préoccupations avec Camus, notamment dans sa critique du totalitarisme, c’est Adam Michnik qui revendique explicitement cette influence. En 1983, Michnik s’inspire notamment de L’Homme révolté pour sa célèbre lettre de prison à Czesław Kiszczak, incarnant cette recherche de vérité si chère à Camus.
« Je sais que je paierai un prix élevé pour cette lettre », écrit-il, « et que vos subordonnés tenteront de porter à ma conscience une connaissance complète des possibilités du système pénitentiaire dans un pays qui construit le communisme. Mais je sais aussi que je suis lié par la vérité. »
Après la mort tragique d’Albert Camus dans un accident de voiture en janvier 1960, plusieurs événements commémoratifs eurent lieu à travers le monde. En février 1960, un hommage significatif fut rendu à Varsovie, rassemblant un auditoire nombreux à l’Université, fait remarquable dans la Pologne communiste de l’époque.
La disparition brutale de Camus, à l’âge de 46 ans, ne mit pas fin à son influence en Pologne — bien au contraire. Sa mort prématurée contribua paradoxalement à faire de sa pensée un héritage intellectuel vivant, d’autant plus précieux qu’il demeurait inachevé. Dans les décennies qui suivirent, son œuvre continua d’incarner une forme de résistance éthique particulièrement pertinente pour la société polonaise.
L’attention de Camus pour la Pologne illustre sa conception du rôle de l’écrivain : ni propagandiste ni spectateur désengagé, mais témoin actif de son temps. Son refus des absolus politiques et sa quête d’une « pensée de midi », prônant un équilibre entre nihilisme et dogmatisme, trouvent un écho durable dans la culture politique polonaise. Cette « pensée de midi », qui appelle à la mesure, rejette à la fois le fanatisme et le désespoir, et s’oppose aux logiques totalitaires. Elle résonne particulièrement dans l’approche non-violente adoptée par Solidarność dans les années 1980.
En combinant résistance morale et union collective, Solidarność incarne l’idéal camusien d’une révolte solidaire, exprimé dans la célèbre formule de Camus :
« Je me révolte, donc nous sommes. »
Ce mouvement, comme la pensée de Camus, montre que la révolte n’est pas seulement un refus, mais aussi une affirmation de la dignité humaine et de la solidarité.
Aujourd’hui encore, l’œuvre de Camus reste lue et débattue en Pologne, notamment grâce à la Société des études camusiennes polonaises, dirigée par Maciej Kałuża. Cette institution explore la pertinence de Camus face aux défis contemporains, comme les menaces pesant sur l’indépendance de la justice, la liberté des médias et l’autonomie des universités sous le gouvernement du PiS. Camus, pour qui la vérité et la liberté étaient indissociables, aurait vu dans ces réformes une tentative de subordonner la pensée critique à une idéologie dominante, rappelant les mécanismes d’oppression qu’il dénonçait dans les régimes totalitaires.
Cette histoire particulière entre Camus et la Pologne illustre l’universalité et l’actualité de sa réflexion sur la justice et la liberté. En transcendant les frontières et les époques, ses idées continuent de nourrir les luttes émancipatrices. Dans son Discours de Suède, prononcé en 1957 lors de la réception de son prix Nobel, Camus exprimait avec force l’exigence éthique qui guidait son engagement :
« Le rôle de l’écrivain (…) ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. »
Ces mots résonnent particulièrement dans le contexte polonais, où l’œuvre de Camus a été une source d’inspiration pour celles et ceux qui, dans l’ombre, cherchaient un chemin vers la liberté. Mais ils trouvent également un écho dans les luttes actuelles, face aux menaces pesant sur la démocratie, la justice et la liberté d’expression, que ce soit en Pologne ou ailleurs.
David Camus, (Katowice, 8 janvier 2025)
BIBLIOGRAPHIE :
CAMUS Albert, Actuelles I (Folio, 1972.)
CAMUS Albert, L’Homme révolté (Gallimard, 1951)
CAMUS Albert, Pléiade, tome III (Gallimard, 2008)
CAMUS, Albert, À Combat (Folio, 2014).
CAMUS, Albert, Discours de Suède (Folio, 1958.)
CAMUS, Albert, Kadar a eu son jour de peur (Franc-Tireur, 1957)
CAMUS, Albert, La Peste (Pléiade, Théâtre, Récits, Nouvelles, 1962)
CELLÉ DOMINIQUE, Camus et le communisme (Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Sous la direction de M. Jean-François Sirinelli, Université Charles de Gaulle – LILLE III, Sciences Humaines, Lettres et Arts, 1997)
KAŁUŻA Maciej, La réception de L’Homme révolté en Pologne (in Chroniques camusiennes, 2021)
LOTTMAN Herbert R., Albert Camus (Gingko Press, 1997)
MAJEWSKI Sławomir, lettre citée dans : Maciej Kałuża, Buntownik. Ewolucja i kryzys w twórzości Alberta Camusa, Kraków 2017, p. 674
MARKIEWICZ Zygmunt, « ZbutnowanyCzłowiek », Kultura 1952, no 2-3 p. 191-193
MICHNIK Adam, lettre à Czesław Kiszczak, le 11 décembre 1983, IPN BU 1165/990, ArchiwumInstytutuPamięciNarodowej w Warszawie.
ROŚ Joanna, Albert Camus w polskiejkulturzeliterackiej i teatralnej w latach 1945-2000, Warszawa 2018
VERDÈS-LEROUX, Jeannine, Pologne, in tome III Pléiade Albert Camus (Gallimard, 2008)
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par David Camus
Contact : contact@actualitte.com
13 Commentaires
sylvie
24/01/2025 à 08:15
alors là, je suis sidérée : ce texte est un tissu de mensonges et de contre-verités historiques et personne ne réagit!!!!!!!
EDOUARD BRASEY
24/01/2025 à 10:25
Mais encore?
azalée
24/01/2025 à 11:08
Pourriez-vous préciser votre commentaire pour ceux qui sont, comme moi, incompétents sur le sujet?
Jacek
24/01/2025 à 11:47
Vous ne connaissez pas l'histoire. Retournez à vos cours d'histoire sur ce qui se passait à l'Est. Vous insultez l'auteur du texte. Vous ne savez rien du terrorisme stalinien en Pologne, de Katyn, des Goulags, de l'insurrection de Varsovie et aucune réaction de l'armée soviétique pour aider les personnes en difficulté dans la ville. 200 000 personnes y furent massacrées, l'armée de Staline était de l'autre côté de la Vistule. Vous ne savez rien. L'intelligence française de l'époque était nourrie de propagande communiste, niant l'existence de l'Holodomor, d'Acharshylyk, justifiant l'intervention soviétique à Budapest, etc. Camus était peu lucide et courageux pour parler de tout cela. S'il vous plaît, prenez de bonnes leçons d'histoire cette fois.
Team ActuaLitté
24/01/2025 à 12:49
Bonjour
Votre commentaire est assez singulier : avez-vous des exemples précis qui, dans ce texte, relève de mensonges et de contre-vérités ?
Car sans argumenter, c'est une attaque assez gratuite.
Jacek
24/01/2025 à 14:51
J'ai réagi à la réponse de Madame Sylvie, qui a osé qualifier votre excellent texte de rempli de mensonges.
Félix
24/01/2025 à 13:29
Et sur quoi vous basez-vous pour le dénoncer? Sans preuves formelles, il faut mieux ne pas dire des bêtises. Je trouve que c'est incroyable de permettre la publication de tels commentaires, et ce sans pouvoir les étayer. Perte de temps et d'énergie intellectuelle!
EDOUARD BRASEY
25/01/2025 à 00:50
Je constate qu'après avoir lancé un Imprecato non justifié, vous vous tenez coite, et vous faites bien. Nihil obstat.
Pgl34
25/01/2025 à 07:44
Sylvie, pouvez vous développer ce qui fait dire que c'est un mensonge. Votre affirmation ne nourrit pas du tout la discussion.
Pgl34
25/01/2025 à 07:51
Je découvre cette part de Camus et l'analyse fouillée, documentée, argumentée de David Camus m'a énormément intéressé, étant d'origine polonaise.
Je remercie l'auteur et aurais été très intéressé par la publication des échanges entre Camus et Milosz.. Peut être un jour ?
Magdalena Nowotna
24/01/2025 à 10:14
Formidable résumé de la présence de Albert Camus dans l'espace polonais et pas seulement!
Jacek
24/01/2025 à 11:35
Le texte parle de la vérité, surtout pour ceux qui ont connaissance des écrits de Camus et pour ceux de ses parents et grands-parents. Ceux qui ont été sous le joug nazi et plus tard stalinien en Pologne.
Thierry Jandrok
25/01/2025 à 16:43
IL s'agit sans conteste d'un beau témoignage. L'érudition de David Camus est patente et ne paraît absolument pas discutable au regard des sources qu'il cite.
Je confirme ici ses dires à propos de la Hongrie, mais également l'ambivalence des français à l'égard de ce qui se déroulait au-delà du rideau de fer compte tenu de la puissance du parti communiste en France, allié à la résistance pendant l'occupation allemande. L'intelligentsia française a mis des années à prendre la mesure de ce qui se passait dans les pays annexés par l'URSS. De la même façon, elle garde une prudence pudique lorsqu'ils s'agit d'évoquer la part de certains intellectuels pendant l'Occupation. Cette France, berceau des Lumières, est aussi celle de la Terreur et de la collaboration. Ne l'oublions pas.
Cela n'empêche pas les apparatchiks de l'ignorance et de l'oubli de réfuter un nécessaire devoir de mémoire. David Camus en témoigne dans ce texte à la fois juste et informatif.