Prêtre catholique français et membre des Missions étrangères de Paris, principalement connu pour avoir révélé au monde les atrocités commises par le régime des Khmers rouges au Cambodge, François Ponchaud est décédé ce 17 janvier. Marc Wiltz, des éditions Magellan, lui rend hommage dans nos colonnes.
Le 23/01/2025 à 10:15 par Auteur invité
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23/01/2025 à 10:15
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François Ponchaud est mort vendredi dernier, quelques articles de presse ont fait état de son décès, mais c’est peu de choses par rapport à l’importance de cet homme et de son action. Pour tous ceux qui ont une part d’eux-mêmes au Cambodge, c’est un immense personnage qui vient de rejoindre son dieu. Pour tous ceux qui osent dire ce qu’ils pensent avec fermeté mais qui acceptent la bienveillance, loin des cris pour crier d’aujourd’hui, c’est une admirable figure de l’engagement qui est partie.
François Ponchaud, prêtre des missions étrangères, aurait « mérité » une autre reconnaissance pour son travail et son amour de l’humanité souffrante, mais le Cambodge auquel il est indissociablement lié intéresse peu de monde.
En quelques mots, dire que ce croyant a choisi de devenir prêtre en en acceptant toutes les contraintes personnelles, qu’il s’est engagé parachutiste en Algérie pendant deux années pleines au front pour vivre la guerre sans participer lui-même à la violence des armes, que l’étude des langues (grec, latin, hébreu) et toutes leurs subtilités aiguisaient son esprit l’amenant à comprendre comme peu d’autres le khmer au point de traduire la Bible dans cette langue, et que son énergie brisait tous les obstacles dressés sur sa route pour prodiguer ses soins de l’âme au plus grand nombre, dire cela est peu dire.
Quand je me suis intéressé au Cambodge dans les années 1990, la lecture de son Cambodge, année zéro (Julliard, 1977) m’a bouleversé. J’ai atterri à Phnom Penh pour la première fois en 1994, fort de ce livre et de tout ce qu’il signifiait. François Ponchaud y décrivait par le menu l’horreur du génocide des Khmers rouges perpétré contre ses propres concitoyens, une première (deux millions de morts) !
Il l’avait vu de ses propres yeux, puisqu’il a vu Phnom Penh se vider en quelques heures et qu’il a fait partie des derniers réfugiés occidentaux cloîtrés dans les locaux de l’ambassade de France avant d’être expulsé ; il l’avait entendu de ses propres oreilles sans pouvoir les croire puisqu’il écoutait la radio khmère rouge distillant ses mots d’ordre ; il l’a senti dans sa chair en tentant d’aider les réfugiés parvenant tant bien que mal à la frontière thaïlandaise en racontant l’indicible.
Et pour ce livre sorti au beau milieu du cauchemar, il a été moqué et accusé de toutes les forfaitures par les élites bien-pensantes françaises et occidentales qui voyaient encore dans les dirigeants khmers rouges réunis autour de Pol Pot, formés à la Sorbonne aux principes d’une gauche révolutionnaire, une nouvelle façon éclairée de faire de la politique et de mettre fin à la corruption généralisée – une réalité. Comme personne ne pouvait le croire, il a été traité de menteur.
Quand j’ai eu le privilège de lui proposer de faire un livre qui traiterait à la fois de son parcours personnel et du Cambodge contemporain, je ne réalisais pas que ces deux histoires étaient liées à ce point sur cinquante longues années. Au fil des entretiens réalisés par Dane Cuypers, avec laquelle il a eu quelques démêlés verbaux parce que deux visions du pays s’affrontaient, François Ponchaud exprimait tout de go la profondeur de son amour véritable pour les gens et son rejet de toute forme de compromission avec un sens de l’analyse qui me laissait pantois.
J’apprenais, avec le recul historique du témoin, et j’appréciais, avec la fermeté de celui qui ne s’en laissait pas compter. Avant tous les autres responsables de cette ignominie, Nixon et Kissinger auraient dû être jugés eux aussi pour avoir couvert de bombes dans des proportions dépassant les pires heures de la Seconde Guerre mondiale un pays (et un autre, le Laos) qui ne leur avait rien fait.
Dane Cuypers, autrice de Tourments et merveilles en pays khmer (Actes Sud, 2009), et décédée du Covid en 2021, a réalisé un formidable document, validé par François Ponchaud, qui constitue l’un des meilleurs témoignages sur les réalités contemporaines du Cambodge. Et si l’histoire continue son chemin, L’Impertinent du Cambodge (Magellan & Cie, 2013), n’a rien perdu de son acuité.
Quand le livre a été terminé – de mon point de vue d’éditeur –, François Ponchaud m’a téléphoné depuis Phnom Penh pour me dire que malheureusement on ne pourrait pas le sortir tel quel. Il venait d’être appelé comme témoin aux procès des Khmers rouges qui s’ouvrait alors. Il insistait pour ajouter un chapitre sur les problèmes de traduction auxquels les Occidentaux ne comprenaient pas grand-chose, et notamment sur le fait que les Cambodgiens ne savent pas et ne peuvent pas dire clairement « oui » ou « non ».
Ce qui, dans un procès, ne facilite pas les débats. Nous avons évidemment pris le temps pour ajouter ce chapitre et enrichir ce livre, de même que nous en avons profité pour rééditer et mettre à jour Brève histoire du Cambodge (Siloé, 2007 ; Magellan & Cie, 2014).
Au-delà de ces témoignages écrits, c’est plutôt l’action réelle sur le terrain et son engagement pour le développement qu’il faudrait retenir du personnage, toujours au plus près des gens, des individus.
François Ponchaud a œuvré pour rendre leur dignité à nombre de personnes un peu perdues au cœur d’une existence difficile : des jeunes à la recherche d’un métier et de compétences ; des hommes ayant un besoin criant de soins élémentaires ; des femmes qui voyaient un gynécologue pour la première fois ; des entrepreneurs qui n’osaient pas aller jusque vers leur ambition, et des projets, toujours des projets pour améliorer le quotidien comme celui de réhabiliter des barrages et favoriser ainsi les bonnes pratiques agricoles.
Quand Dane Cuypers lui a demandé d’exprimer trois vœux comme dans les contes, François Ponchaud en a mentionné deux d’ordre religieux souhaitant que l’Église « dans son ensemble » applique les règles du Concile Vatican II avec bienveillance, et que l’Église du Cambodge s’épanouisse. Le troisième était pour le peuple khmer : « Ce peuple a tout pour être heureux, un climat agréable, une terre relativement fertile, des richesses minières et touristiques, une grande religion et une grande culture. Puisse-t-il un jour bénéficier de dirigeants qui recherchent le bien de leur peuple dans la justice et le respect des plus pauvres. »
François, merci pour ce que vous avez fait.
Par Marc Wiltz, Magellan & Cie
Crédits photo : François Ponchaud - Yanndefond, CC BY SA 4.0
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 06/08/2018
217 pages
Magellan & Cie
15,00 €
Paru le 04/03/1999
263 pages
Albin Michel
18,60 €
Paru le 22/05/2013
259 pages
Magellan & Cie
19,49 €
1 Commentaire
VILLENEUVE
23/01/2025 à 12:48
Très bel hommage.