La porte-parole du ministère de l'Intérieur, Camille Chaize, a annoncé sa démission lundi 20 janvier dans un post LinkedIn, faisant couler beaucoup d'encres et de pixels. La raison ? Son départ coïncide avec la publication imminente de son premier livre, Porte-Parole, chez Novice Éditeur. Fondée en 2020, cette jeune maison d'édition bénéficie ainsi d'une mise en lumière notable – réjouissante ou triste, selon les points de vue.
Le 22/01/2025 à 19:27 par Hocine Bouhadjera
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22/01/2025 à 19:27
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Celle qui a été nommée en décembre 2019 explique sur LinkedIn : « À l’heure où s’apprête à sortir ce livre qui me ressemble tant, je dois, vous le comprendrez aisément, mettre fin à la mission de porte-parole du ministère de l’Intérieur qui m’a été confiée. »
Dans son ouvrage, Camille Chaize partage ses réflexions sur le rôle de porte-parole et le sens de sa mission. Elle explique, repris par l'AFP : « J’ai envie de sortir de cette sacro-sainte réserve, de défendre haut et fort mes valeurs républicaines. Je relis le statut général des fonctionnaires sur l’obligation d’obéissance hiérarchique. » Et d'ajouter : « Je comprends que si l’agent public estime que l’ordre hiérarchique nuit à l’intérêt public, il n’est pas tenu de se conformer aux instructions. »
Dans l'introduction du livre que l'on a pu se procurer, elle confie : « Je suis de ceux qui pensent que la vérité fait toujours du bien et qu’elle doit être dite. Lutter contre les idées reçues, sans essentialisation ni stéréotype, avec nuance et mise en perspective. Les pages qui suivent font la part belle aux difficultés, aux galères, à la demi-mesure, aux compromis. Au fil de l’écriture de ce récit, j’ai tenté d’exprimer des convictions parfois mises sous cloche et de me réapproprier mes propres idées. » Dans les dernières pages, elle va jusqu'à se demander : « Et si finalement tout se terminait par un livre ? »
Selon Le Canard Enchaîné, « des syndicats de police très droitiers et le Rassemblement national ont obtenu, comme « Le Canard » a pu le vérifier, la tête de la porte-parole ». L’article suggère, entre autres, que des responsables d’Alliance auraient rencontré le directeur général de la police nationale (DGPN) pour demander son départ, une information réfutée par la direction générale de la police nationale. « Je ne sais pas s’il y a eu de telles pressions, je ne peux pas vous le confirmer », a de son côté expliqué l'autrice, auprès de Libération. Contactée par ActuaLitté, elle n'a pas répondu à nos sollicitations.
Dans Porte-Parole - Réflexions personnelles de la voix officielle du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize raconte : « Après mes interventions dans les médias, je reçois un message d’un conseiller du ministre. Il me prévient qu’un syndicat de police, minoritaire mais puissant, trouve à redire à mes interviews. (...) Effectivement, peu après, je reçois un tract. Un tract syndical, c’est comme une forme de communiqué de presse simplifié, ni littéraire ni profond, avec un graphisme souvent vulgaire. Dans le tract en question, le syndicat estime que j’ai dérapé, que je ne remplis pas mon rôle de protection de mes collègues de terrain. »
Et de développer : « Certains peuvent penser que défendre l’indéfendable rend service à leur profession… C’est toujours perturbant de savoir que des policiers, des membres de votre maison critiquent, réprouvent ou sont en désaccord avec votre vision. Et que, face aux critiques, ils refusent de voir les faits, ou qu’ils les voient mais qu’ils préfèrent adopter une posture corporatiste et éviter toute remise en question. La réalité a tort, c’est bien connu. »
Au sujet du parti politique présidé par Jordan Bardella, elle écrit : « De façon analogue, quand un représentant médiatique des commissaires de police rejoint le Rassemblement national (Ndr : Matthieu Valet, syndicaliste commissaire devenu eurodéputé du Rassemblement national) on peut l’invectiver ou le cibler. Mais il faut surtout se demander qui a accepté que, durant de très longs mois, il puisse courir les plateaux de télévision en dénonçant, à chaque fait divers, la « voyoucratie », l’incompétence de la justice ou l’immigration rampante, outrepassant le périmètre de son mandat électif. »
Elle continue : « J’en veux aux hauts responsables qui ont accepté tacitement de laisser faire ce policier syndicaliste. Certains estiment qu’il est dans leur intérêt d’agiter les extrêmes et d’acclimater les citoyens à ces discours. J’y vois plutôt une grossière manipulation politique, l’instrumentalisation d’une profession, la quête de rapports de force plus radicaux, au détriment de la cohésion nationale et de la neutralité du service public. »
Plus loin dans l'ouvrage, elle raconte le lendemain de la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, évoquant un « sentiment d’échec » : « Le poison lent de l’extrême droite identitaire et ses idées les plus radicales ont infusé les débats, irrigué la société. La montée du RN a tout emporté sur son passage, surfant sur les surenchères médiatiques. De populaire à populiste, la marche a été franchie dans une banalisation d’un extrémisme décomplexé : les esprits sont désormais habitués. »
Ou encore, entre autres : « Le populisme nous noie dans le mensonge de la facilité sans nuance. (...) La vague brune prête à s’y fracasser et à franchir le seuil. J’ai le moral dans les chaussettes. (...) Qu’il s’agisse de l’immigration, des religions ou de la sécurité, les sujets dont mon ministère à la charge sont au cœur du programme du RN. Il serait donc immédiatement impacté par l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Je le vois, dans nos rangs, le vote RN est là. Je ne compte pas sur une résistance particulière parmi les forces de l’ordre. Je n’y crois pas. Une poignée de hauts fonctionnaires démissionneront peut‑être, mais ils ne seront pas si nombreux. »
L'entourage du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a nié avoir reçu une telle requête de la direction du RN. Le ministère de l'Intérieur a par ailleurs confirmé que Camille Chaize avait pris la décision de démissionner, après avoir jugé que la publication de son livre n'était pas compatible avec son devoir de réserve. Elle demeure toutefois en fonction à la Dicom, le service de communication du ministère.
Camille Chaize a débuté sa carrière en tant que sapeur-pompier réserviste avant de devenir commissaire de police en banlieue parisienne. Elle dispense également des cours à Sciences Po Paris ainsi que dans plusieurs écoles de communication.
Cette fois, ce type d'ouvrage, porté par une figure publique de premier plan, n'est pas publié par l'un des grands groupes éditoriaux français.Camille Chaize a choisi Novice Éditeur, pour un premier livre : « Au départ, c'est un ami commun, Gaspard Gantzer, qui nous a mis en relation avec Camille Chaize », nous confie son éditeur, Timothé Guillotin.
« Ensemble, nous avons réfléchi aux idées et conceptions pour son livre, et je pense, à mon avis, que Camille avait besoin de quelqu'un pour travailler avec elle sur le long terme, pour vraiment s'impliquer dans son projet. Elle savait que dans de petites maisons d'édition comme la nôtre, son éditeur se battrait pour elle. Ayant travaillé pour de grosses structures, j’en connais à la fois les avantages et les limites. Bien que nous n'ayons pas la force de frappe des grandes maisons, nous compensons par notre combativité », complète-t-il.
Au sujet de la démission de son autrice, Timothé Guillotin est formel : « Lorsque Camille m'a proposé son projet de livre, elle m'a informé qu'elle avait prévenu son institution de son intention d'écrire. Au sujet des risques qu'elle prenait, nous n'en avons pas vraiment discuté. Elle abordait le projet avec la volonté de donner une image positive de son ministère et de mettre en lumière l'action de ses agents au service de la population. »
Au-delà des polémiques médiatiques, l'éditeur préfère mettre en évidence les qualités de l'ouvrage qui raconte, de l'intérieur, comment se fait la communication au ministère de l'Intérieur : « Très concrète dans son approche, elle explique par exemple comment parfois, malgré le peu d'informations disponibles, il est nécessaire de communiquer rapidement, sans faire d'erreurs. »
Et d'ajouter : « Elle décrit des situations où en déplacement, elle doit réagir et fournir une parole officielle pour une toute autre actualité chaude. Le livre est parsemé d'une succession d'exemples qui illustrent le travail qu'elle a accompli durant son mandat au ministère, mettant en lumière les défis et les stratégies de communication dans des contextes souvent critiques. »
Novice Éditeur, qui porte entre 10 à 12 livres par an, a été créée par Timothé Guillotin, Pascal Grégoire et Pierre Conte. Chaque année, la maison publie les œuvres des gagnants de ses deux concours, à savoir le Prix du roman non publié et du polar non publié : « Dans notre ambition de mettre l'accent sur la découverte de nouvelles voix littéraires, en partenariat avec les espaces culturels Leclerc, nous nous battons pour prouver qu'un manuscrit refusé n'est pas forcément un mauvais texte. »
Selon lui, au fil « des cinq éditions précédentes de nos concours, nous avons vu de nombreux manuscrits traditionnellement rejetés se transformer en véritables perles, salués par la critique. La sixième édition a révélé des œuvres exceptionnelles, notamment le dernier lauréat, Blackleaf. 1 %; 2 %, 3 %... des textes qui n'ont pas eu de chances, et on peut remédier à cela ».
Parallèlement, elle édite une littérature variée, allant des documents d'actualité à des œuvres de fiction, en passant par des histoires politiques et littéraires, ou encore des méthodes d'écriture : « Nous adoptons deux principes fondamentaux : l'originalité et la longévité des titres. En tant qu'éditeur indépendant, nous misons sur la créativité pour captiver le public le plus large possible. Explorer des sujets nouveaux et inédits, proposer des angles uniques. »
Par exemple, la parution de mars prochain, Le jour où j'ai quitté Bill Gates, de Christophe Aulnette. L'ancien président de Microsoft Asie du Sud et de Microsoft France y raconte les suites d'une démission, et à travers son expérience, la question très contemporaine de la reconversion professionnelle.
Le best seller de la structure, Bienvenue en économie de guerre !, de David Baverez, est paru en mai dernier, s'est écoulé à 6108 exemplaires, selon l'éditeur, pour un tirage total de 8500. Sera-t-il détrôné par le premier ouvrage de l'ancienne porte-parole du ministère de l'Intérieur, Camille Chaize ?
Crédits photo : DR (Novice Éditions)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 23/01/2025
304 pages
Novice
22,90 €
Paru le 07/11/2024
416 pages
Novice
21,90 €
12 Commentaires
Rose
23/01/2025 à 06:40
C'est rassurant de lire un texte lucide et une personne qui ne se perd pas de vue.
roger louis
23/01/2025 à 10:52
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Eric Lode
23/01/2025 à 11:31
Il n'y a pas 36 façons de couper l'herbe sous le pied du RN. C'est s'emparer des sujets de prédilection du RN (insécurité, immigration...) et y apporter des réponses idoines, qui peuvent être par exemple celles que réclament la majorité des citoyens. C'est ça la démocratie.
Mettre la poussière sous le tapis ou évoquer "les heures les plus sombres" ne fait pas avancer le schmilblic d'un iota. Ça ne fait progresser que le RN.
rez
24/01/2025 à 11:50
le RN avance justement parce qu'on a perdu ou oublié la définition de démocratie, que n'est pas du tout celle que vous venez de donner (qui est plutôt celle du populisme démagogique).
La démocratie c'est avant tout la protection et l'inclusion de tous, le respect de toutes les libertés tant qu'elles ne nuisent pas (assez) aux autres. C'est pour cela qu'on ne peut pas faire un referendum sur si les homosexuels doivent pouvoir se marier (comme l'église et le Rn le demandaient) ou si les gens nommés Eric devraient être interdits de sortir dans la rue ou de voter.
Commençons pour ne pas laisser passer des choses qui nous font oublier que le bien est bon et le mal mauvais... reprenons la racine des choses et on pourra mettre toute cette bestialité fasciste et populiste qui s'est naturalisé en perspective pour la démonter.
Eric Lode
25/01/2025 à 12:06
La démocratie, c'est :
1. La loi du plus grand nombre (sinon c'est oligarchie ou autocrature, au mieux "despotisme éclairé")
2. La protection de la minorité (pour Camus)
Et comme dit Bayrou, on ne gouverne pas contre son peuple.
Sur toutes les grandes lois sociétales, faut bien comprendre qu'elles n'ont pu être pondues que parce qu'une majorité du peuple (mariage pour tous) ou une majorité de ses représentants (abolition de la peine de mort) était pour !
En 2013, un referendum aurait aussi fait passer le mariage pour tous. Idem pour la PMA quelques années plus tard.
En 1981, l'abolition de la peine de mort par référendum aurait été ric-rac, mais vu l'évolution de l'opinion publique, ça passait sans difficulté dans les 3-4 années après.
Un démocrate ne doit pas avoir peur du referendum, ça s'appelle de la démocratie directe. Ça marche plutôt bien en Suisse.
Le prochain dossier, c'est la légalisation du cannabis. Une majorité de Francais est pour. Leurs représentants ne pourront durablement se prononcer contre, ne serait-ce que par pragmatisme (les politiques prohibitionnistes n'ont jamais marché).
PS : "le respect de toutes les libertés tant qu'elles ne nuisent pas (assez) aux autres" c'est exactement la définition du libéralisme, une philosophie politique méconnue, sinon malmenée, en France (bien que socle de la DDHC de 1789)
Ribiata
23/01/2025 à 15:03
quelle démarche courageuse de Camille Chaize qui met sur le devant de la scène le fonctionnement interne - j'ai failli dire occulte - d'un ministère qui pèse lourd dans l'évolution des politiques publiques et du débat politique, plombé par l'axe syndicat-parti et les stratégies extrémistes.
Rose
24/01/2025 à 08:01
Certains politiques hargneux au pouvoir actuel, terrassés par les lieux communs, incitent à la discrimination, ce qui n'arrange pas l'amitié entre les peuples. Bon, ils ne sont pas intelligents, ça, on ne peut rien y faire, mais ils pourraient être gentils.
NAUWELAERS
24/01/2025 à 21:57
Gentils au risque de se faire bouffer tout crus par des gens qui ne sont pas des bisounours...
Nous ne sommes pas au paradis terrestre...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Rose
26/01/2025 à 07:02
Alors là ! Épargnez-moi votre raccourci crétin et récurrent. Si la gentillesse est une qualité, elle est utile à la réflexion dans le cheminement des idées pour l'analyse.
Il semble que l'air ambiant autoritariste reflète l'état du pays sous une dictature financière extérieure où il ne resterait à l'État qu'une souveraineté de menace policière et militaire. Le réel des sophistes genre nihiliste ne propose pas un futur convenable ; mais la pire bassesse est dans l'exploitation de la ségrégation pour des ambitions personnelles. Je ne vais pas parler du mimétisme sournois et imbécile, je suis aimable. Tout cela est bien dommage car il n'y a pas de néant dans la gentillesse, par contre, la bêtise... Abyssal.
NAUWELAERS
26/01/2025 à 18:41
Rose,
Je ne comprends rien à votre charabia abscons voire abstrus.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Rose
27/01/2025 à 06:40
Alors, je me suis mal exprimée. Bon, je demande au rouge-gorge, qui vient passer l'hiver dans le coin, s'il a sa carte de séjour et s'il est passé par la douane avec sa graine dans le bec ; non mais, il se prend pour qui celui-là ! Tiens ? Il s'est envolé.
luis zercas
26/01/2025 à 13:43
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