Le ministère de la Culture célèbre activement ses 60 années d’existence, commémorant ses premiers pas, depuis Malraux à nos jours. Pour l’occasion, le ministre Franck Riester, interviewé dans le JDD, a fait part des quatre axes prioritaires dans sa mission. Et l’on se dit qu’il y aura encore du travail à abattre.
Le 29/07/2019 à 11:49 par Nicolas Gary
Publié le :
29/07/2019 à 11:49
Le carnet de bord du locataire de la rue de Valois tient en effet en quatre points identifiés :
1. L’art et la culture favorisent l’émancipation des citoyens
2. Les artistes et les créateurs sont au centre des politiques du Ministère de la Culture
3. La culture est un levier de cohésion et d’attractivité des territoires
4. La souveraineté française doit être réaffirmée
Au sujet des auteurs, le ministre a affirmé : « Pour rester une terre d’artistes, la France doit être à leurs côtés. Il faut assurer leur formation et leur insertion professionnelle, faciliter leur mobilité en France et à l’étranger, développer l’accueil dans des lieux de résidence, favoriser l’emploi, conforter leur rémunération et consolider leur régime social. »
Les auteurs de BD et de littérature jeunesse sont mobilisés autour de la rémunération à la présence dans les festivals. La phrase du ministre laisse à penser que leurs revendications ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd.
Mais les artistes auteurs sont-ils vraiment au centre de la politique du Ministère de la Culture ? Dégradation rapide de leurs conditions sociales, absence de régulation dans le secteur du livre, dysfonctionnements de longue date de leur régime social, problèmes encore plus graves depuis les réformes du 1er janvier 2019, la liste des soucis donne le tournis.
Sont-ils résolus ? Où en sont les concertations ouvertes l’année dernière, à la même époque, suite au mouvement #Payetonauteur et une intervention emblématique de Joann Sfar encore sur toutes les lèvres ?
« Des groupes de travail ont le mérite d’exister. Y sont enfin abordés des problèmes – qui auraient dû l'être depuis 10 ans –, ce qui est un progrès. Mais règlent-ils les dysfonctionnements ? Non. Par exemple, depuis le 1er janvier, les auteurs et autrices de littérature jeunesse arrivent encore moins à se faire rémunérer par les établissements scolaires, qui refusent d’appliquer la circulaire de 2011 », assure Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels et vice-présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse.
« Cette circulaire est de toute façon devenue obsolète depuis le 1er janvier, et on ne cesse de laisser les artistes auteurs dans un flou total concernant les règles qui doivent s’appliquer pour eux, que ce soit en termes de régime social ou de fiscalité. Chacun y va de son interprétation. Ce n’est pas sérieux. Il faut un cadre clair qui définisse les modalités d’intervention des artistes auteurs, à qui l’on demande justement d’être au centre de la politique culturelle du pays. »
Elle y voit alors dans cette situation un décalage complet entre la volonté politique actuelle, qui a été clairement affichée, et ce qui se déroule au quotidien. « La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a fourni une liste exhaustive au Ministère de la Culture, au ministère de l’Éducation nationale et à la Direction de la sécurité sociale, preuves à l’appui, des cas rencontrés par les auteurs jeunesse qui ne parviennent pas à travailler dans des conditions normales. »
Le Ministère de la Culture s’était pourtant engagé à ce que les auteurs qui n’étaient pas payés depuis le 1er janvier le soient avant l’été. « Toujours rien. Nous parlons parfois, pour des auteurs très précaires, de sommes allant jusqu’à 3000 €. 3000 € d’impayés suite à des interventions scolaires, pour des auteurs dont la plupart gagnent moins que le SMIC ! Pour que les artistes auteurs soient réellement au centre de la politique culturelle, il faut commencer par leur donner un cadre administratif, juridique, fiscal et social rénové, clair et adapté. On ne peut pas créer quand on est en permanence dans la survie et les relances. »
Un autre problème serait l’AGESSA. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la sécurité sociale des auteurs n’est pas passée inaperçue ces derniers temps pour ces bugs divers. Les artistes auteurs se questionnent sur la gouvernance de leur régime de sécurité sociale. Un sujet qui ne serait pas abordé durant les réunions de concertations plénières.
Le recouvrement des cotisations est désormais assuré par l’URSSAF, mais le conseil d’administration de l’AGESSA/MDA est suspendu depuis avril 2014. « La population des artistes auteurs a été écartée de la gouvernance de leur propre régime de sécurité sociale. » Durant sa première audition à la Mission Bruno Racine, la Ligue a demandé que soient mises en place des élections professionnelles permettant de recréer démocratiquement une gouvernance. Une demande formulée par d’autres syndicats de professions créatives.
« Si l’on veut vraiment agir, déclare Samantha Bailly, alors il faut prendre ce problème à bras le corps. D’abord, régler la représentativité professionnelle des artistes auteurs. C’est à nous, auteurs et autrices, d’être décisionnaires de notre avenir. Il faut veiller à faire cesser les conflits d’intérêts dont nous sommes victimes. L’usurpation symbolique des auteurs par les diffuseurs exploitant leurs œuvres ne peut plus durer. Il y a des intérêts convergents et des intérêts divergents. »
La question que pose la représentation professionnelle est : qui défend les auteurs ? Le droit d’auteur serait-il devenu un droit des œuvres ? On peut s’étonner d’avoir vu les éditeurs aussi mobilisés sur la Directive Droit d’auteur. L’explication est simple : via les contrats d’édition, les maisons d’édition deviennent propriétaires des droits patrimoniaux des auteurs.
Comme le soulignait le constat de la Ligue, rien n’empêche aujourd’hui un éditeur de confisquer tous les droits patrimoniaux d’un auteur sans contrepartie ou rémunération, et pour 70 ans après sa mort.
« D'autre part, poursuit Samantha Bailly, il faut consolider le régime social, oui, mais encore au-delà, anticiper les mutations rapides des métiers créatifs en osant aller vers des systèmes modernes permettant aux plus précaires des artistes auteurs d’être protégés fiscalement. Cela demande une remise à plat croisée avec des experts du Code de la propriété intellectuelle, du droit social et du droit fiscal, pour mettre de la cohérence dans un système chargé de contradictions, afin d’avoir enfin une clarté d’information pour les artistes auteurs. »
Et de souligner : « Cela correspond à la Mission Bruno Racine. Nous espérons que Monsieur Bruno Racine réalise toute l’attention qui est portée vers lui et vers les travaux de ses experts. Cette mission doit à tout prix aboutir à des propositions à la hauteur de l’urgence. Il faut aussi que l’État reconnaisse l’ampleur des préjudices subis par les artistes auteurs du fait des dysfonctionnements de l’AGESSA, et prenne la mesure des problèmes qui sévissent depuis le 1er janvier 2019 et que ces derniers soient enfin réglés — 6 mois déjà de calvaire. »
Actuellement, la mission Bruno Racine devrait rendre son rapport mi-novembre, après avoir auditionné l’ensemble des organisations concernées par le champ de ses travaux. Un calendrier à la fois court et long. Court pour l’ampleur de la tâche. Long par rapport à l’urgence sociale des auteurs.
« Ensuite, il faut que le Ministère de la culture soit lui-même exemplaire dans la rémunération des artistes auteurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui à travers les structures qu’il subventionne. On pense à la MEL il n’y a pas si longtemps, mais aussi au Labo des Histoires. Il faut remettre la circulaire de 2011 en un décret solide, mais surtout entériner des grilles de rémunération comme celle de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, reprise au CNL et à la SOFIA. Qui dit professionnalisation dit cadres. »
Tout le monde se souvient des révélations des conditions de rémunération des auteurs via le Labo des histoires. Association massivement subventionnée par l’Etat, le Labo des histoires est une structure dédiée à l’écriture, qui a fait partie des initiatives La France s’engage sélectionnées par l’ancien président de la République, François Hollande.
Le directeur du Labo des histoires avait affirmé dans nos colonnes que le Labo pourrait se passer des auteurs : « Si notre modèle économique ne fonctionne plus, alors on s’arrêtera. Et il faut rappeler que nous travaillons avec d’autres prestataires, qui coûtent moins cher. Si je cherchais à faire des économies, je ne solliciterais plus les auteurs. »
Les auteurs au centre de la politique du Ministère de la culture ? Difficile à croire quand autant d’argent public est fléché vers une association dédiée aux ateliers d’écriture, qui affirme qu’elle peut très bien faire sans auteurs. Et Samantha Bailly d’ajouter : « Qui va répertorier le nombre de projets subventionnés au nom des auteurs et de la création, et regarder quel argent va directement aux auteurs ? C’est effrayant. »
Combien d’argent généré au nom des auteurs et du droit d’auteur, et quelle partie leur revient vraiment ? Une vraie question.
Samantha Bailly conclut : « Pour inverser la crise sociale et la destruction de nos corps professionnels créatifs, il faut des mesures fortes, novatrices et historiques. C’est la seule solution. Sauver les auteurs et autrices en France va demander beaucoup de courage politique. Le chantier est colossal. C’est l’héritage de décennies d’abandon des artistes auteurs, encensés symboliquement, mais si peu défendus socialement dans les faits. Le Ministère de la Culture a une occasion historique de remettre enfin de l’équilibre et de la justice dans les industries culturelles. »
Va-t-il la saisir ?
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Commenter cet article