Le 16 janvier s'est tenue au Théâtre de la Concorde la première cérémonie des remises du Prix Ada, catégories Roman et Essai. Cette nouvelle récompense s'inscrit dans la continuité du séminaire « IA, démocraties et milieu informationnel », porté par l'enseignant-chercheur français en sciences politiques Hugo Micheron. Une soirée particulière, puisque des extraits, en avant-première internationale, de l’opéra Ask Ada, ont été interprétés par la mezzo-soprano Michaela Riener.
Le 17/01/2025 à 14:46 par Hocine Bouhadjera
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17/01/2025 à 14:46
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En juin 2021, en pleine période de COVID, l'opéra, composé par le Chypriote Yannis Kyriakides, a été joué pour la première et unique fois à Athènes, devant une seule spectatrice, la librettiste de l'opéra, Theodora Delavault. Il sera proposé en mai prochain au Muziekgebouw d'Amsterdam.
L'œuvre multimédia raconte l'histoire d'Ada Lovelace, mathématicienne et fille du poète romantique anglais Lord Byron, considérée comme l'inventrice du premier algorithme informatique en 1843. Visionnaire, elle a prédit l'émergence de l'intelligence artificielle. Yannis Kyriakides utilise abondamment les algorithmes dans sa composition, s'appuyant sur l'idée de Lovelace selon laquelle les nombres peuvent être remplacés par autre chose – comme des notes musicales.
La Britannique, longtemps oubliée avant d'être redécouverte avec l'avènement de l'informatique moderne, prête son prénom au nouveau prix littéraire Ada. Celui-ci entend célébrer l’excellence littéraire, mais aussi les ouvrages qui se donnent pour mission de créer des liens entre les technologies qui façonnent notre société, et les auteurs qui la pensent. « Des œuvres littéraires et intellectuelles qui, par leur originalité, leur créativité et leur rigueur, enrichissent notre compréhension du monde, stimulent notre inventivité et apportent des réponses éclairées aux changements rapides et profonds de notre environnement », résume le jury.
Il compte parmi ses membres Giuliano da Empoli, écrivain et Lauréat du Prix de l’Académie française 2022 ; Julie Girard, philosophe et auteure du Crépuscule des Licornes ; Delphine Grouès, Directrice de la Maison des Arts de Sciences Po ; Hugo Micheron, docteur en sciences politiques et Lauréat du Prix Femina pour La Colère et l’Oubli ; Bruno Patino, président d’ARTE et professeur à Sciences Po ; Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’Express ; et Chine Labbé, rédactrice en chef Europe chez NewsGuard et membre du Comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information de Radio France.
La présidente du jury, l'historienne de l'art et présidente de la FNSP, Laurence Bertrand Dorléac, met en évidence que « ce prix est porté par un jury qui appartient aux "sciences humaines et subtiles", comme disait le regretté Bruno Latour ». Ce qui ne l'a pas empêché de récompenser, dans la catégorie Essai, l'Académicien français, psychiatre, et spécialiste des neurosciences cognitives, Raphaël Gaillard, pour son ouvrage paru chez Grasset, L'homme augmenté : Futurs de nos cerveaux.
« En tant que psychiatre, j'ai toujours été confronté à une pathologie du choix : incapable de me limiter à un seul domaine. Au moment de bifurquer, je choisis le grand écart », confie le lauréat, non sans humour. Il rend ensuite hommage à ce nouveau prix : « La jonction entre les disciplines induites dans ce prix me rend heureux d'en être le lauréat. Dans mon métier, je ne peux soigner qu'en mettant en commun des savoirs issus de champs variés, afin de mieux répondre à la complexité des êtres humains. »
Dans son ouvrage, il pose la question : sommes-nous à l’aube d’un affrontement entre la machine et l’homo sapiens ?
Avec une perspective originale, le psychiatre tente de démontrer que cette nouvelle forme d’intelligence, née de l’imitation du cerveau humain, a tout intérêt à s’hybrider avec notre propre intelligence. Selon lui, le véritable défi ne réside pas dans une compétition avec l’IA, mais dans la réussite de cette hybridation. Il constate par ailleurs que l’humanité a déjà vécu une grande hybridation avec l’invention de l’écriture et de la lecture, qui marqua le passage de la Préhistoire à l’Histoire. Déposer notre savoir hors de nous par l’écriture, puis le réintégrer par la lecture, préfiguraient ce que la technologie nous promet aujourd’hui : « L'écriture et la lecture ont été des tournants pour notre cerveau », résume-t-il.
Il aborde dans son ouvrage l'hybridation homme-machine de manière nuancée, loin des extrêmes souvent rencontrés dans les discours actuels, oscillant entre un optimisme naïf et un alarmisme tragique. Il s'appuie sur son expertise médicale et littéraire pour explorer les réalités de cette hybridation, déjà intégrée dans les pratiques médicales courantes comme les traitements pour les patients parkinsoniens ou paralysés. Il éclaire les possibilités de ces technologies, tout en questionnant leurs implications éthiques et pratiques, soulignant la nécessité de comprendre à la fois les risques et les bénéfices.
Il distingue par ailleurs la réparation de l'augmentation, illustrant que même des interventions apparemment simples, comme les implants cardiaques, peuvent flouter cette frontière.
Il critique également l'idée que l'augmentation crée une harmonie, arguant que, souvent, elle génère des hyper-compétences spécifiques au détriment d'autres capacités, perturbant ainsi l'équilibre psychique et fonctionnel de l'individu. Il s'inquiète que l'augmentation cérébrale puisse exacerber les troubles mentaux, vu que le cerveau humain est déjà à la limite de ses capacités de gestion de complexité et de stress.
L'augmentation pourrait donc non seulement créer des inégalités entre ceux qui la tolèrent et ceux qui ne la supportent pas, mais également augmenter la prévalence des troubles psychiques, nécessitant une préparation et une réflexion profondes sur l'utilisation éthique et sécuritaire de ces technologies. Il met aussi en garde contre les fantasmes véhiculés par la science-fiction sur le contrôle total du cerveau, rappelant que les interventions actuelles sont très localisées et ne permettent pas un accès ou un contrôle global de l'activité cérébrale.
Raphaël Gaillard propose finalement que l'éducation initiale des enfants devrait privilégier l'apprentissage de l'écriture et de la lecture avant de s'ouvrir à l'hybridation technologique. Demain, l’IA pourrait devenir aussi indispensable que nos smartphones, intégrée à nos vies quotidiennes, voire incorporée à nos corps...
Catégorie roman, le lauréat de cette première édition est Noham Selcer, pour son premier livre, Les Chaînes de Markov, publié chez Gallimard.
« Je tiens à remercier Ludovic, mon éditeur, qui s’est battu avec acharnement pour faire publier ce livre », a réagi le primo-romancier mathématicien. Il a aussi profité de l'occasion pour rendre hommage à Hugo Micheron, à l'initiative du prix, et membre du jury : « En lisant ses deux derniers ouvrages il y a peu, j'ai pensé, voici quelqu'un qui m’a aidé à mieux comprendre et structurer ma vision du monde. Alors, quand j’ai vu qu’il faisait partie du jury, j’ai ressenti une grande fierté, et je suis encore plus heureux aujourd’hui d’être le lauréat de ce prix. » « Le jury est, lui aussi, toujours évalué », a répondu, non sans humour, sa présidente, Laurence Bertrand Dorléac.
Une chaîne de Markov est un processus mathématique utilisé par les météorologues et les physiciens pour prévoir des changements en se basant sur l’observation du présent. Ezra, jeune professeur de mathématiques, tente d’appliquer cette méthode à sa vie amoureuse pour anticiper les aléas de sa relation avec Ève...
La conclusion ? Bien que l'amour puisse être examiné sous un angle quasi algorithmique, il subsiste toujours un élément d'imprévisibilité et d'irrationalité qui échappe à toute logique prédictive.
Ce premier roman, empreint d’une ironie mordante, est aussi le portrait d’une génération confrontée à des injonctions contradictoires – quête d’épanouissement, impératif de générosité, cynisme ambiant et tentations de corruption – et qui s’efforce, coûte que coûte, de rester en équilibre.
Photographie : illustration, UW News, CC BY 2.0
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 14/03/2024
304 pages
Editions Gallimard
21,50 €
Paru le 10/01/2024
347 pages
Grasset & Fasquelle
22,00 €
5 Commentaires
Edco
17/01/2025 à 15:29
Intervenants , tous magnifiques, indispensables .....👏👏👏👏
Luna
18/01/2025 à 07:25
Vu l'état du monde, de la dette, de nos urgences, de nos banlieux, de notre service public et de toutes ces espèces qui se meurent comme les animaux qu'ils sont.
Je ne crois vraiment pas à votre intelligence
J.Cutler
18/01/2025 à 09:01
Preuves que la lecture -et l'écriture-sont les aliments indispensables de l'esprit.
Merci pour la piqure de rappel.
Aurélien Terrassier
18/01/2025 à 11:46
Je suis ravi pour Raphael Gaillard qui a eu un prix, bravo à lui. De par sa profession, Raphaël Gaillard intellectuelise la psychiatrie et les évolutions technologiques sur la fameuse hybridation et par ailleurs il a aussi évoqué une piste de traitement par le LSD contre la dépression là où certains de ses confrères parlent voir polémiquent sur Freud et Lacan avec une grosse touche d'emotionisme pour ne pas dire de développement personnel d'où cette littérature étiquetée "Feel Good", soit de molécules Irs (Prozac) et autres anxiolytiques sans forcément évoquer la piste des anti-inflammatoires... Le nouvel académicien en tout cas de par sa profession à l'hôpital Sainte Anne aussi fait en tout cas bouger les lignes que ce soit sur l'hybridation qui n'a pas attendu Neuralink (les neuro-stimulateurs existent depuis plus d'une quîzaine d'années) ou sur différents traitements contre la dépression qu'il a expérimenté lui-même (le LSD) à l'occasion d'un voyage aux États-Unis.
Edco
20/01/2025 à 15:30
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mercredi-08-janvier-2025-1184073
Intéressant.....