En 2018, la première élection d'un certain Donald Trump, alliée à la crise des réfugiés syriens, inspirait à l'Irlandais Paul Lynch son cinquième roman. Un Booker Prize plus tard, Le Chant du prophète (trad. Marina Boraso, Albin Michel) a atteint notre hexagone, le même mois que l'investiture du même Trump, pour un second mandat...
Le 10/01/2025 à 11:38 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
10/01/2025 à 11:38
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« Nous flirtons avec le désastre », défend auprès d'ActuaLitté le romancier, et de développer : « Il suffit qu’un pays bascule pour entraîner le monde entier. La différence entre le Trump de la dernière fois et le Trump d’aujourd’hui, c’est qu’il tient désormais toute la machinerie étatique pour mettre en œuvre ce qu’il voulait réaliser auparavant. »
Selon l’auteur, « sa vision d’extrême droite, de nature autoritaire et fasciste, a été institutionnalisée au sein du parti républicain ». Il constate, avec crainte, « de nouvelles générations qui n’ont pas la mémoire vivante de l’abîme » qu’a été le fascisme en Europe, conduisant à la Seconde Guerre mondiale...
Il déplore : « Lorsque la mémoire vivante disparaît, les faits commencent à s’effacer. Les récits se réinterprètent, se brouillent et se corrompent. Une nouvelle génération émerge, affirmant ouvertement qu’elle ne considère plus l’autoritarisme comme une menace. D’un côté, cette position reflète leur aliénation vis-à-vis du système actuel, de l'autre une insatisfaction face aux conditions de vie modernes. »
Mais quel rapport avec le roman de Paul Lynch ? Il raconte la graduelle transition d'une société vers un régime autoritaire. Non en décortiquant les mécanismes d'un inexorable basculement politique, ni en mettant en scène des jeux de pouvoirs compliqués, mais à travers le prisme du quotidien le plus ordinaire.
Eilish Stack, enseignante et mère de famille, contemple progressivement tout son univers se disloquer, comme Fabrice Del Dongo la Bataille de Waterloo, dans le flou d'une action trop large. La grande histoire se déploie sous sa seule focale.
C'est extrêmement simple, Eilish, le NAP s'efforce de transformer ce que toi et moi appelons la réalité, ils entretiennent la confusion, et si l'on prétend qu'une chose en est une autre et qu'on le répète assez longtemps, eh bien elle finit par le devenir, et il suffit de le répéter indéfiniment pour que les gens l'acceptent comme une vérité– rien de bien neuf là-dedans, je sais, sauf que cette fois ça se produit dans ta propre vie, pas dans un bouquin.
- Extrait du Chant du Prophète, de Paul Lynch
Paul Lynch remarque : « Nous ne vivons pas au centre de l'action politique. Nous ne sommes pas au-devant de la scène. Mon personnage est en dehors, essayant de faire les courses et de nourrir ses enfants, d'aller au travail et de maintenir son emploi. Son mari disparaît, son père sombre dans la démence, son grand fils refuse la situation... Il se passe tellement de choses dans sa vie. Elle n'a pas l'espace cognitif pour comprendre que le monde commence à dériver. »
À travers l'Irlandaise, le romancier entend donner corps à l'incroyable complexité d'être un être humain moderne, et toutes les choses avec lesquelles nous devons composer dans notre vie de tous les jours : « Je me suis intéressé à l'aliénation qu'elle ressent dans un monde qu'elle ne parvient plus à comprendre. Une sujétion que beaucoup d'entre nous éprouvent dans leur propre existence. Comment pouvons-nous vraiment connaître le monde ? Comment distinguer ce qui est réel de ce qui ne l'est pas ? Et même lorsque nous reconnaissons ce qui est réel, nous continuons parfois à le nier. »
Tandis que l'univers du livre, « comme notre monde » assure l'écrivain, s'éloigne progressivement des normes démocratiques, des valeurs humanitaires, de la loi et de l'ordre pour plonger dans l'abîme, Eilish se berce d'illusions, jusqu'à se prendre le mur du réel...
J’ai changé d'avis, je ne veux pas m'en aller, de toute façon j'ai le droit de refuser de le faire, il existe un tribunal pour ça, je connais des gens qui vont passer en jugement, si je sors de ce pays il se peut que je n'aie jamais plus le droit de revenir, en tout cas je suis sûr de me faire arrêter… Molly se couvre le visage avec les mains.
- Extrait du Chant du Prophète, de Paul Lynch
Son ambition de raconter cette histoire à hauteur de femme, Paul Lynch la porte en écrivain, donc par l'entremise de la langue, la manière dont la phrase est pensée : « Déjà, j'écris au présent. Je veux que les phrases appuient le sentiment, incitent à l'action, poussent vers l'inconnu, s'insèrent dans le connu. Elles sont capables de capturer et refléter l'essence même de la vie, j'en suis convaincu. Mes phrases ne sont pas détachées, elles sont engagées. »
Le romancier cherche l'empathie chez le lecteur, et surtout une « sorte d'immersion totale ». Il puise dans l'approche cinématographique, lui qui a officié durant de nombreuses années en tant que critique du 7e art : « J'aime placer une image dans l'esprit du lecteur », nous confie-t-il, et de continuer : « J'ai appris du cinéma l'importance de la narration. Même les films d'art et essai les plus fragmentés doivent encore raconter une histoire. J'ai fait la critique de plus de mille films, et cela m'a beaucoup enseigné sur l'importance du récit. Scientifiquement, les êtres humains perçoivent la réalité de manière cohérente à tous les niveaux. Ainsi, une histoire agit comme un cheesecake pour le cerveau. »
L'Irlandais a aussi été marqué par un certain début du XXe siècle littéraire, porté par des auteurs comme Virginia Woolf, William Faulkner ou James Joyce. Là encore, à hauteur d'homme, et un certain rapport à l'épopée intime.
Avec son cinquième roman, Paul Lynch a remporté l'une des plus importantes récompenses littéraires mondiales, le Booker Prize : « Dans le monde anglophone, c'est le mont Olympe », analyse-t-il : « La vie change complètement. Il y a une vie avant et après. Soudainement, vous pouvez passer de vendre quelques milliers de livres à un demi-million, c'est aussi simple que cela, et c'est extraordinaire. » Le roman va être traduit dans, au minimum, une quarantaine de langues : « C'est un privilège extraordinaire pour un écrivain, qui veut avant tout être lu. »
Il nous raconte la genèse du Chant du prophète, qui ressemble à beaucoup d'éclatantes réussites : « Dans un premier temps, j'écrivais le mauvais livre. Pendant six mois. Comme je disais combien la narration est importante pour moi, ça n'avançait pas en tant qu'histoire. »
Simultanément, des bouleversements politiques majeurs se dessinaient à l'échelle mondiale : « Nous avons eu le Brexit au Royaume-Uni, Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil… Et puis il y avait la guerre en Syrie, avec comme conséquence, probablement la plus grande crise des réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, aux frontières de l'Europe. Elle a été largement accueillie avec indifférence et hostilité. »
La photo de ce petit enfant de trois ans, Alan Kurdi, mort sur la plage, le touche profondément. Il réalise : « Bien que je ressentais de la sympathie pour cet enfant, je n'étais pas si bouleversé. Il y avait une part de moi qui restait détachée. Dans le même temps, je reconnais qu’assumer toute la souffrance du monde nous rendrait probablement fous. Et pourtant, ma réaction en tant que citoyen me semblait insuffisante. »
En explorant, dans son roman, une grave crise politique en Irlande, jusqu'à la guerre civile, il nous fait mieux éprouver ce qui peut pousser des individus à monter sur un bateau. Le drame syrien a été transposé en Europe, où même là, on peut être poussé à l'exil, afin de protéger sa vie et celles de ses enfants.
La guerre prend forme autour d'eux, les tirs d'artillerie qui résonnent comme des marteaux-piqueurs, les obus qui pilonnent le sol en faisant trembler la maison, les parquets et les vitres qui s'ébranlent pendant que Bailey regarde la télé avec le son au maximum, la radio qui communique des informations sur les mouvements des rebelles, sur les quartiers sud de la ville qui sont assiégés.
- Extrait du Chant du Prophète, de Paul Lynch
L'auteur est néanmoins formel : « Je n'écris pas pour essayer de changer le monde. Je ne suis pas un romancier politique. J'écris pour essayer d'approfondir ma propre compréhension de la complexité. La vie n'est pas noir et blanc. Elle est en haute résolution : grise. »
Face à une montée du nationalisme partout en Europe, mais pas seulement, Paul Lynch propose d'appréhender ce roman comme « une simulation d'un futur où un gouvernement populiste parvient à prendre le contrôle ».
Cette capacité la littérature ou du cinéma est l'une de ses principales forces, selon celui qui se présente comme « un ambassadeur de la lecture, une lecture sérieuse et approfondie, électrique » : « Si l’on ne lit pas les livres qui nous éclairent sur les expériences dramatiques passées, ou si l’on ne regarde pas les films qui les illustrent, comment peut-on avoir conscience des dangers qui nous guettent ? »
De littérature au cinéma, il n’y a qu’un pas, puisque le roman a déjà été optionné pour une adaptation sur grand écran : « Je ne sais pas si cela se produira réellement, mais il est probable que cela arrive », avance prudemment l’auteur.
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Il tient malgré tout à rappeler : « Il est absurde de penser que les écrivains créent des livres dans l’espoir qu’ils soient adaptés en films. Le livre, à lui seul, est déjà une réponse. Toute adaptation impliquera inévitablement un compromis, ne pouvant reproduire la richesse, la substance d’un roman, donc je suis dans l’optique que je ne pourrais qu’être déçu. »
Paul Lynch n'a pas entamé l'écriture de son sixième roman, il est donc prématuré d'évaluer l'impact de son changement de statut sur son œuvre : « Il est possible que je cherche à m'échapper et à écrire quelque chose de vraiment étrange », se questionne-t-il, non sans humour, avant de conclure, dans la même veine : « Je stupéfierais le monde de mon ingratitude. »
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 02/01/2025
304 pages
Albin Michel
22,90 €
13 Commentaires
Gaucho Marx
10/01/2025 à 13:26
Encore une reductio ad hitlerum.
Pénible.
Le cheveu long, les idées courtes ?
Pour prendre un peu de recul, j'ajoute qu'à notre époque, ce n'est pas tant un homme ou un parti qui gagne les élections, que ses adversaires qui la perdent.
Dit autrement, c'est parce que le parti démocrate a été en dessous de tout que Trump a gagné. Harris a adopté dans ses meetings la même stratégie perdante que Clinton en 2016. Elle avait une autoroute devant elle, mais malheureusement une voiture électrique à la batterie vide !
Karl Draxler
10/01/2025 à 16:56
Gaucho Marx a encore abusé de Cnews ces jours-ci, sa lucidité en pâtis forcément, son idole, grand joueur de golf devant l'éternel déboule dans 10 jours, ça s'émoustille dans le bas ventre... 4 années de communion avec une casquette ça chamboule un homme...
Gaucho Marx
11/01/2025 à 11:57
Le monsieur aux 140 signes vient d'inventer la reductio ad Cnews. Félicitations, vous laisserez une trace dans l'Histoire.
Aurelien Terrassier
12/01/2025 à 14:42
Karl Draxler vous avez oublié Tred, Radio Courtoisie et Tv Libertés, tel sont les références que Gaucho Marx aura du mal à avouer tellement ses propos insultants sautent aux yeux et qu'il est embarrassé quand on lui demande quelles sont ses sources et ses références politiques...
Gaucho Marx
13/01/2025 à 02:28
Je ne connais pas deux de ces sites et n'écoute pas le troisième.
Mais je comprends qu'ils vous courroucent : je ne vous jamais senti à l'aise avec la courtoisie ni avec les libertés.
Aurelien Terrassier
13/01/2025 à 08:12
Avec la haine et la division, en effet je ne me sentirais jamais à l'aise.
Cyril Balcon
12/01/2025 à 03:15
Ni RN ni LFI ; un grand NON aux partis populistes et extrémistes (qu'il soit d'ED ou islamofascisme comme LFI)
Gaucho Marx
12/01/2025 à 16:45
Petite définition personnelle du populisme :
- Pour l'homme de pouvoir, la démocratie, c'est quand l'homme de la rue pense comme lui, et le populisme, c'est quand il pense l'inverse.
Cyril Balcon
12/01/2025 à 07:02
« LFI est le tombeau de la gauche »
Richard MALKA
Avocat - Charlie Hebdo
Aurelien Terrassier
12/01/2025 à 12:05
Pour un site qui ne dort pas comme le dit si bien Wikipedia,c'est étonnant que vous n'ayez prévenu personne de vos congés. Bien à vous.
Team ActuaLitté
12/01/2025 à 12:20
Bonjour M. Terrassier
De quels congés parlez-vous ?
Aurelien Terrassier
12/01/2025 à 13:17
Pas de publication le 11 janvier ni même aujourd'hui
Aurelien Terrassier
12/01/2025 à 13:21
Excusez-moi Team Actualitte je n'avais pas vu car le sujet du 10 est en gros titre et ceux d'hier d'aujourd'hui plus petits.