Un arbre a besoin de racine pour grandir, surtout si cet arbre est le cèdre du Liban. Dans un Beyrouth en plein chaos, un flic proche de la retraite est félicité pour le dénouement d’une affaire explosive d’adultère très médiatisée. On lui adjoint une jeune recrue, une jeune femme issue de la communauté Chiite , pour valider la thèse d’un accident d’une universitaire, mais en bon flic, même véreux, Marwan Khalil, ancien d’une milice chrétienne, flaire un meurtre et va mettre son nez là où il ne faut surtout s’aventurer. Rencontre avec l’auteur, David Hury.
Le 09/01/2025 à 11:42 par Christian Dorsan
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Publié le :
09/01/2025 à 11:42
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David Hury nous embarque non pas dans une sombre affaire, et nous initie à la complexité de ce pays qui le touche et qu’il connait bien : le Liban, avec Beyrouth Forever. L’universitaire retrouvée morte était engagée sur un projet sensible : écrire le manuel d’Histoire du Liban.
Dans tout pays, cette tâche parait plutôt simple et didactique, seuls les vainqueurs ont droit aux honneurs, mais dans un pays où chacun cache des cadavres dans ses placards, la tâche devient un exercice périlleux, écrire une Histoire sans heurter les différentes communautés, un pays dans lequel on préfère « ensevelir notre culpabilité dans l’oubli » et « célébrer notre amnistie collective plutôt que les noms qui pourrissent dans les charniers ».
Ce que l’on sait permet d’éclairer le chemin à parcourir, mais au Liban, le chemin est tortueux et dangereux. Ce roman est plus qu’un polar, c’est un moyen « ludique » de comprendre cette partie de la Méditerranée qui est une véritable tour de Babel toujours prête à exploser. Après cette lecture, l’actualité vous semblera peut-être un peu moins nébuleuse, et vois aidera à vous forger une opinion un peu plus objective et documentée, rien n’est plus dangereux que l’obscurantisme…
Christian Dorsan : Marwan est un vieux flic avec un passé qui s’inscrit dans l’Histoire du pays. Peut-il être intègre ?
David Hury : Par définition, non. Non, dans le sens de l’honnêteté, de l’impartialité et de la probité. Marwan, le personnage principal du roman, est un flic en fin de carrière, héritier d’une pensée confessionnelle issue de la guerre civile. Ancien combattant au sein des Kataëb (milice chrétienne du clan Gemayel), il est imprégné de la pensée de cette époque. Pour lui, comme pour beaucoup de Libanais de cette génération, la guerre de 1975 n’est pas encore terminée, même si les armes se sont officiellement tues en 1990.
De cette époque, Marwan a conservé les codes et les rancœurs, contre les Syriens ou les Palestiniens. Ses trente ans de carrière dans la brigade criminelle de la police judiciaire de Beyrouth n’ont rien changé. Bien au contraire. Il a gardé ses réflexes communautaires, quelques techniques pour arrondir ses fins de mois… C’est aussi contre ça que le personnage se bat : comment faire sa mue, même à 60 ans ?
Le Liban, et surtout Beyrouth, est une mosaïque de communautés, y a-t-il un lien commun qui pourrait les rassembler ?
David Hury : Ils sont nombreux, même si la plupart sont des leurres. On peut commencer par le drapeau national – l’une des obsessions de Marwan que j’ai empruntée à l’artiste libanais Ara Azad, et je l’en remercie –, l’art culinaire, les chanteuses, l’armée… Le Liban regroupe 18 communautés religieuses, mais ce serait une erreur de ne regarder le pays du cèdre que sous ce spectre. Les divisions sont avant tout politiques, idéologiques et sociales. Dans les boîtes de nuit à la mode à Beyrouth et dans les bars de la ville, vous allez croiser autant de chrétiens que de musulmans ou de druzes. La vie se joue avant tout en fonction de la classe sociale et de l’épaisseur du portefeuille.
Le lien réel, celui qu’il faudra un jour développer, c’est le sentiment national. Le Liban est un État – ou un non-État, pour reprendre la formule du politologue Karim Émile Bitar – et pas encore une Nation, même 80 ans après son indépendance. Et ça, je n’ai pas de recette miracle pour vous dire comment créer cette alchimie. La seule chose évidente pour moi, afin de créer une vraie citoyenneté libanaise, sera de commencer par l’école. L’école reste la mère de toutes batailles. C’est valable au Liban, mais aussi en France. Tout passera par l’éducation.
Au centre de l‘enquête, une tentative d’écrire un manuel d’Histoire. Est-ce difficile d’être objectif dans cet exercice ?
David Hury : J’ai grandi dans un pays – la France – qui dispose d’un manuel scolaire et d’un récit national. Même s’ils sont volontairement erronés (cf. nos ancêtres les Gaulois) ou édulcorés sur des périodes peu reluisantes (cf. la Guerre d’Algérie que j’ai abordée dans un autre roman). J’ai toujours pris cela comme acquis, même si cette écriture de l’Histoire est imparfaite.
C’est pourquoi je me suis toujours demandé pourquoi – et comment ? – les Libanais n’avaient pas un tel manuel scolaire dans leurs écoles. J’ai constaté le résultat de cette méconnaissance de l’Histoire contemporaine : il y a 20 ans, je travaillais au master de journalisme de l’Université libanaise, et les étudiants en bac +4 étaient totalement dans le brouillard, pour rester poli. Ils ne savaient rien sur l’Histoire de leur propre pays, sur les guerres israélo-arabes… Comment devenir vraiment citoyens sans ces armes intellectuelles ?
Il me semble vital de devoir un jour écrire ce manuel scolaire, pour les futures générations. Depuis la fin des années 90, il y a eu des tentatives, qui se sont toutes soldées par des échecs à cause de pressions politiciennes. Je pense pourtant qu’il est possible d’écrire une Histoire du Liban, en s’en tenant aux faits purs – sans en oublier aucun – et aux définitions des mots dans le dictionnaire. Je vous donne un exemple avec le mot « milice ». Si vous dites à un partisan du Hezbollah que son parti est une « milice », il va prendre cela pour une insulte et sortir de ses gonds, en disant que c’est la « Résistance ». Pourtant, selon la définition, c’est avant tout une milice. Ce n’est pas un gros mot, juste une réalité.
Qu’est-ce que l’identité du Liban, est-ce un pays qui rêve d’être enfin vraiment indépendant ?
David Hury : L’identité du Liban ? Chacun des 5 millions de citoyens de ce pays aura une réponse différente, c’est ça qui fait à la fois la richesse et le drame de ce pays. On ne peut pas appréhender le Liban comme on appréhende un pays européen. Les codes sont différents, les mentalités sont différentes. Même le goût de la glace à la pistache y est différent. Il y a quelques jours, une amie libanaise a eu cette formule qui m’a beaucoup plu : avec la chute du régime syrien de Bachar el-Assad, la guerre de 1975 vient peut-être de s’achever.
Dans les 50 dernières années, le Liban a connu 3 occupations, dans l’ordre chronologique : syrienne, israélienne et iranienne. L’occupation syrienne a certainement été la plus insidieuse, il est presque drôle de voir actuellement les personnalités libanaises dites « pro-syriennes » faire profil bas ou retourner leur veste. La chute des Assad est un miracle que personne n’attendait, et ouvre un chapitre porteur de promesses pour le Liban.
Mais le Liban ne gagnera véritablement son indépendance que lorsqu’il sera totalement débarrassé de toutes ces tutelles politiques et sécuritaires, et de ces occupations territoriales, et qu’il maîtrisera ses frontières. Iran out, Israël out ! Je ne suis pas madame Irma – ou Michel Hayek, le célèbre voyant libanais – pour vous dire si 2025 verra enfin ces occupations s’achever. Mais je le souhaite de tout mon cœur.
Le véritable personnage du roman est Beyrouth. On sent que vous aimez cette ville autant que Marwan Khalil...
David Hury : Beyrouth est ma ville de cœur, ce n’est un secret pour personne. J’y ai vécu 18 ans, je suis devenu adulte dans cette ville que j’ai terriblement aimée. J’y ai eu mes enfants, j’y ai rencontré des gens qui m’ont viscéralement marqué. J’ai beaucoup appris pendant mes années libanaises, j’ai sillonné le pays dans tous les sens, j’ai vécu à Beyrouth des aventures que je n’aurais certainement vécues nulle part ailleurs.
Ce qui est extraordinaire avec cette ville, c’est qu’elle reste entourée d’une aura de fantasmes, même après les pires tourbillons, même après la chute aux enfers de son économie en 2019 ou après l’explosion du port en 2020…
Regardez les avions de la Middle East Airlines, ils sont pleins, alors que tout est incertain là-bas. Même pendant les bombardements israéliens sur la banlieue sud à l’automne 2024, les avions se posaient sur le tarmac. Beyrouth est un aimant. Un aimant qu’on peut aimer et détester en même temps. Alors oui, j’ai choisi Beyrouth comme la toile de fond de mon roman, presque comme un personnage à part entière, comme vous le dites. C’était facile pour moi. Comme une évidence.
Retrouverons-nous Marwan dans une prochaine enquête ?
David Hury : Très probablement ! Depuis l’été dernier, je travaille sur une suite, même si mon plan est sans cesse mouvant à cause de l’actualité. Difficile d’écrire la petite Histoire au moment même où la grande est en train de s’écrire sous nos yeux. Mais oui, j’ai encore des choses à raconter sur cette ville, et le roman noir est probablement le genre qui s’y prête le mieux. Marwan reviendra en 2026, inch’allah.
Crédits photo : David Hury ©Alain Sauma
Par Christian Dorsan
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 16/01/2025
291 pages
Liana Levi
20,00 €
1 Commentaire
Gaucho Marx
10/01/2025 à 13:31
Attendre tout de l'école, c'est terriblement long. Et terriblement faux. Mais cela fait qu'on ne s'aperçoit de ceci que bien trop tard.