Fondé en 2007 sous l’impulsion des figures incontournables de la BD féminine Chantal Montellier et Jeanne Puchol, le prix Artémisia œuvre pour accroître la visibilité des femmes dans un univers dominé par les hommes : celui de la bande dessinée. En ce sens, il distingue chaque 9 janvier – date anniversaire de Simone de Beauvoir – une BD signée et/ou illustrée par des autrices.
Le 09/01/2025 à 21:58 par Louella Boulland
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09/01/2025 à 21:58
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C’est à l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque que le jury, présidé par Laurent Gervereau, qui compte à ses côtés Chantal Montellier, Isabelle Beaumenay-Chaland, Julie Scheibling, Patrick Gaumer, Pascal Guichard et Christophe Vilain, a tranché. Huit prix, dont le prestigieux Grand Prix, ont été décernés, composant ainsi une sélection empreinte de thématiques sociales, de poésie et de revendications féministes.
Si certaines autrices n'ont pas pu répondre présentes à l'appel, toutes se sont dites honorées et fières de recevoir cette distinction, unique dans le monde de la BD. Le tout, évidemment, dans une ambiance de fête assurée par le franc parlé légendaire de Chantal Montellier.
Autant commencer par le plus attendu : le Grand Prix Artémisia a été décerné à La Camarade Coucou, un animal allemand dans la forêt allemande d’Anke Feuchtenberger, traduit de l’allemand par Monique Rival et publié aux éditions Futuropolis. Avec cette œuvre, Anke Feuchtenberger signe une BD qui croise les genres, et mêle volontiers histoire, fantasmagorie et autobiographie.
En toile de fond : Pritschitanow, un village d’Allemagne de l’Est, entre 1945 et 1995. L'autrice illustre ainsi l'exubérante, mais fragile, fertilité de la vie organique, une métaphore des existences précaires des villageois confrontés aux profondes transformations politiques de l'Allemagne.
Dès les premières pages, un étrange appel du coucou — cet oiseau qui confie ses petits à d’autres nids — mène Kerstin et sa mère dans les profondeurs d’un lac, ouvrant la porte à une narration où réalité et rêve se confondent.
Le Prix Extraordinaire a été décerné à Ce soir c’est cauchemar de Nicole Claveloux, publié aux éditions Cornelius. En s’inspirant en partie des travaux de Jung, l’autrice explore l’univers des rêves, ces songes souvent étranges où l’imagination prend le pas sur la logique et la raison.
Au fil des pages, des références émergent, telles qu’Oscar, le petit canard de Mat, une figure marquante pour Nicole Claveloux, ou encore des allusions à Jérôme Bosch, qu’elle considère comme son « idole ». L’autrice se met également en scène sous les traits de la Grande Directrice, critiquant un monde réel écrasé par l’ennui et l’obsession de la performance.
Jouant avec différents styles de narration, Nicole Claveloux propose une réflexion profonde sur la création artistique et les paradoxes du métier d’artiste.
Le Prix Influence a été décerné à Simone de Beauvoir : Je veux tout de la vie, signé par Julia Korbik et Julia Bernhard, traduit de l’allemand par Gaïa Maniquant-Rogazyk et publié aux éditions Steinkis.
« J’aime avec passion la vie, j’abomine l’idée de devoir mourir. Je suis terriblement avide, aussi, je veux tout de la vie : être une femme et aussi un homme, avoir beaucoup d’amis, et aussi la solitude, travailler énormément, écrire de bons livres, et aussi voyager, m’amuser, être égoïste, et aussi généreuse... » — Simone de Beauvoir.
Ces mots sont ceux d’une des intellectuelles les plus influentes du XXe siècle. Toute sa vie, Simone de Beauvoir a combattu pour exister pleinement, dans toute la complexité et la diversité de son être, loin des normes et des conventions.
Et, aujourd’hui, Julia Korbik et Julia Bernhard retracent son histoire à travers une série d’entretiens, pour présenter son parcours de son enfance à l’année de sa mort.
Le Prix Société a été décerné à Ce que je sais de Rokia, une bande dessinée aux accents autobiographiques signée Francesca Vartuli pour le dessin, et Quitterie Simon pour le scénario. Cette dernière a d'ailleurs confié être « tombée amoureuse du trait de Francesca Vartuli, qui a consacré deux ans de travail à ce projet ».
Rokia, venue du Libéria après avoir fui son pays, trouve refuge chez Marion, une Française installée avec sa famille à La Rochelle. Cette cohabitation, parfois heureuse, parfois douloureuse, est racontée « sans évangélisme ni néocolonialisme, mais avec beaucoup d’humanisme », souligne le jury.
Face à la menace d’expulsion qui pèse sur Rokia en raison du non-respect du règlement de Dublin, Marion, son hôte, redouble de sororité, et met en place un réseau de soutien improvisé pour empêcher la jeune femme de retourner dans le pays de Meloni. Les membres du jury saluent « un combat dépourvu d’héroïsme, raconté avec sobriété et sincérité ; qui n’efface pas les doutes et interrogations sur la part de mystère entourant l’étrangère en question ».
Le Prix Pionnière a été décerné à Garçonnes de Trina Robbins, traduit de l’anglais (US) par Marie-Paule Noël et publié par les éditions Bliss. Cet ouvrage rend hommage aux autrices de bande dessinée des années folles, ces femmes audacieuses qui ont osé les coupes au carré, l’abandon du corset et les jupes raccourcies, tout en capturant l’effervescence du charleston et des premières conquêtes féministes, comme le droit de vote.
À travers un travail de recherche méticuleux, Trina Robbins exhume des figures oubliées, pionnières du 9e art, qui ont marqué leur époque tout en posant les bases de la BD moderne. Présenté dans un format grand format, cette BD célèbre également la richesse des dessins de ces créatrices méconnues. « Trina Robbins, cette vieille dame indigne, nous a quitté cette année en nous laissant deux magnifiques testaments, Garçonnes et Last Girl Standing, un titre déjà récompensé par Artémisia », précise le jury du Prix Artémisia.
Le Prix Résilience a été attribué à Victory Parade de Leela Corman, traduit de l’anglais (US) par Jean-Paul Jennequin et publié aux éditions çà et là. Cette œuvre nous transporte dans l’Amérique des années 1940, marquées par les séquelles de la guerre et la montée du nazisme.
On y suit Rose, une soudeuse participant à l’effort de guerre tandis que son mari est au front. Entre son amant, un vétéran mutilé, sa fille hypersensible et Ruth, une jeune réfugiée juive allemande qu’elle héberge et qui choisit de devenir catcheuse par défi, Victory Parade offre un regard inédit sur la Shoah, à travers le prisme du travail féminin et de l’attente.
Le Prix Poésie a été décerné à Humaine de Joanna Folivéli, publié aux éditions Deux Points. Dans la continuité de Devenir, sa première bande dessinée, cette œuvre embarque le lecteur dans l’intimité de son autrice, qui livre ici ses émotions sans complexe.
En seulement 63 planches aquarellées, ce livre narre avec une poésie à fleur de peau les étapes d’une vie en quête de liberté, et retrace le parcours d’identité de Joanna Folivéli, des premières perceptions de l’enfance à l’affirmation adulte.
« C’est un récit de guérison à la fois doux et nerveux », appuient les jurés. Déjà récompensée une première fois par Artémisia, l’autrice confirme ici son talent dans cette deuxième collaboration avec les éditions Deux Points.
Un prix spécial a été décerné à la co-créatrice de la distinction : Chantal Montellier, pour son ouvrage Social Fiction, édité aux Humanoïdes Associés. Un hommage au travail de l'artiste, première femme à faire du dessin de presse au début des années 1970.
Dès ses débuts dans Métal Hurlant, Chantal Montellier s’attaque à des thématiques jugées audacieuses à l'époque, aujourd'hui considérée comme visionnaires : l’eugénisme, la surveillance de masse, ainsi que la stigmatisation des femmes, des pauvres, des étrangers, et plus largement des plus vulnérables.
Pionnière de la bande dessinée politique et dessinatrice de presse, elle excelle dans l’art de mettre en tension le réel, se positionnant dès le départ comme une lanceuse d’alerte.
Ses œuvres, véritables manifestes dystopiques, sont conçues comme des coups de poing éditoriaux qu’elle réinterprète au fil des décennies, modifiant textes, dessins et couleurs avec une audace constante : 1996 et Shelter évoluent ainsi en 1996 Again et Shelter Market.
En réunissant ces trois œuvres essentielles, enrichies d’un rédactionnel inédit, Social Fiction reflète l’exigence et l’engagement de son autrice.
Anke Feuchtenberger, Chantal Montellier, Nicole Claveloux, Julia Korbik, Julia Bernhard, Quitterie Simon, Francesca Vartuli, Trina Robbins, Leela Corman et Joanna Folivéli succèdent à Nine Antico, Joanna Folivéli, Bérengère Delaporte, Zelba, Lili Sohn et Elodie Lascar lauréates du prix 2024.
Retrouver la liste des prix littéraires français et francophones
Crédits image : ActuaLitté CC-By-SA 2.0
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
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Futuropolis Gallisol Editions
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1 Commentaire
Chantal Montellier
09/01/2025 à 23:49
Bravo pour ce compte rendu très valorisant et bienveillant. Cordialement. Chantal Montellier