Olivier Peraldi ne cesse de surprendre, il a publié fin 2024, un recueil de textes poétiques, dissemblables les uns des autres, qui surprennent, interpellent ou inspirent. Le titre est d’ailleurs à la hauteur du contenu : Claquant dans le vent. Que ressent-on dans le vent si ce n’est un nombre incalculable d’information qui attire l’attention du lecteur. Rencontre avec l’auteur, avec Christian Dorsan.
Mais le vent est insaisissable, instable et changeant, alors Olivier Peraldi change de format à chaque texte, des tranches de vies, des portions de temps ou des informations dénommés « Bulletin », comme si l’actualité devait nous sortir la tête du recueil et être de nouveau pris dans la réalité. Le recueil est illustré par le talentueux Modely Thibaud, des illustrations colorées, végétales ou des entrelacés. Et si vous souhaitez donner plus de corps au textes, Olivier Peraldi a demandé au compositeur Filbö de mettre en musique le recueil.
Christian Dorsan : Dans la préface du recueil, le metteur en scène Pascal Milard parle de « texte poétique », souscrivez-vous à cette définition de vos poèmes ?
Olivier Peraldi : Je voulais appréhender le point de vue du metteur en scène, celui qui traduit en mouvements visuels les mouvements narratifs d’un corpus textuel à la structure particulièrement composite tant Claquant dans le vent rassemble et agglomère de multiples formes d’expressions écrites : vers libres, prose, écriture journalistique, avertissements sans frais, poésie brève ou, tout au contraire, s’étirant sur plusieurs pages et dans le temps, sans oublier diagnostic médical, interview, constat d’échec, message d’outre-tombe, texte interrogatif ou affirmation lapidaire…
Toutes ces formes témoignent d’une solitude spécifique, isolement, marginalisation, vacuité des heures passées sur un quai désaffecté, mais aussi perte de soi et, peut-être, de sens, dans la masse, dans la foule… Il fallait ce choix, cette liberté d’écriture, pour restituer les vertiges des solitudes. Je recherchais les courants d’air, de ceux qui éparpillent les notes, toutes portes et fenêtres ouvertes. La seule façon de lutter contre le vent consiste à en appréhender autant que possible les facéties pour mieux virer de bord et espérer maintenir le cap. Pas simple.
Pour qualifier l’expression de « texte poétique » choisie par Pascal Milard, que je remercie pour sa préface à la fois sensible et amusée, je reprendrais avec conviction l’affirmation du poète Roberto Juarroz qui indiquait lors d’une interview que « penser est le contraire de fragmenter ».[1] Comme j’ai voulu le faire, le metteur en scène reconnaît avec son art et son sens de l’espace, la place et le rôle de chaque élément constitutif de la narration et pense le mouvement qui en constitue l’harmonie. Et pour Claquant dans le vent, pièce supplémentaire à intégrer dans la perception du metteur en scène… la musique.
Justement, la musique composée par Filbö donne une dimension urbaine et très contemporaine de vos poèmes, comment avez-vous choisi les morceaux ?
Olivier Peraldi : Claquant dans le vent est le deuxième projet poétique et artistique que j’ai mené avec Filbö. Nous avions déjà travaillé ensemble sur les compositions qui accompagnent mes poèmes rassemblés dans L’An Jeune. [2] Associer la musique à la voix — parlée et non chantée — a toujours été pour moi une recherche naturelle dans mon travail d’écriture. J’ai également travaillé, il y a quelques années, avec le musicien-compositeur, Gilles Kasic, qui a mis en musique l’un de mes poèmes, La voix d’Octavie [3], par une composition originale pour cor anglais.
Nous allons d’ailleurs entrer en studio très prochainement pour un enregistrement actualisé du poème. Il y a pour la musique une démarche similaire au travail que j’entreprends régulièrement avec les peintres ou les plasticiens, dont les créations accompagnent plusieurs de mes livres.
Filbö est un formidable compositeur, à la fois musiciens et technicien du son, ouvert aux expérimentations les plus libres qu’il tente ou que je propose, délirantes parfois et menant à une impasse, mais souvent ouvrant des horizons créatifs qui nous étonnent nous-mêmes. C’est enthousiasmant. Il a la même rigueur avec la musique que celle que je poursuis avec les mots. Le rythme, le son, le sens.
Filbö est un perfectionniste qui aime les accords complexes, les associations inspirantes. Il recherche les limites ; c’est un alchimiste capable de passer des nuits entières sur la couleur d’un accord, l’harmonie d’une mélodie, ou la courbe graphique de l’enregistrement d’un souffle — il y en a plusieurs dans Claquant dans le vent. En outre, il est patient, ce qui, dans mon cas, ne gâche rien. Nous partageons une approche très libre, je dirais même « décomplexée » de la création artistique. Il y a d’abord le texte ; la poésie du verbe. Un écrit donc, qui va être lu de façon assez neutre, plutôt qu’interprété.
De ce point de départ, nous nous saisissons de toute émotion, inspiration, voire coup de hasard, dans notre travail de composition. Sans rien nous interdire. L’immense majorité des cas, Filbö propose d’abord une idée, une orientation musicale. Celle-ci peut être directement associée à un poème ou, parfois, être « réaffectée » à un autre texte. J’assume ce choix, et apprécie la qualité de dialogue que nous avons dans cette phase essentielle, et qui peut être par certains aspects redoutables, de l’appariement d’une ambiance sonore avec le sens poétique d’un texte.
J’interviens ensuite, plus ou moins sur la composition. J’apprécie par-dessus tout être surpris par la lecture musicale du poème par un musicien, par un compositeur. Nous validons enfin ensemble cette traduction musicale. Ce qui m’intéresse est de percevoir l’émotion suscitée par le texte dans l’esprit créatif du compositeur, comme c’est également le cas avec un comédien ou un metteur en scène, ou lorsque je travaille avec un peintre ou un plasticien.
Il est souvent question de solitude, de fin d’histoire ou de chute, pour vous la vie ne serait-elle qu’une succession de ruptures ?
Olivier Peraldi : Souvent… Pas toujours. Il est un fait que la poésie, dans ce qu’elle a de plus intime pour l’auteur, c’est-à-dire au moment de son accouchement, de son écriture, se nourrit de la solitude. Elle trouve ensuite — il faut l’espérer — un lecteur, parfois plusieurs et cela commence, bon an mal an, par faire « communauté » d’esprit tout au moins, et plus si affinité…
Écrire, lire de la poésie est certes l’espérance de partager sa solitude. On n’y parvient pas toujours. Edgar Morin affirme que « vivre poétiquement, c’est vivre dans la ferveur, dans la communion, dans la fraternité, dans l’exaltation, dans le jeu » [4]. J’ai un doute. Je m’interroge sur la capacité de la poésie à générer des communautés durables et pouvant rassembler au-delà de quelques individus. Il y eut, et il y a des « mouvements », des « maîtres à penser », des « écoles » qui parviennent, un temps, à rassembler des poètes, des esthètes, des artistes. J’en vois surtout le côté enfermant. L’aspect exclusif, voir excluant. Un cadre. L’expression d’un dogme.
Quant à la relation avec le public, avec les lecteurs, je conçois la poésie comme un partage intime, réservé par son essence à des échanges singuliers entre des esprits qui s’accordent sur une approche subtile de leur environnement, de la vie telle qu’ils la vivent individuellement. Parfois, l’expérience émotionnelle de l’un rencontre celle de l’autre, et il en sort un réconfort utile dans les épreuves de la vie. La poésie est intrinsèquement une relation étroite et profonde entre deux êtres et un objet d’émotion : un lecteur et un auteur qui manient par esprits interposés un agencement de mots porteurs de sens face aux épreuves, aux ruptures, au chaos.
Ces mécaniques à l’œuvre dans la diversité des tragédies individuelles et collectives m’interpellent : décrochages social, prise de risque et mise en péril, cause de rupture de soi envers soi-même et envers les autres, désagrégation amoureuse, etc. Je m’adresse à ceux qui les connaissent et les subissent. Paradoxe : ils ne sont pas seuls. Et cela fait du monde.
Il y a dans les poèmes Hamac et Face à l’aurore, un flot de pensées pour le premier, de paroles pour le second, un « flow », pourrait-on même dire, avec une nécessité d’urgence dans les deux cas…
Olivier Peraldi : Hamac est la solitude de celui ou celle qui se découvre pris au piège de sa prise de risque. Un alpiniste en pleine tempête de neige, obligé de stopper son ascension et de tenter de se maintenir en vie accroché dans son hamac à la paroi rocheuse, alors que les sauveteurs du poème qui précède, Bulletin n° 2, ne sont pas parvenus à le ou la secourir.
Il y a en effet urgence. La solitude est une urgence qui ne se regarde pas en face. Face à l’aurore, relève d’une autre démarche, d’une autre inspiration ; le renversement des valeurs quand l’être cher n’est plus là. Mais je n’irais pas plus loin dans l’exégèse. C’est au lecteur de me dire, autant qu’il le veuille.
Les « bulletins » cassent le rythme de la lecture, parfois courts informatifs, personnels, quelle était l’intention en les écrivant ?
Olivier Peraldi : La vie quotidienne ne nous lâche pas. L’accélération de l’activité — plus que du temps bien sûr qui se passe bien de nos hystéries — forge les solitudes et éloigne de la poésie, du temps nécessaire à la contemplation, à l’introspection, à l’attention aux autres, à l’émerveillement…
Je voulais tenter de reprendre la main, en utilisant les armes de l’adversaire, insuffler de la poésie dans le bruit continu qui ne nous lâche pas à chaque instant de bande passante, informations en continu, fil d’actualité sur les ondes et les réseaux sociaux, multiplication d’écrans aux couleurs criardes et hystériques, injonctions intrusives et tonitruantes, avec des mots et expressions barbares, sorties d’on ne sait quelles gueules ouvertes et jamais refermées, tag, pop-up, spams, screen shot…
Prenons le pari, salutaire, que la poésie sera capable d’humaniser ces monstres sémantiques. En attendant, je réaffirme avec le poète Jean-Pierre Siméon que la poésie est « l’argument premier de la seule alternative possible au destin humain. » [5] Ne refusons pas le combat. La poésie est là !
Seize textes différents qui séduisent ou déroutent. Olivier Peraldi se laisse emporter par le vent pour colporter des morceaux de vies, des brises légères ou des sensations irréelles, et nous embarque avec lui dans son monde qui bute contre une réalité trop factuelle, et nous fait découvrir un besoin de voyage par les mots, que nous avions oubliés.
Claquant dans le vent d’Olivier Peraldi
Editions La Procure octobre 2024 15 €
[1] Roberto Juarroz, Poésie et création, éd. José Corti, 2010.
[2] A retrouver sur toutes les plateformes de streaming, Spotify, Deezer, Qobuz, Apple Music, et www.bandcamp.com
[3] Paru aux éditions Caractères, 2016.
[4] Edgar Morin, Des oasis de poésie, éd. Poesis, 2023.
[5] Jean-Pierre Siméon, La poésie sauvera le monde, éd. Le Passeur, 2024.
Crédits photo : Olivier Peraldi © David Pochal
Par Christian Dorsan
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 06/09/2024
56 pages
A PRECISER
15,00 €
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