En 1972, quatre jeunes universitaires prédisaient, modélisation à l'appui, l'effondrement de notre croissance exponentielle. Abel Quentin nous rappelle le message plus que jamais pertinent de ces lanceurs d'alertes, des collapsologues avant l'heure.
Le 02/01/2025 à 17:24 par Bruno Ménétrier
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Publié le :
02/01/2025 à 17:24
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Avec un peu de décalage, Abel Quentin s’empare du Rapport Meadows qui vient de fêter ses cinquante ans en 2022. Son bouquin, Cabane, a au moins le mérite de nous obliger à tapoter quelques recherches autour de ce fameux rapport et de ses auteurs qui en 1972, tirèrent (vainement) la sonnette d’alarme.
On était un tout petit peu trop jeune pour avoir entendu parler de ce rapport, mais ce n’est là qu’une piètre excuse, car il a été régulièrement actualisé depuis, tous les dix ans à peu près. Le bouquin évoque les auteurs de ce Rapport Meadows intitulé « Les limites de la croissance », publié en 1972. Ces 4 jeunes universitaires du MIT analysaient les interactions de plusieurs « systèmes dynamiques complexes » (économie, démographie, ressources, pollution).
Leurs modèles prédisaient un effondrement mondial vers 2050, en raison de notre croissance exponentielle insoutenable pour la planète :
[...] Les activités humaines peuvent-elles poursuivre leur croissance de façon durable, face aux limites des ressources naturelles non renouvelables ? [...] Il est particulièrement déstabilisant de découvrir que nous vivons dans un monde fini, dont les limites physiques ne peuvent être dépassées.
À sa sortie, le Rapport Meadows s’est vendu à des millions d’exemplaires, mais fort heureusement, il est tombé assez rapidement dans les oubliettes : aucun système politique n’est capable de faire les choix nécessaires et l’on sait aujourd’hui ce que devient notre planète : « Les prophètes de malheur sont rarement écoutés » et généralement « on préfère foncer dans le mur en klaxonnant ».
Donc tout va bien, ce n’était qu’un rapport de plus, comme ceux du GIEC, une alarme que l’on peut oublier d’entendre en continuant de boursicoter sur des bulles spéculatives. Ouf. Les auteurs du Rapport Meadows de 1972 (rebaptisé Rapport 21 dans le livre) étaient des Cassandre, des lanceurs d’alerte avant l’heure, des collapsologues, bien avant que tous ces mots ne soient inventés.
En 1979, quelques-uns de leurs collègues vont même sortir le Rapport Charney sur le réchauffement climatique ! Toutes ces alertes ne datent donc pas d’hier, mais bien d’avant-hier, il n’est pas inutile de le rappeler.
Comme ceux du GIEC, le rapport Meadows est souvent cité par ceux qui ne l’ont pas lu (moi, le premier) et le bouquin d’Abel Quentin est justement là pour vous permettre d’en parler à votre tour.
La première partie du bouquin (beaucoup trop longue) s’attache aux pas des quatre universitaires du rapport, qui pour les besoins du roman, ont été redessinés et déménagés à Berkeley, la côte ouest est plus glamour et plus évocatrice des hippies. C’est un subtil mélange de bavardage intellectuel, d’ironie arrogante et d’amertume cynique : une recette qui ressemble fort aux figures imposées d’un prix qu’on court.
On a donc bien failli décrocher de ce bavardage un peu vain.
Mais à mi-parcours, le bouquin change du tout au tout : Abel Quentin catapulte le lecteur en 2022, année marquant le cinquantenaire du rapport. En quelques pages, il nous résume le contexte qu’il vient de trop longuement développer et introduit un nouveau personnage : un journaliste se met à enquêter sur le quatrième larron du Rapport, le mathématicien norvégien, que l’écrivain avait pris soin de nous rendre un peu mystérieux. L’intrigue est enfin lancée.
Las, la dernière partie du roman se perd dans un délire catastrophiste de survivalistes sectaires. On comprend bien que ce n’est qu’une histoire et pas la thèse d’Abel Quentin, mais paradoxalement, cela dessert dangereusement le propos initial. Le roman semblait jusqu’ici plutôt un hommage un peu ennuyeux aux auteurs du fameux Rapport Meadows, mais transformer l’un des auteurs en savant fou (littéralement) n’est pas vraiment rendre service aux lanceurs d’alertes.
Avec beaucoup de mauvaise foi et un peu de méchanceté gratuite, laissons la parole à Abel Quentin lui-même : « [...] Je relus à l’aube, et trouvai tout cela un peu fabriqué. C’était paresseux, sensationnel, approximatif, mais tout le monde le faisait, et il fallait bien vivre. »
Dans ce roman, Abel Quentin réinvente donc le parcours des auteurs du célèbre Rapport Meadows (rebaptisé Rapport 21 dans le livre) en s’inspirant de quelques éléments de leur vie réelle pour créer ses propres personnages (il faut d’ailleurs régulièrement tapoter sur le ouèbe pour démêler le vrai du faux et de l’à peu près vrai).
Ce seront les Dundee qui vont figurer les Meadows, un couple de hippies écolos (c’était l’époque). Dans la véritable équipe d’universitaires aux côtés des Meadows, il n’y avait pas de français, mais bien un Norvégien (Jørgen Randers) et un autre américain (William Behrens).
Aucun des quatre personnages d’Abel Quentin n’est vraiment sympathique : on les découvre perdus entre leurs égos, leurs déceptions (leur rapport fera beaucoup de bruit... pour rien), leurs obsessions et leurs mesquineries. Voire leurs contradictions, puisque le personnage français inventé par l’écrivain finira par travailler pour l’industrie du pétrole. Bref, ce sont des gens très ordinaires.
« [...] “Il y a cinquante ans, nous nous battions pour que nos sociétés humaines évitent l’effondrement. Aujourd’hui, la seule chose que nous puissions faire, c’est les préparer à encaisser le choc.” »
La dernière partie du bouquin suit le journaliste qui enquête sur les traces du quatrième auteur du rapport, le norvégien, que l’auteur figure en gourou sectaire, disciple de Unabomber le premier terroriste technophobe.
« [...] Gudsonn m’avait dit qu’il fallait écrire, dans le rapport, que nous préconisions un contrôle strict des naissances. Et — je m’en souviendrai toute ma vie — il avait ajouté une phrase glaçante, il avait dit : “Dans un premier temps.” »
Par Bruno Ménétrier
Contact : bmr.menetrier@gmail.com
Paru le 21/08/2024
477 pages
Editions de l'Observatoire
22,00 €
3 Commentaires
Gaucho Marx
02/01/2025 à 23:26
Les Meadows me font penser à certaine secte apocalyptique.
Ils vont par deux.
Leur bible prédit régulièrement la fin du monde.
Dont on se demande si c'est un pronostic ou une espérance.
Et, face au réel qui ne se plie pas à leurs croyances, c'est toujours un plaisir de les voir se contorsionner pour expliquer qu'ils n'ont pas dit ce qu'ils ont dit, que s'ils l'ont dit, ce n'est pas ce qu'ils voulaient dire, mais que ce qu'ils ont dit finira par se réaliser, un jour, à la fin des temps...
Marie
09/01/2025 à 07:15
Une espérance.
Chambaron
09/01/2025 à 11:43
Il y a déjà eu suffisamment d'effondrements de sociétés et de civilisations dans le passé de l'humanité pour qu'on connaisse de nos jours les mécanismes et les résultats de l'épuisement des ressources, en particulier énergétiques, celles qui permettent de gérer les autres.
La différence majeure de notre époque est que le processus ne concerne plus seulement des zones localisées mais l'ensemble de la planète, chose rendue possible essentiellement par la mise en œuvre des ressources fossiles depuis le XVIIIe siècle.
Qu'importe que ceux qui font fi des lois de la physique, de la chimie et de la biologie croient à des chimères techno-philosophiques. Ni eux ni leurs adversaires ne peuvent (ni ne veulent vraiment) changer le cours des choses et ce brave monde se retrouvera dans peu de décennies à l'époque préindustrielle.
Et d'autres aurores luiront...