Narges Mohammadi, en libération provisoire pour raisons médicales depuis le 4 décembre, a accordé un entretien à distance avec le magazine Elle, qui l'a mise en une de son numéro du 2 janvier. Elle dévoile avoir fini d'écrire son autobiographie, et de rédiger en ce moment un autre ouvrage sur les agressions et le harcèlement sexuel commis contre les femmes détenues en Iran. Elle espère que les deux pourront être publiés.
L'Iranienne confie, repris par l'AFP : « Mon corps est fragilisé, il est vrai, après trois ans de détention discontinue sans permission et des refus de soins répétés qui m’ont sérieusement éprouvé, mais mon mental est d’acier. »
Elle a également partagé son expérience sur la vie en détention, soulignant que la prison d'Evin abrite une diversité de femmes, y compris des journalistes, écrivaines, intellectuelles et militantes des droits des femmes de diverses croyances et origines, dont des Bahaïs, de Kurdes : « Dans le quartier des femmes, nous sommes soixante-dix, de tous horizons, de tous les âges et de toutes les sensibilités politiques », explique-t-elle.
Elle révèle que l'isolement est fréquemment utilisé comme forme de torture et que des actes de violence, y compris la torture et les violences sexuelles, ont été documentés par ses soins.
La résistance reste vive, selon elle, parmi les détenues, qui organisent souvent des sit-in pour protester contre les injustices, telles que la condamnation à mort de deux militantes kurdes des droits des femmes. « Récemment, quarante-cinq prisonnières sur soixante-dix se sont réunies pour protester dans la cour de la prison contre la condamnation à mort de Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi », rapporte la militante. Des actions qui entraînent souvent des représailles, incluant la privation de parloirs et de téléphone.
La femme engagée a enfin souligné les risques continus liés à sa prise de parole publique, mentionnant que chaque intervention dans les médias pourrait entraîner de nouvelles accusations, rappelant qu'elle fait l’objet de poursuites et de condamnations supplémentaires chaque mois environ...
Durant sa liberté provisoire de 21 jours, Narges Mohammadi n'a pas seulement subi plusieurs interventions chirurgicales, mais a également continué à militer activement. Utilisant son compte Instagram, elle a partagé le messages, tels que « Femme, vie, liberté », slogan repris dans l'ensemble de l'Iran au cours des manifestations de 2022 qui ont suivi la mort de Jina Mahsa Amini. Elle a également exprimé son soutien à la chanteuse Parastoo Ahmadi, qui a été arrêtée en Iran. Cette dernière avait bravé les autorités en postant une vidéo où elle chantait un célèbre air iranien, cheveux au vent.
Malgré sa condition physique affaiblie, elle a tenu plusieurs rencontres, dont une avec Dayeh Sharifeh, une mère en deuil suite à l'exécution de son fils détenu.
Dans les colonnes de Elle, Narges Mohammadi a encore déclaré : « Le régime islamique considère la soumission des femmes comme un point stratégique pour asseoir son pouvoir et maintenir la domination non seulement sur les femmes, mais sur l’ensemble du corps social. (...) Au fond de mon cœur et dans mon âme, je souhaite la vraie liberté, c’est-à-dire la fin de l’oppression et du despotisme religieux. »
Et de continuer : « Chaque prise de parole dans les journaux est susceptible de me valoir de nouvelles accusations, et chaque mois, environ, je fais l’objet de nouvelles poursuites et de nouvelles condamnations. C’est un prix lourd à payer pour la liberté, mais c’est aussi un devoir. »
Narges Mohammadi, vice-directrice et porte-parole du Centre des Défenseurs des Droits de l'Homme (DHRC) en Iran, journaliste et auteure, est emprisonnée depuis novembre 2021 à la prison d'Evin. Elle purge des peines cumulées de 13 ans et neuf mois pour des accusations d' « activité de propagande contre l'État » et de « collusion contre la sécurité de l'État ». Malgré les difficultés, elle continue de défendre vigoureusement les droits humains depuis sa cellule.
En mars 2024, un examen médical crucial, une angiographie, lui a été prescrit suite à une opération chirurgicale en 2021 pour la pose d'un stent après que 75 % d'une de ses artères principales ait été obstruée. Toutefois, cette procédure médicale essentielle a été refusée à trois reprises par l'administration pénitentiaire, les 10 et 17 septembre et le 1er octobre, malgré un rapport médical du 16 septembre exprimant de sérieuses préoccupations pour sa santé.
Le 19 octobre 2024, une cour criminelle de Qods a étendu sa peine de six mois supplémentaires, tandis que l'accès aux soins médicaux nécessaires lui était encore refusé. En août de la même année, Mohammadi a été impliquée dans une manifestation pacifique contre l'exécution d'un opposant politique, ce qui a mené à son passage à tabac par les gardiens de la prison d'Evin et à une nouvelle condamnation pour « désobéissance et résistance aux ordres ».
Le 18 novembre dernier, juste avant la session préliminaire de la société civile à Genève qui inaugurait l'examen de l'Iran via le mécanisme de l'Examen Périodique Universel (EPU) du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, la Coalition pour la Libération de Narges, avec le soutien de plus de 45 organisations de la société civile, a lancé un vibrant appel international pour soutenir Narges Mohammadi.
Il visait à persuader le Conseil des droits de l'homme de l'ONU et d'autres entités internationales de presser les autorités iraniennes d'accorder à Narges Mohammadi un congé médical humanitaire. Le Rapporteur spécial de l'ONU pour l'Iran, Mai Sato, ainsi que la Mission d'enquête de l'ONU sur l'Iran, ont également manifesté leur préoccupation quant à la santé de Narges, appelant à sa libération à titre humanitaire.
Finalement, Narges Mohammadi a été transférée de la prison d'Evin à son domicile le 4 décembre pour une période de 21 jours, une suspension moindre que le mois initialement évoquée par les autorités iraniennes, et bien loin des trois mois de congé médical recommandés par son médecin. Narges Mohammadi a récemment subi une intervention chirurgicale complexe pour l'ablation d'une lésion osseuse dans sa jambe, suspectée d'être cancéreuse. Cette procédure vient s'ajouter à d'autres problèmes de santé qui ont été aggravés par sa longue période de détention.
Officiellement, sa libération temporaire a été justifiée par des raisons de santé, mais ses proches et supporters avaient suggéré que des motivations politiques pourraient également jouer un rôle. Cette action survient dans un contexte international où le régime iranien semble chercher à améliorer son image en montrant une certaine sensibilité aux conditions de détention.
Malgré tout, Ali Rahmani, le fils de Narges Mohammadi, qui réside en France, a enfin pu échanger quelques mots avec sa mère, après deux longues années de silence.
Reconnue internationalement pour son courage et son engagement, Mohammadi a reçu plusieurs distinctions, y compris le Prix Nobel de la Paix 2023, le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano 2023, le Prix PEN/Barbey de la liberté d'écrire 2023, et le Prix Reporters sans frontières de la courage 2022.
Son combat et ses conditions de détention ont continué à susciter l'indignation internationale et à appeler à une mobilisation pour sa libération.
Selon le Freedom to Write Index de l'ONG PEN America, l'Iran se classe deuxième au niveau mondial pour l'emprisonnement d'auteurs, avec 49 auteurs actuellement incarcérés, y compris 15 femmes emprisonnées pour leurs activités littéraires ou militantes, faisant de l'Iran le pays avec le plus grand nombre d'autrices derrière les barreaux.
Photographie : Narges Mohammadi (Voice of America, domaine public)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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