L'année s'achève, et avec elle, des piles de pages lues et adorées. En 2024, la rédaction a fait le plein de découvertes littéraires. Aujourd’hui, les journalistes et chroniqueurs d'ActuaLitté dévoilent les livres qui, selon eux, méritent une place particulière dans le bilan de l’année.
Le 09/01/2025 à 16:18 par Louella Boulland
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09/01/2025 à 16:18
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L'heure était à la fête, elle est désormais au bilan. Cédant à la traditionnelle rétrospective, les journalistes de la rédaction ont répondu à cette terrible question : s’il ne devait en rester qu’une, quelle serait votre lecture de l’année ? Découvrez les de coups de cœur de la rédaction, sans regard de calendrier ni d’actualité.
Taxi Girl n’était pas simplement un énième groupe au cœur de la new wave du début des années post-punk ; c’était un écho tumultueux de Rimbaud et Burroughs. Mirwais Ahmadzai, le guitariste du groupe, dépeint dans Taxi-Girl - 1978-1981 (éditions Séguier), ces années de chaos vibrant, marquées par l’ascension de ce qu’il proclame « le meilleur groupe du monde ». Et contre toute attente, il n’a pas tort…
CHRONIQUE – Pourquoi Taxi Girl est le groupe français le plus romantique
À travers un récit éclaté, argotique, à l’écriture expérimentale parfois, le musicien-écrivain raconte une faillite sublime, une désillusion héroïque et une époque antédiluvienne. Mais en quoi Taxi Girl s’est révélé différent des autres groupes punks de l’époque, et même dans le succès, des outsiders ?
Le tragique de sa trajectoire, la personnalité de chacun de ses membres, surtout son chanteur, qui a ostensiblement montré qu’il était un vrai…
La réouverture de Notre-Dame aurait dû remettre en lumière ce texte lisible pour la première fois en français grâce aux bien trop méconnues éditions du Typhon. Paru en 1991, Muncaster, court roman du Britannique Robert Westall, traduit par Benjamin Kuntzer, évoque le chantier très particulier assumé par un cordiste expérimenté : rénover une cathédrale.
Rien ne se passera comme prévu, évidemment : Muncaster est une construction diaboliquement maîtrisée à laquelle rien ne manque. Ni le mystère, ni le suspense, ni une horreur froide et insidieuse. Une découverte qui donne envie de plonger tout droit dans le reste de l’oeuvre de Westall : vite, d’autres traductions !
Les vampires exercent cette indicible fascination en ce que créatures mortes, elles se meuvent parmi les vivants — et de la sorte, entre dans la catégorie Mort-vivant. Mais leur subsistance passe par cette dualité du monstre qui se nourrit de l’humain, d’une humanité disparue.
Arnaud Esquerre explore ainsi l’évolution du concept de « vampire » depuis son apparition en Europe au XVIIIᵉ siècle dans son essai Ainsi se meuvent les vampires (Fayard, 2022). Questionnant la mort et l’immortalité, la sexualité autant que le désir, l’interdépendance — qu’elle soit exploitation, parasitisme ou même symbiotique ? — le vampire est cette part d’ombre qui nous renvoie à la déchéance religieuse, donc l’ostracisation de l’étranger.
MICHRONIQUE – Ainsi se meuvent les vampires. Essai sur la variation du sens
Qu’il s’agisse de créatures littéraires, de chauves-souris, de métaphores médicales ou de symboles socio-économiques ou sexuels (chez Marx et Freud, mais s’en étonnera-t-on ?), le vampire vit en nous, n’attendant que d’être révélé…
Varier les genres, c’est varier les plaisirs : Clotilde Martin sélectionne Fluide Glacial - 50 ans de couvertures, dirigé par Jean-Christophe Delpierre, ancien rédacteur en chef du célèbre magazine d’« Umour et Bandessinées ».
CHRONIQUE – Gotlib, Edika, Sattouf... 50 ans de Fluide Glacial
Un ouvrage — ou plutôt un colossal travail d’archivage visuel — qui invite à replonger dans l’histoire du journal. Pour certains, cet ouvrage anniversaire aura le parfum des souvenirs de l’adolescence révolue, pour d’autres, il s’agira d’une découverte surprenante...
Blutch, Riad Sattouf, Coyote, Edika, Gotlib... : nombreux sont ceux qui ont façonné l’ADN de Fluide Glacial.
Jack est posté, isolé, tout un été durant, au sommet d’une montagne de l’État de Washington, le Pic de la Désolation. Il y surveille les feux de forêt, mais surtout il s’y ennuie et imagine ce qu’il fera en septembre, une fois redescendu vers San Francisco ou Mexico. Dernièrement, il s’est branché bouddhiste et ses divagations géniales reviennent sans arrêt vers l’idée de vide et d’ « éternité d’or ».
Quand il quitte sa cabane d’ermite, le tourbillon du monde l’emporte de ville en ville, du Mexique à New York jusqu’à l’Afrique et l’Europe, accompagné par sa troupe de clochards célestes : Ginsberg, Burroughs, Corso, Cassdy etc. Au bout de quelque mois, fatigué par leurs folies, il retourne dans les jupons de sa vieille mère et lui fait traverser - la pauvre - les États-Unis d’est en ouest avec la promesse, bientôt déçue, d’un eldorado californien.
Un gros chef-d’oeuvre dans lequel l’auteur de Sur la route a mélangé la virtuosité de sa plume avec la liberté de sa vie et la profondeur de son esprit. Les Anges de la Désolation (trad. Pierre Guglielmina, Denoël, 2022) sortira en poche chez Folio le 16 janvier 2025.
À mi-chemin entre le conte noir et le roman poétique, Audrée Wilhelmy a donné vie à un ovni littéraire : Peau-de-sang, aux éditions Le Tripode. L’autrice nous emporte au cœur des forêts de Kangoq, dont on ne ressort jamais totalement, où vit une étrange créature.
Isolée dans sa plumerie, une femme, tour à tour sorcière, amante ou professeure, fascine par sa pratique singulière du plumage des oies. Là, au milieu de sa boutique, elle offre son corps aux hommes, et consacre le reste de son temps à transmettre son savoir aux femmes.
CHRONIQUE – Peau-de-sang, entre conte noir et roman poétique
Avec ce roman aux accents de conte dérangeant, Audrée Wilhelmy revisite l’histoire de Peau d’âne, de Charles Perrault. Inceste, sexualité, mort... L’autrice aborde des sujets délicats, avec une force poétique inégalée cette année.
Véritablement féministe, l’autrice manipule la langue et joue avec le sens des mots : un exercice d’esprit dont on se délecte avec beaucoup de plaisir. À lire, relire, et à réfléchir, Peau-de-sang est une expérience littéraire à part entière.
Les westerns, on aime ou on n’aime pas, mais ce bouquin-là risque bien de vous faire passer le goût d’autre chose. Avec ce premier roman, l’autrice réalise une entrée remarquable dans le monde littéraire.
Ces Terres promises sont celles du farouest, celles de la ruée vers l’or, où va se déployer une prose magnifique : une langue puissante et brute, charnelle et suggestive, intense et vibrante. Il y a du sang, de la boue, de la vermine, et bien pire encore... car c’est la langue d’une « terre sombre grouillant de longs vers annelés ».
CHRONIQUE – Terres promises : la Comédie humaine, en plein farouest
Mais le texte reste totalement maîtrisé, tout au service d’un récit solidement construit. Un roman choral où chaque chapitre permet de développer l’un des personnages dans une spirale temporelle mêlant passé et présent. Des récits où les femmes sont de celles qui ne veulent pas plier devant la fureur ou le désir des hommes.
Lors de la visite de la maison de George Sand à Nohant-Vic, notre guide a mentionné le livre épistolaire entre George Sand et Gustave Flaubert, en ajoutant qu’il s’agit probablement d’une des plus belles correspondances de la littérature française. Elle avait raison.
Je l’ai acheté, lu, dégusté et apprécié. Entre Croisset normand et Nohant berrichon les facteurs transportaient des lettres témoignant d’une amitié forte. George Sand et Gustave Flaubert plongeaient leurs plumes dans l’encre, et sur les centaines des feuilles posaient la tendresse, le respect et une admiration mutuelle, des regards sur le monde similairement soucieux.
Entre des banalités et des soucis quotidiens, ils se faisaient part de leurs sentiments et perceptions, se plaignaient l’un à l’autre de leurs péripéties avec l’écriture. Quand ils se rencontraient, en dehors des discussions portant sur la préparation du poulet rôti et des tartines à la confiture, sur les spectacles de théâtre à Nohant et les visites de la ville de Rouen, pendant des longues heures ils lisaient et amicalement, d’une critique bienveillante se commentaient les textes écrits.
Dans les lettres ils s’invitaient et constamment quelque chose interrompait leurs plans, mais ils ne s’en vexaient jamais. Tous les deux, ils savaient que l’écriture était plus importante. George Sand promettait à Flaubert que quand il viendra la voir à Nohant, elle lui permettrait de rester dans sa robe de chambre et en pantoufles. Dans la légèreté de leurs échanges, on perçoit une amitié pleine d’esprit, d’intelligence et de tendresse.
Le sujet des violences gynécologiques s’avère toujours sensible et délicat. Il est parfois difficile, pour les personnes concernées, de s’opposer à une figure aussi imposante que celle du docteur, d’insister sur des douleurs qui peuvent sembler dérisoires, de refuser des modes de contraceptions présentés comme évidents.
Toutefois, une remise en question de la posture des gynécologues semble en cours, et elle se manifeste notamment avec le sublime ouvrage de Martin Winckler, Le chœur des femmes (P.O.L, 2011) adapté en bande dessinée par Aude Mermilliod.
Où l’on apprend, en suivant une étudiante en médecine plutôt sûre de ses compétences, que non, un stérilet ne doit pas forcément être changé tous les cinq ans, que les femmes ne mentent pas quand elles disent avoir mal, et qu’en médecine, et notamment en gynécologie, bienveillance est toujours mère de sûreté.
Mon coup de cœur de lecture de l’année 2024 ? Polar ? Essai ? Roman ? BD ?… C’est le roman biographique L’affranchie de Montmartre, de Jean-Paul Delfino (Istya & Cie , 2024) qui restera, pour moi, le meilleur moment de lecture et une très belle découverte.
D’abord parce que, sans même être un amateur averti, j’aime la peinture de Suzanne Valadon qui traduit sa rage de vivre pour peindre, son désir de sortir de l’ornière à laquelle la misère de son enfance la promettait.
CHRONIQUE – L'Affranchie de Montmartre : Suzanne Valadon, femme artiste au milieu d'hommes
Ensuite parce que, avec beaucoup de cette rage et de réalisme, Jean Paul Delphino entraîne son lecteur dans le quotidien de son héroïne comme si, de gargote en gargote, on se promenait avec elle dans les rues de la Butte, avec Gazi-le-Tatar, dans ces années d’explosions artistiques. Au point d’avoir cru, un instant, lire une autobiographie plutôt qu’un roman ! Trop fort !
2024 aura été une année très riche pour la bande dessinée. Mais s'il ne fallait retenir qu'un titre, je pense tout de suite à Pillages, de Maxime de Lisle et Renan Coquin (Delcourt), parce que cet album parvient à rendre concrète, choquante et émouvante la réalité terrible de la surpêche en Afrique de l'Ouest.
CHRONIQUE – Pillages : la surpêche, les brutes et les truands
Pour embrasser ce sujet complexe, le scénariste nous propose de suivre plusieurs fils fictionnels, mais hyper documentés, qui nous font vivre de l'intérieur les tensions, contradictions et aberrations dont notre monde industriel et consumériste est tissé. Un livre exceptionnel.
Crédits image : ActuaLitté / CC-By- SA 2.0
Par Louella Boulland
Contact : lb@actualitte.com
Paru le 21/03/2024
256 pages
Séguier Editions
21,00 €
Paru le 12/10/2022
203 pages
Fayard
19,00 €
Paru le 07/11/2023
140 pages
Editions du Typhon
17,90 €
Paru le 22/08/2024
309 pages
Les Editions du Panseur
22,00 €
Paru le 14/10/2021
693 pages
Le Passeur éditeur
12,50 €
Paru le 23/04/2021
240 pages
Les Editions du Lombard
24,95 €
Paru le 22/08/2024
251 pages
Slatkine et Cie
22,00 €
Paru le 17/04/2024
116 pages
Delcourt
18,50 €
2 Commentaires
jeanne desaubry
10/01/2025 à 11:47
Ben alors Actualitté, pas un seul polar ? ou noir, comme on veut ? Il y en a pourtant eu de si forts en 2024. Je pense en particulier à Sandrine Collette à la croisée des genres avec son Madelaine avant l'aube..
Enfin, j'imagine qu'on a tous son propre top10.
Manuel S.
10/01/2025 à 13:46
Très belle sélection, merci, et qui ne focalise pas uniquement sur des pures nouveautés, c'est rare mais plutôt intelligent de faire ça !