#LeMondedeCortoMaltese – Il fascine encore et toujours, le marin apparu dans pour la première fois en 1967 dans la revue italienne Sgt. Kirk, dans un récit intitulé Una ballata del mare salato. A cette époque, Corto n'est que l'un des multiples protagonistes, surgissant sur les flots, bras en croix, attaché à deux planches de bois. Un homme, torse nu, à la dérive.
Le 29/12/2024 à 14:18 par Nicolas Gary
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Publié le :
29/12/2024 à 14:18
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L'action, qui se déroule sur l'océan Pacifique de 1913 à 1915, a pour décor les débuts de la Première Guerre mondiale et met en scène l'errance d'île en ile de Raspoutine, de Corto Maltese et des cousins Pandora et Cain Groovesnore. Les références littéraires et historiques, qui feront la singularité des aventures de Corto Maltese, sont déjà à l'œuvre dans cette première aventure.
Hugo Pratt est ensuite sollicité à participer en France au magazine pour enfants Pif Gadget, et choisit de réutiliser ce personnage secondaire pour en faire, de 1970 à 1973, le héros principal d'une série d'histoires courtes qui le rendra célèbre.
Ces récits sont ensuite publiés en épisodes dans plusieurs journaux français et belges, avant d'être rassemblés et édités, à partir de 1975, par les éditions Casterman. Publiées dans la nouvelle revue de bande dessinée (À suivre), les aventures de Corto Maltese reçoivent un succès immédiat, et sont saluées pour la qualité des scénarios et des dialogues.
Corto Maltese incarne toutes les facettes du héros de bande dessinée. Face aux événements et aux intrigues qui l’entraînent, il fait preuve d’un courage certain et d’une indépendance viscérale, s’imposant comme le pivot du récit, y compris dans ses interactions avec les autres personnages.
Son attitude, souvent ambiguë, conjugue un engagement profond et un détachement marqué face aux bouleversements de l’Histoire et aux trahisons. Il emprunte ainsi, par moments, les traits de l’anti-héros, avec une personnalité trouble et opaque. Cette ambivalence constitue l’une des grandes richesses du personnage : tout en mettant en avant son intérêt personnel, il dévoile un individualisme assumé, parfois teinté de cynisme. L’art avec lequel il manie l’ironie et l’esquive accentue encore cette dualité fascinante.
Au fil de ses aventures, il laisse entrevoir, de manière laconique et profondément romanesque, des fragments de son passé, distillant des indices sur des aspects cachés de son existence. Hugo Pratt, maître du récit, joue avec l’ellipse et le silence pour renforcer le mystère qui entoure son protagoniste.
C’est au lecteur qu’il revient de participer à la construction du récit, en élaborant des hypothèses, en croisant les éléments dispersés entre les différents albums, et en mobilisant sa propre subjectivité. Dans les aventures de Corto Maltese, souffle toujours, avec intensité, le vent de la liberté.
Il incarne toutes les facettes du héros de bande dessinée. Face aux événements et aux intrigues qui l’entraînent, il fait preuve d’un courage certain et d’une indépendance viscérale, s’imposant comme le pivot du récit, y compris dans ses interactions avec les autres personnages. Son attitude, souvent ambiguë, conjugue un engagement profond et un détachement marqué face aux bouleversements de l’Histoire et aux trahisons.
Il emprunte ainsi, par moments, les traits de l’anti-héros, avec une personnalité trouble et opaque. Cette ambivalence constitue l’une des grandes richesses du personnage : tout en mettant en avant son intérêt personnel, il dévoile un individualisme assumé, parfois teinté de cynisme. L’art avec lequel il manie l’ironie et l’esquive accentue encore cette dualité fascinante.
Au fil de ses aventures, il laisse entrevoir, de manière laconique et profondément romanesque, des fragments de son passé, distillant des indices sur des aspects cachés de son existence. Hugo Pratt, maître du récit, joue avec l’ellipse et le silence pour renforcer le mystère qui entoure son protagoniste.
C’est au lecteur qu’il revient de participer à la construction du récit, en élaborant des hypothèses, en croisant les éléments dispersés entre les différents albums, et en mobilisant sa propre subjectivité. Dans les aventures de Corto Maltese, souffle toujours, avec intensité, le vent de la liberté.
Les lectures de Hugo Pratt sont une source évidente de ses récits: L'Île au trésor de Robert Louis Stevenson, La Ligne d'ombre de Joseph Conrad, les romans d'Herman Melville, bien sûr, mais aussi The Death Ship de B. Traven, avec son errance métaphysique et l'univers marin romantique du Blue Lagoon de Henry de Vere Stacpoole.
Les aventures de Corto Maltese sont imprégnées de toutes ces références et dialoguent en permanence avec les grands textes de la littérature classique. Hugo Pratt s'affirme ainsi comme un maître de la « littérature dessinée », comme il aimait lui-même appeler la bande dessinée.
Initié à la Kabbale dans sa jeunesse, très ouvert à une explication magique du monde, c’est un aventurier et rêveur, qui évolue entre un univers historique et un monde onirique où songes et dialogues imaginaires deviennent moteurs de ses périples.
À LIRE - 9 choses à redécouvrir sur Hugo Pratt et Corto Maltese
Peuplé de personnages mythologiques comme Merlin ou la fée Morgane, son univers multiplie les références littéraires et légendaires, allant de Lord Byron à Omar Khayyam, dans un jeu constant d’intertextualité. Le dessin d’Hugo Pratt, avec ses contrastes d’encre de Chine et ses espaces vides, accompagne ces récits poétiques et légendaires, ouvrant des portes vers des mondes inconnus et des époques révolues.
Au fil des épisodes, Hugo Pratt a conçu une galerie de personnages d’une richesse et d’une diversité remarquables, nourrie par les rencontres réelles jalonnant sa vie d’explorateur des cultures et des milieux. Pandora et Cain Groovesnore, Raspoutine, Cush, Jeremiah Steiner, Bouche Dorée, ou encore Shanghai Lil incarnent autant de noms poétiques et de lieux imaginaires que Corto doit apprendre à décrypter et apprivoiser.
Ces figures, loin d’être secondaires, possèdent chacune leur propre quête et gravitent autour de Corto dans une danse complexe de liens affectifs, d’antagonismes, de trahisons et d’alliances. Révolutionnaires, magiciennes, aristocrates, héritiers ou scélérats enrichissent les intrigues tout en forçant le héros, parfois démuni, à dévoiler une part de lui-même.
Les femmes, centrales dans ses aventures, parviennent rarement à atteindre son cœur, marqué par un amour révolu. Certains personnages s’inspirent de figures historiques, mêlant fiction et réalité pour brouiller les frontières du récit, tandis que l’ensemble contribue à la dynamique narrative et à l’évolution de Corto lui-même.
Au fil de ses périples, Corto Maltese devient le témoin et le passeur d’une partie essentielle de l’Histoire du XXe siècle. Il assiste à l’éclatement de la Première Guerre mondiale depuis les îles du Pacifique, explore les affrontements entre empires coloniaux, et observe les luttes d’indépendance en Afrique de l’Est, notamment à travers la figure rebelle de Cush, dont l’esprit évoque à la fois les cangaceiros du Sertão brésilien et les indépendantistes irlandais. En Sibérie, il nous entraîne de Venise à la toundra sibérienne, puis jusqu’en Chine, au cœur des convulsions de la guerre civile issue de la révolution de 1917.
Ces ancrages historiques précis confèrent au récit une profondeur et une crédibilité renforcées par l’apparition de figures marquantes de l’époque. Corto dialogue avec Staline au téléphone, croise Enver Pacha, le général turc impliqué dans le génocide arménien, et assiste aux exploits de Manfred von Richthofen, célèbre as de l’aviation allemande durant la Grande Guerre. En Sibérie, il rencontre également plusieurs seigneurs de la guerre, témoignant ainsi des bouleversements qui façonnent le siècle.
Ce jeu de références, typique de l'œuvre d'Hugo Pratt, jette le trouble et vient brouiller les repères de la lecture : « Je raconte la vérité comme si c'était un mensonge. À la différence de bien d'autres qui racontent des mensonges en voulant les faire passer pour vrais. De cette manière, la lecture devient double, triple et le lecteur trouve que certaines choses que j'ai dites étaient vraies, alors il est pris d'une grande envie de partir à leur recherche. »
Lorsqu’il n’explore pas les mers du Sud ou ne plonge pas dans les abysses à la recherche du royaume perdu de Mü, Corto Maltese se laisse parfois apercevoir, absorbé par la lecture. Dans La Ballade de la mer salée, il tient un livre à la main et philosophe sur l’existence.
Dans Les Celtiques, il s’immerge dans la littérature anglaise et les légendes celtes. La lecture de Parzival de Wolfram von Eschenbach le conduit, dans Les Helvétiques, à évoluer dans un univers où se mêlent songes et ésotérisme. Les livres, pour Corto, deviennent des passerelles entre le réel et la fiction, tandis qu’Hugo Pratt y trouve un moyen de rendre hommage aux auteurs qui ont nourri son imagination et sa culture.
Grand lecteur lui-même, Hugo Pratt s’était entouré, dans sa maison de Grandvaux en Suisse, d’une impressionnante bibliothèque de plus de 17 000 ouvrages. Cette collection encyclopédique et labyrinthique reflétait son amour pour la littérature, mais aussi son intérêt pour les voyages, la géographie, l’histoire et la documentation rigoureuse nécessaire à la création de ses albums.
Chaque pièce, chaque couloir et chaque recoin débordaient de livres. Non pas des éditions rares ou précieuses, mais des textes capables d’ouvrir des portes, d’offrir des passages vers les histoires qu’il souhaitait raconter.
NdR : Les photos et certains des commentaires sont tirés de l'exposition présentée du 29 mai au 4 novembre 2024 à la BPI, Corto Maltese, Une vie romanesque.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Corto Maltese, le personnage mythique d'Hugo Pratt
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
4 Commentaires
christophe aubert
30/12/2024 à 05:47
Ce que j'aurais aimé être, à quatorze ans j'ai eu sa gabardine de marin, je ne la quittais plus, même crevant de chaud. Je l'avais rencontré dans Pif, à dix ans, en 1972, coup de foudre immédiat, et une douzaine d'années plus tard, travaillant dans la BD, le représentant Casterman de l'époque, dans le sud-ouest, Marty, m'avait présenté à Angoulême à Hugo Pratt lui-même. Je n'avais fait que bredouiller mon admiration, entre deux stands, et un parking de voitures, mais qu
Moisson
30/12/2024 à 10:03
Remarquable de clarté et de conclusions! Bravo !
Je connais bien l'oeuvre de Pratt mais votre article m'a donné l'envie de m'y replonger.
Merci
Et bonne fin d'année !
Rey
30/12/2024 à 13:10
Très bon article qui donne envie de se plonger dans cette œuvre, en version couleur comme en noir et blanc d'ailleurs (choix compliqué, les deux sont intéressantes). À ajouter des félicitations à ceux qui ont pris la suite de Pratt, les nouveaux albums sont respectueux de l'univers Maltese.
Godo
31/12/2024 à 00:19
Corto est mon compagnon d’aventures depuis 55 ans .
Jeune libraire il m’a fasciné . Bientôt 80 ans Hugo Pratt m’accompagne .
Merci pour ces merveilleux voyages HP .