Le roman de Salman Rushdie, Les Versets Sataniques, qui lui valu rien de moins qu'une fatwa, est de nouveau disponible en Inde, après 36 ans d'interdiction imposée par le gouvernement de Rajiv Gandhi. La Haute Cour de Delhi a clos, en novembre dernier, le dossier concernant l'interdiction de l'importation du livre, faute de preuve de la notification officielle, datée du 5 octobre 1988. Plusieurs organisations musulmanes ont vivement condamné cette décision, et ont exhorté le gouvernement central à rétablir l'interdiction de ce livre.
Le 26/12/2024 à 12:04 par Hocine Bouhadjera
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26/12/2024 à 12:04
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« Dans la lumière des circonstances susmentionnées, nous n'avons d'autre choix que de présumer qu'aucune telle notification n'existe, et donc nous ne pouvons pas examiner la validité de celle-ci et disposons de la requête comme étant sans objet », a statué la cour.
Les Versets Sataniques (trad. A. Nasier, Gallimard), sont actuellement disponibles chez Bahrisons Booksellers, installé dans la Région de la Capitale nationale, qui englobe Delhi et plusieurs districts environnants des États de l'Haryana, de l'Uttar Pradesh et du Rajasthan.
Auprès de l'agence de presse PTI, Rajni Malhotra, propriétaire de Bahrisons Booksellers, a partagé : « Ça fait quelques jours que nous avons le livre et la réponse a été très bonne jusqu'à présent. Les ventes ont été bonnes. »
Manasi Subramaniam, rédactrice en chef chez Penguin Random House India, a partagé sur X, au sujet du retour du roman dans les librairies indiennes : « La langue est courage : la capacité de concevoir une pensée, de la prononcer et, en la prononçant, de la rendre vraie. »
Un post de Bahrisons Booksellers sur le même réseau décrit l'ouvrage comme « un roman novateur et provocateur a captivé les lecteurs pendant des décennies avec son récit imaginatif et ses thèmes audacieux. Il a également été au centre d'une controverse mondiale intense depuis sa sortie, suscitant des débats sur la liberté d'expression, la foi et l'art. »
D'autres librairies importantes du pays, comme Midland Book Shop ou Om Book Shop, ne prévoient pas, pour le moment, d'importer le livre.
Le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeini lançait une fatwa lancée sur l'écrivain américano-britannique d'origine indienne, pour blasphème et apostasie. Les Versets sataniques explore en profondeur les questions de la foi, de la tentation, du fanatisme religieux et du racisme. Perçu comme blasphématoire par de nombreux musulmans orthodoxes en raison de ses allusions moqueuses présumées envers le Coran et la figure de Mahomet, le roman a d'abord été rejeté par la communauté du pays d'origine de l'auteur, avant de devenir un sujet de controverse à l'échelle mondiale.
Le livre est devenu un best-seller, avec près d’un million d’exemplaires vendus à travers le monde. Toutefois, ce succès lui a coûté une vie sous protection judiciaire, marquée par le danger et la menace constante. Il a relaté sa période de clandestinité forcée dans Joseph Anton : une autobiographie, traduit par Gérard Meudal et paru en 2012.
Le 24 septembre 1998, l'Iran déclarait officiellement qu'il renonçait à exécuter la fatwa contre Salman Rushdie, tout en précisant que les lois de l'Islam empêchaient son annulation formelle.
En juillet 1991, le traducteur japonais de Rushdie, Hitoshi Igarashi, a été assassiné, et le 12 août 2022, lors d'une conférence à New York, Salman Rushdie a été gravement blessé, recevant dix coups de couteau au cou et à l'abdomen. Il lui en reste de lourdes séquelles : il a perdu l’usage de l’œil droit et une partie de la mobilité d’une de ses deux mains. L'assaillant a été identifié comme Hadi Matar, un jeune Américain de 24 ans d'origine libanaise. L'auteur en a tiré un ouvrage, Le Couteau, Réflexions suite à une tentative d’assassinat (trad. Gérard Meudal), paru le 18 avril 2024 chez Gallimard.
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Parmi les réactions hostiles à cette décision de Haute Cour de Delhi, Maulana Kaab Rashidi, conseiller juridique pour l'unité de l'Uttar Pradesh de Jamiat Ulama-e-Hind (AM), l'une des principales organisations islamiques du pays, a exprimé son inquiétude auprès de PTI : « Si la liberté d'expression blesse les sentiments de quelqu'un, c'est une infraction légale. Les Versets Sataniques est un livre blasphématoire. Vendre un livre aussi controversé sous le prétexte de la liberté d'expression ne peut être accepté sous aucune forme. Cela va à l'encontre de l'esprit de la Constitution. » Et d'ajouter : « La fondation de la Constitution de l'Inde permet la liberté d'expression, mais elle ne donne à personne le droit de blesser les sentiments. Reprendre la vente du roman est une tentative de provocation. C'est la responsabilité du gouvernement de stopper cela. Si le gouvernement le permet, cela équivaudrait à se soustraire à ses devoirs constitutionnels. »
Ce dernier est par ailleurs formel : les musulmans considèrent Allah et le Prophète comme plus chers que leur propre vie et dans un tel scénario, le livre controversé ne sera jamais toléré.
Maulana Yasub Abbas, secrétaire général de l'All India Shia Personal Law Board, organisation qui défend les droits des musulmans chiites en Inde, a de son côté fait appel au gouvernement indien pour garantir que l'interdiction reste fermement en place : « Le livre se moque des vues islamiques, insulte le prophète Muhammad et ses compagnons, et blesse les sentiments. Permettre sa vente pose une menace à l'harmonie du pays. »
Dans le même élan, Maulana Mufti Shahabuddin Razvi, président national de l'All India Muslim Jamaat, organisation religieuse non gouvernementale indienne appartenant au mouvement Barelvi de l'islam sunnite, a déclaré : « Ce livre insulte l'islam, le prophète Muhammad et plusieurs figures islamiques. Son contenu est si offensant qu'il ne peut être répété. Permettre ce livre sur le marché perturbera l'atmosphère nationale. Aucun musulman ne peut tolérer de voir ce livre haineux sur une étagère de librairie. »
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Côté lecteurs, un acheteur confie à l'agence de presse IANS : « Je ressens un lien personnel avec ce livre parce que l'auteur vient de ma région, le Cachemire... C'est un exercice intellectuel et peut-être plus pertinent aujourd'hui en Inde. » Un autre raconte : « Je me souviens quand j'étais assistant rédacteur en chef à The Statesman à Calcutta... Je suis spécifiquement venu acheter cette copie comme un souvenir du livre étant disponible à nouveau. Il est important de défendre la liberté d'expression. »
Le retour sur les étagères du roman controversé s'insère dans un climat de tensions accrues entre les communautés musulmanes et la majorité hindoue, intensifiées depuis l'accession au pouvoir de Narendra Modi en 2014.
En avril dernier, lors d'un meeting politique au Rajasthan, le Premier ministre indien a qualifié les musulmans d' « infiltrés », affirmant que si l'opposition prenait le pouvoir, elle redistribuerait les richesses de l'Inde à ces derniers. Une rhétorique fait écho à des théories de l'extrême droite hindoue qui accuse les musulmans de chercher à modifier le rapport démographique en leur faveur par une natalité élevée.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Hocine Bouhadjera
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