Le Rassemblement national a pensé à ses adhérents et électeurs : à partir du 29 novembre, à l'occasion des fêtes de fin d'année, il leur proposait de recevoir, pour tout don égal ou supérieur à 50 €, un exemplaire de Ce que je cherche, le livre de Jordan Bardella, président du parti d'extrême droite, publié par Fayard. La formation pourrait ainsi avoir transgressé des règles sur la défiscalisation des dons, mais aussi la loi Lang, relative au prix unique du livre.
Le 21/12/2024 à 09:53 par Antoine Oury
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Publié le :
21/12/2024 à 09:53
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Déjà fâché avec les réglementations en matière d'assistants parlementaires des députés européens — Marine Le Pen, Jordan Bardella et d'autres élus du parti d'extrême droite sont cités dans le cadre d'un procès en cours —, le Rassemblement national avancerait en terrain glissant. D'un côté, la fiscalité des partis politiques et de l'autre, la loi sur le prix unique du livre seraient malmenées.
Comme l'a révélé Le Canard Enchaîné ce 17 décembre, le parti politique (découlant du Front national, fondé par Jean-Marie Le Pen, d'anciens Waffen-SS et quelques néonazis) collecte des dons auprès de sympathisants. Avec pour contrepartie, sans surprise, le livre de Jordan Bardella, président du parti qui était envoyé pour tout don égal ou supérieur à 50 €.
Un manège qui aura dura « pendant plus de deux semaines », assure Le Monde. Et second cadeaux, le montant du don, cette fois-ci sans minimum, sera défiscalisé : une réduction d’impôt de 66 % s'applique aux sommes versées aux associations et partis politiques.
Le Volatile pointait alors une problématique liée aux règles applicables en matière de défiscalisation, pour les partis politiques. En effet, la réduction d'impôt est « conditionnée à l’absence de contrepartie au don versé » : un livre, toutefois, peut être considéré comme un des « menus biens » qui ne remettent pas en cause « l’éligibilité des versements au bénéfice de l’avantage fiscal », selon le Bulletin officiel des finances publiques.
Néanmoins, la valeur de ces mêmes menus biens doit être « faible », au maximum de 73 €, et correspondre à « un rapport de 1 à 4 entre la valeur du bien et le montant du don ou de la cotisation ». Le bât blesse sur ce dernier critère : avec un livre vendu 22,90 €, le montant total du don équivaudrait à 91,60 €...
La direction générale des finances publiques et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ont confirmé au Monde l'aspect problématique de la contrepartie offerte par le Rassemblement national. « Si, pour un don de 50 euros, la valeur des “menus biens” remis au donateur est supérieure à plus du quart (18 euros), les services fiscaux sont susceptibles de remettre en cause l’avantage fiscal ».
Les adhérents ayant reçu l'ouvrage risquent ainsi de se voir refuser la déduction fiscale : le « cadeau » du livre n'en sera donc pas un, puisqu'il aura été payé bien plus cher que dans le commerce. Sollicité par l'AFP, le Rassemblement national n'a pas souhaité s'exprimer, indiquant étudier la situation d'un point de vue juridique.
Au sein des librairies, grandes surfaces alimentaires et grandes surfaces spécialisées, l'ouvrage de Jordan Bardella s'est écoulé à plus de 142.000 exemplaires depuis sa parution, le 9 novembre 2024 (chiffre Edistat). D'après les informations du Monde, le RN aurait communiqué ce même volume de ventes à ses adhérents, le mercredi 18 décembre dernier.
Le panelliste, comme d'autres acteurs fournissant des estimations de ventes, ne comptabilise pas les ouvrages « offerts » aux adhérents du RN, ce dernier devrait, sans trop de doutes, les ajouter aux résultats commerciaux de Ce que je cherche, afin d'en célébrer le succès populaire. Interrogées, les éditions Fayard n'ont pas répondu à nos questions concernant l'origine des exemplaires que le RN comptait transmettre à ses donateurs, et sur les modalités de cette opération.
Au petit accro fiscal relevé par le Canard, un autre s’ajoute : celui du prix unique du livre. Selon la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, seul l’éditeur définit légalement le prix de vente. Ainsi, un livre neuf se trouvera au même tarif, chez tous les revendeurs. Conditionner la réception de l'ouvrage à un don de 50 € minimum donnerait le sentiment que le RN fixe un prix de vente. Il n'en est rien, malgré cette désagréable sensation d'évidence. Restait toutefois un autre écueil : celui de la vente à prime (voir l'article 6).
À LIRE - Piratage record pour le livre de Jordan Bardella
Notion cruciale de la législation, elle désigne un dispositif commercial qui consiste à offrir un produit ou un avantage en complément de l'achat d'un livre, généralement à titre gratuit, dans le but d'inciter à l'achat. Offrir les confidences du jeune Jordan, président du Rassemblement, contre une donation relèverait-il d’une autre violation de la législation ?
Pour certains, cela ne fait pas un pli : « Donner un livre en retour d’un achat ou d’un service, cela ne fonctionne que s’il en a été convenu avec l’éditeur. Comme dans les promos de poche par exemple l’été. Mais ce n’est pas le cas ici : c'est de la vente à prime, déguisée et un contournement de la loi Lang » D’autres se souviennent des bandes dessinées données pour un plein d’essence chez Total qui étaient des exemplaires spécifiques...
Sauf que le compte serait bel et bien bon. Premier point, défiscalisation ou non, à partir du moment où le montant du don est supérieur au prix public du livre, le caractère illégal de l’opération se discute. En outre le livre est donné en contrepartie d’un don, donc d’une intention libérale de la part du souscripteur.
D’autant que l’opération ne relèverait pas à proprement parler d’une vente avec prime : les sommes versées sont des dons qui n’ont donc en théorie que l’intention libérale de celui qui entend soutenir la cause.
En outre, on lira sur le site du Syndicat de la librairie française :
La distinction doit être claire entre la vente de livres, qui ne peut donner lieu à prime, et la vente d’autres produits qui peut être primée par des livres.
De la sorte, le libraire ne peut pas lier l’offre de cadeaux à la clientèle à un montant d’achat de livres (tickets de tombola, agendas, éditions spéciales...). Par contre, il est possible d’offrir un livre pour l’achat d’une place de théâtre ou d’un plein d’essence.
Et cet échange livre contre donation semble cocher toutes les cases. Nous avons contacté le Syndicat de la Librairie française, et sommes en attente de réponse.
Quelques questions, pour les plus méthodiques demeurent : Jordan Bardella a-t-il acheté les ouvrages ou s’agit-il d’exemplaires hors commerce — de quoi contourner la loi plus aisément encore, mais sur des volumes potentiellement considérables.
Quelle remise a été concédée à Jordan Bardella sur l’achat de ces titres ? Elle ne serait pas la même selon que l'auteur achète ses propres livres (car définie contractuellement) ou que ce soit son parti qui procède au réglement. Et à ce titre, quitte à défendre des valeurs de commerces de proximité, il serait mieux de les acheter chez un libraire dans ce cas.
Au final, le RN passerait entre toutes les gouttes, seuls les donateurs seraient lésés, en attendant une défiscalisation qui n'arriverait jamais ? Mais que ne ferait-on pas pour soutenir son candidat, écouler des exemplaires et semer largement la Bonne Parole ?
On assiste déjà à une forme de résistance de la librairie, face au livre de Jordan Bardella : selon Edistat, seuls 17 % des exemplaires écoulés auront été achetés dans ces lieux. D'ailleurs, quelque 80 libraires avaient dernièrement signé une tribune appelant à des fêtes « solidaires et engagées » en... boycottant les titres du groupe Lagardère, propriété de Vincent Bolloré.
Joyeux Noël !
Photographie : Jordan Bardella en 2022 (European Parliament, CC BY 4.0), couverture du livre de Jordan Bardella (Éditions Fayard)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
5 Commentaires
Gaucho Marx
21/12/2024 à 10:25
Cet article donne un singulier aperçu de notre "paradis" fiscal.
Par moments, je me surprends à rêver de Milei et de sa tronçonneuse.
Actualisant
21/12/2024 à 11:21
À la différence de Groucho, qui lui était drôle, vous êtes assez singulier
On croirait entendre en plus synthétique, cette dernière sortie de notre quotidien humaniste national
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/les-francais-qui-s-entichent-de-javier-milei-l-ont-ils-vraiment-compris-20241220
Gaucho Marx
22/12/2024 à 08:17
Eh oui ! Milei nous ouvre la voie... à l'insu de notre plein gré !
Joul ligne 4
22/12/2024 à 09:59
ce que ne sait pas l'inconsistant gaucho marx c'est que les tronçonneuses se retournent parfois contre leur auteur ça donne à réfléchir hein platon de salon ?
Aurelien Terrassier
22/12/2024 à 10:18
Déjà mis en cause et condamné dans la fameuse affaire des assistants parlementaires, le parti d'extrême droite n'en est décidément pas à une magouille près. Il est temps que les gens modestes bernés se réveillent car ces gens-là méritent de voter autre chose que pour un parti d'extrême droite qui est raciste, xénophobe et qui a toujours dans son adn un vieux fond antisémite! Le Rn est et sera toujours le Rn malgré les cosmétiques de language aux apparences républicaines mais qui sont trompeuses! la droite républicaine des macronistes et de certains Lr comme Aurelien Pradie (plusieurs études et sondages ont montré un report massif d'electeurs de droite vers le vote d'extrême droite en 2022 et 2024) de faire le travail en allant pas sur le terrain sécuritaire, xénophobe et réactionnaire du parti d'extrême droite mais en le combattant comme la gauche le fait avec un autre projet politique.