En freinant considérablement les dépenses publiques pour la culture (entre 66 et 73 % du budget serait concerné) en 2025, la présidente de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais (Horizons), a affolé tout un secteur. Les artistes auteurs, dont la situation économique est souvent précaire, se fédèrent pour tenir bon, dans la rue ou en ligne.
Le 16/12/2024 à 15:35 par Antoine Oury
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16/12/2024 à 15:35
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En octobre dernier, la présidente du Conseil régional des Pays de la Loire annonçait une réduction drastique des dépenses publiques, autour de 100 millions €. Un choix qu'elle justifiait alors par une baisse prévisible des recettes issues de la Taxe sur la Valeur Ajoutée en 2025, mais aussi par une responsabilité vis-à-vis de la dette publique, qui nécessitait selon elle un rabot supplémentaire de 60 millions €.
Depuis ces déclarations, plusieurs secteurs s'inquiètent d'une baisse de leurs moyens, dont la culture, le sport ou l'égalité femmes-hommes. Pour le premier, différentes structures sont menacées, dont celles du livre, à l'instar de l'agence régionale du livre et de la lecture, Mobilis, de l'Association des librairies Indépendantes en Pays de la Loire ou de Coll.Libris, le collectif des éditeurs.
Le 5 décembre dernier, à Nantes, tout un secteur s'était retrouvé pour manifester, à l'occasion d'une journée de mobilisation pour la défense des services publics. L'occasion de rappeler que la culture participait d'une attractivité et d'une vitalité, notamment économique, du territoire, et qu'elle permettait aux citoyens de faire société.
Au sein de l'écosystème de l'écrit, une profession, indispensable, reste moins visible : les artistes auteurs. Ils font pourtant partie des premiers concernés, directement ou indirectement, par les coupes budgétaires promises par Christelle Morançais.
« Nous avons tous et toutes des économies assez précaires, avec un statut qui l'est tout autant », nous rappelle Corentin Massaux, artiste auteur dans les arts plastiques et syndiqué auprès du SNAP-CGT, le Syndicat National des Arts Plastiques affilié à la CGT. « Des aides directes qui disparaissent, cela représente des sommes que l'on ne pourra pas investir dans des projets. Et si des lieux de culture ferment ou sont moins subventionnés, nous serons aussi touchés, même si cela sera moins visible dans l'immédiat. »
La fin d'année 2024 elle-même annonce la couleur : en effet, l'aide régionale au projet de création arts visuels et à la première monographie, pour laquelle les candidatures étaient acceptées jusqu'au 8 septembre dernier, a été suspendue avant le versement des sommes allouées, qui survient habituellement au mois de décembre. Les candidats et candidates ont reçu un courrier de refus, qui mentionne « un cadre budgétaire contraint inédit dès cette fin d'exercice 2024 ».
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« Cet appel est passé tous les ans, pour des sommes qui peuvent atteindre 5000 € », nous précise Corentin Massaux. « Il permet généralement de compléter des financements croisés, avec l'apport d'autres partenaires et souvent de l'artiste lui-même. Les projets de création incluent des publics, des partenaires, et la rémunération de prestataires, dans le cadre de propositions ambitieuses, dont l'écriture ou la création prend parfois plusieurs mois ou années. »
Selon nos informations, le règlement jusqu'à présent applicable de cet appel à projets aide au projet de création arts visuels, comme ceux de l'aide aux structures littéraires et actions de promotion de la lecture, de l'aide aux librairies indépendantes, de l'aide aux manifestations littéraires ou encore de l'aide à l'édition indépendante auraient récemment été abrogés par le conseil régional.
Dans ce contexte, les artistes auteurs se rendent visibles dans les manifestations de défense des services publics et de l'emploi, sous les bannières de la CGT Spectacle ou du SNAP-CGT, notamment. Au sein du collectif Culture en Lutte Pays de la Loire et sur des fils de discussion de l'application Telegram, les actions de communication et de résistance se coordonnent.
Une lettre collective sera ainsi envoyée aux élus du conseil régional, pour les inciter à ne pas voter le budget présenté par Christelle Morançais et son groupe, Aimer et Agir pour les Pays de la Loire. Des artistes auteurs concernés par la suppression de l'aide au projet de création y expliqueront les raisons de leur inquiétude, face à un budget 2025 austère.
En plus des manifestations, les créateurs tentent de remporter la bataille sur le plan de la communication et la sensibilisation des électeurs et électrices.
Le site 73 pour 100 présente ainsi les dessins, affiches et caricatures de plusieurs dessinateurs et illustrateurs de la région et d'au-delà, pour dénoncer la situation, dans son ensemble. L'initiative s'inspire de 24x36, plateforme créée par le designer Geoffrey Dorne pour accueillir des affiches de soutien au Nouveau Front Populaire au moment des législatives. « N'importe qui peut s'en emparer, les télécharger, les imprimer et les diffuser », explique Loïc Sécheresse, qui a monté 73 pour 100 avec le web designer Kevin Ferré et Arnaud Aubry, designer graphique et illustrateur.
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Mise en place en une semaine après une assemblée générale de syndicats, le site permet aux artistes et aux autres d'exprimer son indignation plus directement, puisqu'une image vaut parfois mille mots. « Les aides de la région, c'est comme un bâton de mikado », résume Loïc Sécheresse, « beaucoup de structures dépendent de ces financements et peuvent s'écrouler ».
Adhérent à Maison Fumetti, association nantaise dédiée à la bande dessinée et à sa promotion, il assiste à la suppression d'une subvention de 18.000 € qui remet partiellement en cause les programmes de la structure. « Chaque année, elle accueille un auteur ou une autrice en résidence, et l'opération ne sera peut-être pas reconduite, ou de manière réduite en 2025. Mais, ce n'est pas tout : les interventions en milieu scolaire sont aussi sur la sellette. »
D'autres secteurs touchés par les coupes budgétaires ne sont pas étrangers à l'activité des artistes auteurs. « Le milieu de l'économie sociale et solidaire est celui de lieux où nous sommes amenés à travailler, par des interventions », explique Corentin Massaux. « Les EHPAD, mais aussi, du côté de l'éducation, les collèges ou les lycées, et même les prisons, sont autant d'endroits où nous pouvons créer du lien. » Les musées et espaces d'exposition risquent également de restreindre leurs dépenses et programmations.
Ces sources de revenus annexes étant amenées à disparaitre, « les artistes auteurs vont se tourner vers un travail alimentaire, ce qui est déjà le cas d'un certain nombre », note-t-il encore. La profession, précaire et peu protégée par le droit du travail, risque d'en sortir encore un peu plus fragilisée. Et la région, de perdre quelques talents : « Certains parlent déjà de quitter les Pays de la Loire », assure Corentin Massaux.
« Nous nous heurtons à un refus de considérer que la culture est quelque chose de fragile », estime Loïc Sécheresse, « de délicat, car ce secteur ne doit pas être soumis à la question de la rentabilité. Pour autant, il apparait qu'un euro investi dans la culture peut générer plusieurs euros de vie économique derrière, et que de nombreux petits festivals, gratuits ou payants, font tourner des librairies et font vivre des auteurs. »
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Kevin Ferré, également danseur interprète, chorégraphe au sein de sa compagnie de danse nantaise, envague, s'inquiète aussi, pour sa part, de l'effondrement d'un écosystème : « Cela fait 20 ans que je danse, et j'ai commencé comme beaucoup d'autres dans une Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) : cet aspect social et de proximité est aussi menacé. »
Les 19 et 20 décembre prochain, le budget 2025 sera soumis au vote du conseil régional, où le groupe de Christelle Morançais, grâce à ses soutiens, peut bénéficier d'une majorité. Mais « le mouvement de lutte ne va pas s'arrêter ensuite », explique l'artiste auteur, « nous allons même nous adresser aux autres secteurs concernés, comme le sport et les structures associatives, pour le mener ensemble ».
Photographies : manifestation du 12 décembre 2024, pour la défense de l'emploi et des services publics, à Nantes (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
1 Commentaire
Aurelien Terrassier
16/12/2024 à 23:03
Je soutiens plus que jamais tous ces artistes et autres petites mains et intermittents du spectacle face à l'autoritarisme budgétaire de la très reactionnaire Christelle Morancais!