Le 7 octobre 2024 s'ouvrait, à la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le procès de Charles Onana, auteur franco-camerounais, et de son éditeur Damien Serieyx. Ils étaient accusés de « contestation de l’existence d’un crime de génocide », référence faite au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Ce 9 décembre, le premier a été condamné à une amende de 8400 € (120 jours amende d'un montant unitaire de 70 €), le second a été sanctionné à hauteur de 5000 €, et ensemble, ils doivent verser 11.000 € aux associations de défense des droits humains, parties civiles.
Le 10/12/2024 à 12:43 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
10/12/2024 à 12:43
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Cette action en justice intervient après la publication par Charles Onana, chez L'Artilleur, du livre intitulé Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise en 2019, un ouvrage qui a déclenché une plainte de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), de la Ligue des Droits de l'Homme, et de l'association Survie en 2020. La loi française, depuis janvier 2017, punit la négation, la minimisation ou la banalisation des génocides officiellement reconnus par l'État.
Durant le procès, le subsitut du procureur a critiqué l'approche de Onana comme « réductrice et erronée » car elle « omet délibérément la finalité [du génocide, NdR] : la destruction totale ou partielle du groupe tutsi », partage l'AFP. Cette dernière a affirmé que l'auteur avait « clairement dépassé les limites de la liberté d’expression » en « minorant » et en « banalisant » l'existence du génocide contre les Tutsis.
L'utilisation fréquente des guillemets par Onana autour du mot « génocide », ainsi que ses références à ce terme comme un « dogme » ou une « idéologie », ont été interprétées comme du « négationnisme pur et simple » par Me Sabrina Goldman, avocate de la Licra, également partie civile.
Me Emmanuel Pire, l'avocat de la défense, a exprimé sa déception suite au verdict. Il a souligné, auprès de RFI, que son client ne « conteste pas le génocide » des Tutsis décrit dans son ouvrage, mais qu'il le « replace dans le contexte » historique correspondant. À la fin de l'audience, il a déclaré son intention de faire appel de cette condamnation au nom de son client.
L'œuvre de Charles Onana conteste plusieurs aspects admis du génocide, en qualifiant notamment sa planification de « thèse conspirationniste » et même de « l'une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». L'auteur défend également l'opération Turquoise, une mission française sous l'égide de l'ONU, fréquemment critiquée pour avoir aidé, entre autres, la fuite des génocidaires vers le Zaïre, actuellement la République démocratique du Congo.
Il avance que Paul Kagame, à l'époque leader du Front patriotique rwandais et actuellement président du Rwanda, aurait orchestré un « plan » dès 1990 pour s'approprier les ressources minières du Nord-Kivu, et accuse le Front patriotique rwandais (FPR) d'être le véritable « responsable et planificateur » des tueries.
Son livre remet également en question l'emploi du terme « génocide » pour décrire les massacres, suggérant que les violences étaient commises tant par les Hutus que par les Tutsis, rendant floue la distinction entre agresseurs et victimes.
Le 22 juin 1994, le conseil de sécurité de l’ONU, via la résolution 929, a autorisé le déploiement d'une force multinationale sous commandement français au Zaïre et au Rwanda. L'objectif était de contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda.
Depuis plus de deux décennies, des ONG, chercheurs et particulièrement le régime du Rwanda, accusent la France et les militaires français de participation à la préparation et à l'exécution du génocide.
Après plus de dix années de recherche dans les archives du Conseil de Sécurité, de l’Elysée, du ministère français de la Défense, du gouvernement des États-Unis et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Charles Onana affirme, documents à l'appui selon ses affirmations, que les dirigeants actuels du Rwanda ont, d’avril à juin 1994, empêché l’intervention de l’ONU, favorisant ainsi les massacres et la lutte armée plutôt que l’arrêt des hostilités qui aurait dû aboutir à un partage du pouvoir, prévu par les accords d’Arusha.
Lors de son audition le lundi 8 octobre, Charles Onana avait expliqué : « Je ne nie pas du tout le génocide et je ne le ferai jamais », tout en déplorant un « procès d'intention ». Il décrit son travail comme une thèse scientifique, fruit de dix ans de recherche et validée par un doctorat à l'université Lyon III en 2017. Selon lui, son analyse se fonde sur des documents militaires et des archives de la CIA, de l'armée belge et du renseignement militaire français.
À la barre, l'auteur avait par ailleurs tenté de différencier des « civils tutsis qui ont été victimes d’un génocide et des rebelles qui mènent une action violente et qui ont conquis le pouvoir par la force des armes », en référence au Front patriotique rwandais (FPR, toujours au pouvoir à Kigali). Concernant la « planification » du génocide, reconnue par plusieurs juridictions, il a soutenu que c'était une « escroquerie », avançant que le FPR l'avait mis en avant dès avril 1994 sans en fournir de preuve.
Pour sa défense, Charles Onana avait cité une vingtaine de témoins, parmi lesquels d'anciens officiers militaires français et rwandais, comme le colonel belge Luc Marchal et le général français Jean-Claude Lafourcade, qui a commandé l'opération Turquoise.
De leur côté, les parties civiles ont fait appel à plusieurs juristes et historiens comme témoins. Serge Dupuis, de la Fondation Jean-Jaurès, a contesté la sélection des documents et témoignages utilisés par Charles Onana.
Un rapport d'historiens mandaté par l'Élysée en 2021 avait déjà pointé les « responsabilités accablantes » de la France dans le génocide, sans toutefois évoquer une complicité de génocide. La commission dirigée par Vincent Duclert a critiqué, entre autres, le soutien français à un régime rwandais raciste et violent de l'époque, et souligné une interprétation ethniciste erronée des événements. Le rapport mentionne également l'isolement international de la France et les défaillances institutionnelles ayant entravé une prise de décision critique.
Le 7 avril dernier, Emmanuel Macron a réaffirmé, lors d'une vidéo pour le 30e anniversaire du génocide rwandais, les déclarations faites à Kigali en 2021, reconnaissant les « responsabilités » de la France sans présenter d'excuses. Il a reconnu que la France aurait pu agir avec ses alliés pour arrêter le génocide, tout en niant une complicité avec les génocidaires hutu.
Face à cette procédure judiciaire, son éditeur L'Artilleur avait incité, en une de son site, à « acheter ses livres [de Charles Onana, NdR] en soutien », assurant que les revenus générés serviront à couvrir les frais juridiques. Charles Onana est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont un autour de l'attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au président rwandais, Juvénal Habyarimana, prélude au génocide des Tutsi.
Ce procès fait suite à un précédent en 2022, où la journaliste française Natacha Polony avait été relaxée d'accusations similaires, les juges ayant conclu que ses propos ne constituaient pas une « contestation de l'existence du génocide ». Une décision confirmée en appel.
Les propos incriminés remontent à mars 2018 lors d'une émission sur France Inter, où Polony avait estimé « nécessaire de regarder en face ce qui s'est passé à ce moment-là et qui n'a rien finalement d'une distinction entre des méchants et des gentils ». Et d'ajouter : « Malheureusement, on est typiquement dans le genre de cas où on avait des salauds face à d'autres salauds [...], il n'y avait pas d'un côté les gentils et de l'autre les méchants dans cette histoire. »
Ces déclarations avaient incité l'association Ibuka France, engagée pour les victimes du génocide rwandais, à porter plainte et à se constituer partie civile. Le Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) ainsi que la Communauté rwandaise de France s'étaient également joints à Ibuka en tant que parties civiles.
Finalement, le parquet avait déterminé que les propos de la journaliste n'avaient pas pour objectif de minimiser le génocide et que les interruptions fréquentes de son interlocuteur avaient empêché une explication complète de son point de vue.
Crédits photo : Inisheer (CC BY-SA 3.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
1 Commentaire
Livingstone
11/12/2024 à 19:53
Hubert Védrine, sort de ce corps !