Depuis 25 ans, l’association Lire et faire lire promeut le goût des livres et des mots auprès des jeunes, grâce à des séances de lecture à voix haute animées par des bénévoles de plus de 50 ans. Ces rencontres intergénérationnelles sont riches en sens et en apprentissage. À l'occasion de cet anniversaire, nous avons sollicité six bénévoles. Maryse Lafon, ancienne professeur, a accepté de répondre à nos questions.
Le 06/12/2024 à 17:30 par Clotilde Martin
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Publié le :
06/12/2024 à 17:30
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ActuaLitté : Comment s’est déroulé votre première fois devant les enfants ?
Maryse Lafon : Cela fait 15 ans que je donne de mon temps, depuis ma retraite, et il m’est difficile de répondre à cette question de manière simple. Ce qui me frappe encore aujourd’hui, c’est que, malgré les années, chaque rencontre avec les enfants réserve son lot de surprises. Leur manière de penser, leurs émotions, leurs réactions, sont à chaque fois nouvelles et enrichissantes.
En ce moment, nous participons au Prix Poésie des lecteurs Lire et faire lire avec des élèves de CP autour d’un prix de poésie. Quatre ouvrages ont été sélectionnés par un jury et nous devons les leur présenter afin qu’ils en choisissent un. L’un d’eux a pour titre Et nous irons voir le monde de Julia Kuo, traduit par Rosalind Elland-Goldsmith (Albin Michel). Dans ce livre, plusieurs questions sont posées aux enfants : « Atteindrons-nous le plus haut point (de la montagne) ?, Le fond du fond, (de la mer)? » Alors que j’allais tourner la page, un enfant a répondu : « Peut-être. » Le texte, lui, donne comme réponse « Bien sûr. »Et c’est là que mon rôle prend toute sa dimension : il s’agit de nourrir leurs rêves, de leur faire comprendre que tout est possible.
Quel est l’ouvrage qui vous a le plus marqué ?
Maryse Lafon : L’ouvrage qui m’a le plus marqué est L’Arbre sans fin de Claude Ponti (L’école des loisirs). L’auteur y aborde des thèmes délicats, notamment le décès de la grand-mère. L’histoire suit une petite fille, faisant partie d’une famille qui ressemble plutôt à des ratons laveurs et qui vit une aventure dans un monde fantastique. Elle rencontre un monstre qu’elle doit affronter. Bien que le décès de la grand-mère soit presque oublié au fil de l’histoire, la grand-mère permet de situer cette petite fille dans sa propre généalogie familiale.
C’est un sujet difficile, le deuil, mais pour les enfants, cela reste assez éloigné d’eux. Ils ne le vivent pas de la même manière que nous. Ce qui me plaît aussi, ce sont les dessins très colorés et très étranges ainsi que les monstres, qui plaisent beaucoup aux enfants.
Après la lecture, nous revoyons toutes les pages ensemble, pour laisser place à l’expression des enfants ou pour discuter des éléments qui les ont marqués. Très souvent, ils reviennent sur les monstres !
Je veille toujours à présenter le livre aux enfants avant de commencer la lecture, surtout s’il y a des passages délicats. Au cours de la lecture, je leur demande parfois : « A votre avis, que va-t-il se passer, après ? » Et là, la magie opère : ils inventent des suites et cela les emmène dans leur propre imaginaire. Il est important de ne pas craindre de leur montrer l’étrangeté. Il n’y a aucune obligation à être dans le réel : les choses se passent dans un livre que nous fermerons à la fin de la lecture. Alors, autant en profiter !
Dans quel type d’établissement intervenez-vous, et pourquoi ce choix ?
Maryse Lafon : Je vais toujours lire dans la même école élémentaire, juste à côté de chez moi. L’idée est d’être au plus près des enfants, pour ritualiser ce moment et tisser des liens avec eux. Quand j’arrive, ils me reconnaissent et sont toujours très contents de me voir. Ceux qui ne sont pas dans le groupe concerné par mon intervention, eux, font la moue !
J’anime notre réseau pour la région d’Aix. Nous sommes 46 bénévoles, et il n’y a qu’un seul homme parmi nous : mon mari ! Il semble que ce ne soit pas un choix privilégié, hélas, pour les hommes de lire chaque semaine des livres aux enfants dans une école. Et c’est regrettable.
Comment faites-vous le choix des livres ?
Maryse Lafon : Comme je suis bénévole relais avec une autre lectrice, lorsque nous accueillons de nouvelles lectrices, nous prenons le temps de leur expliquer le fonctionnement, les grandes orientations de l’association. La question du choix des livres est toujours abordée, et l’essentiel, c’est qu’elles puissent sélectionner ce qui les attire véritablement, sans aucune contrainte. Cette liberté de choix leur permet de partager un livre qu’elles aiment, renforçant ainsi leur plaisir de lire et celui des enfants à écouter cette lecture à voix haute encore trop peu fréquente pour eux.
Avant chaque séance, il y a tout un travail de préparation : s’approprier le texte pour bien le lire avec les intonations permettant une bonne réception de la part des enfants, anticiper les questions que nous aimerions leur poser, comme « Et toi, dans cette situation, tu aurais fait la même chose que la petite souris ? ». L’objectif est de créer un moment d’échange, différent de la classe où l’on demande souvent aux enfants de se taire et d’écouter. Ici, l’expression est libre : les enfants parlent beaucoup avant la lecture et surtout après la lecture, c’est un moment de plaisir où ils aiment donner leur avis jusqu’à pouvoir débattre entre eux..
Dans nos groupes de 5 à 6 enfants, les élèves présentent des niveaux très différents. En CP, certains enfants sont déjà très compétents, tandis que d’autres ont plus de difficultés. Lorsque nous repérons un enfant en retrait, nous lui donnons la parole pour l’encourager. Si un mot est particulièrement difficile et risque de gêner la compréhension de l’ensemble de l’histoire, je l’explique avant la lecture, mais en général, ce qui importe, c’est l’image et l’histoire dans leur globalité, pas seulement les mots.
Ces lectures éclairent ma vie et lui donnent du sens, me procurant énormément de plaisir. Je n’ai pas de rôle ou de projet pédagogique avec ces enfants et, en tant qu’ex-professeure cela m’importe beaucoup. Je m’efforce de transmettre le goût des livres et donc de la lecture. Ils m’apportent beaucoup par leur fraîcheur, leur spontanéité, leur curiosité. C’est un véritable bonheur d’être avec eux.
Cela va bien au-delà de mon engagement dans Lire et Faire Lire. Ce matin même, après la lecture à un groupe d’élèves, j’ai aidé deux jeunes élèves de CM2 qui se préparent pour les Petits Champions de la Lecture. J’ai travaillé avec elles sur leurs textes, et cette expérience dépasse largement ce que je fais habituellement. C’est une grande joie de partager cet amour des livres avec les enfants.
Étiez-vous professeur avant ?
Maryse Lafon : Oui ! Mais j’étais professeur à l'IUT d'Aix-en-Provence, en gestion des entreprises. C’est une reconversion totale. Aujourd’hui, dans ces moments de lecture à l’école, je suis une grand-mère qui vient lire des histoires à des enfants, comme je l’ai fait avec mes propres petits-enfants. A l’occasion d’un thème de lecture, je peux leur parler de ma longue vie, de mes voyages, de ce que j’aime (art, cinéma, science etc…) Et ils sont bien conscients que je ne suis pas du tout leur professeure. Nous voyageons ensemble sur une autre planète !
Crédits photo : Maryse Lafon
Par Clotilde Martin
Contact : mc@actualitte.com
Paru le 28/09/2022
32 pages
Albin Michel
14,90 €
Paru le 25/05/2007
44 pages
L'Ecole des Loisirs
6,00 €
2 Commentaires
eMmAMessanA
07/12/2024 à 06:48
Oui, une très belle association. J'y suis bénévole depuis onze ans et je ne suis pas lassée, bien au contraire. Les enfants sont si heureux d'écouter des histoires. Certains d'ailleurs n'en entendent pas à la maison...
Nous recevons une formation solide et variée organisée par l'assocaition.
Si vous disposez de temps et avez plus de 50 ans, lancez-vous !
GAUTHIER
10/12/2024 à 19:11
J'aurais bien aimé avoir la même expérience que cette dame. En 2016, j'ai essayé de lire des livres à des groupes d'enfants de petite section de maternelle (pour Lire et faire lire). J'aimais beaucoup ces enfants. Ils se sont très vite blottis contre moi et tapaient sur le livre dès que je lisais. Ils allaient chercher d'autres livres et ne m'écoutaient pas. Ils me parlaient d'eux, de leurs vêtements, de leurs grand-parents. J'ai "lu" ainsi durant 6 mois mais l'institutrice m'a demandé d'arrêter car je ne lisais pas suffisamment. J'ai une voix assez douce et je n'ai pas su m'imposer. Les enfants voulaient me parler et non m'entendre lire. J'ai essayé plusieurs livres. Ils écoutaient quelques minutes et tapaient sur le livre. Les livres sont très importants pour moi. Ils m'ont sauvé la vie. Je lis tout le temps. Peut-être ne sais-je pas transmettre en lisant ? Qu'en pensez-vous ? Merci de votre réponse si elle est possible.