ProcesIA — L'Association des éditeurs américains (AAP) annonce la conclusion définitive du procès « Hachette Book Group contre Internet Archive », avec la confirmation de la victoire des éditeurs sur la question des droits d'auteur et de la distribution numérique. Cette décision fait suite au choix de l'Internet Archive de ne pas déposer de demande de certiorari auprès de la Cour suprême des États-Unis, avant la date limite du 3 décembre 2024.
Le 05/12/2024 à 12:44 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
05/12/2024 à 12:44
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Les plaignants, Hachette Book Group, Harper Collins, John Wiley & Sons et Penguin Random House, « obtiennent un jugement décisif en faveur des droits des auteurs et des marchés numériques, en démantelant la théorie du "prêt numérique contrôlé" comme une distorsion du droit bien établi », selon l'AAP. L'opinion de la Cour d'appel du deuxième circuit, rendue le 4 septembre 2024, reste donc en vigueur.
La justice américaine avait en effet confirmé le verdict rendu en mars 2023 : la plateforme Internet Archive, qui se présente comme la « bibliothèque d'internet », était reconnue coupable d'infraction au copyright. La défense du site, basée sur l'intérêt général, la conservation et le fair use, n'avait pas convaincu la cour d'appel.
Cette dernière avait affirmé : « Internet Archive attend de cette cour qu'elle autorise la copie et la distribution d'œuvres protégées par le copyright sans la permission des éditeurs ni des auteurs. Une telle décision ouvrirait la voie à une reproduction de masse, laquelle priverait les créateurs d'une compensation et limiterait les moyens de production de nouvelles œuvres. »
Et d'ajouter : « Si les auteurs et créateurs savaient que leurs œuvres originales pouvaient être copiées et diffusées gratuitement, il y aurait peu de motivation à produire de nouvelles œuvres. [...] Une telle absence de créativité nuirait sans aucun doute au public. »
La cour est allée jusqu'à affirmer qu'Internet Archive, en mettant à disposition l'intégralité des œuvres, avait cherché à « supplanter les œuvres originales », et qu'elle « propose effectivement le même produit que les éditeurs — les œuvres dans leur totalité — mais sans coût pour les consommateurs ni pour les bibliothèques ».
Le tribunal a également précisé que la numérisation de livres physiques ne pouvait pas être qualifiée de transformation, car cela ne modifie pas l'expression de l'œuvre elle-même, mais uniquement l'objet qui la contient. « La Loi sur le droit d'auteur protège les œuvres des auteurs dans tous les formats dans lesquels elles sont produites », a affirmé la cour. Un contrevenant ne peut pas justifier sa violation en évoquant, par exemple, un ratio entre les exemplaires physiques et numériques, a également rappelé la cour.
Maria A. Pallante, présidente et directrice générale de l'AAP, a salué cette victoire définitive, au nom du conseil d'administration de l'association : « Après cinq ans de litige, nous sommes ravis de voir cette affaire se conclure par l'opinion décisive de la Cour d'appel du deuxième circuit, qui ne laisse aucune place aux arguments selon lesquels le “prêt numérique contrôlé” serait autre chose qu'une violation des droits d'auteur, que ce soit par des acteurs commerciaux ou non commerciaux, ou pour des œuvres de nature créative ou factuelle. »
Elle développe : « Comme l'a reconnu la Cour, l'intérêt public — et le progrès des arts et des sciences, qui est le mandat de la clause sur le droit d'auteur de la Constitution — est mieux servi lorsque les auteurs et leurs éditeurs peuvent décider des conditions dans lesquelles leurs œuvres sont mises à disposition. Nous sommes reconnaissants envers Hachette, HarperCollins, Penguin Random House, Wiley, leurs auteurs, et les nombreux alliés qui, dans cette affaire, ont défendu le droit d'auteur, sans lequel nous serions une société moins inspirée et moins informée. »
La plainte initiale, déposée en 2020 par les quatre grands groupes éditoriaux américains, accusaient Internet Archive de rendre disponibles en ligne, via un système de « prêt numérique contrôlé », des milliers de titres scannés. Ces ouvrages provenaient des bibliothèques partenaires de la plateforme, qui permettaient aux utilisateurs d'emprunter des versions numériques des livres, à raison d'un exemplaire à la fois. Cependant, en raison de la pandémie de Covid-19, Internet Archive avait temporairement assoupli cette restriction, permettant ainsi à un même titre d'être emprunté par plusieurs usagers simultanément, une mesure qui avait suscité l'indignation des éditeurs.
Les quatre groupes de plaignants avaient centré leur action sur un ensemble de 127 titres, arguant que leur diffusion par Internet Archive nuisait non seulement aux ventes des ouvrages concernés, mais aussi à l'écosystème du prêt numérique en bibliothèque. Les plaignants, soutenus par l'Association des éditeurs américains, rappelaient l'existence d'un marché des licences de prêt numérique, un marché où les bibliothèques publiques sont contraintes de payer des tarifs jugés excessivement élevés par celles-ci.
Selon l'AAP, Internet Archive « a cherché à justifier son contournement des marchés des éditeurs, y compris leurs marchés importants de livres numériques avec les bibliothèques publiques américaines, en présentant une théorie radicale selon laquelle l'IA ou ses bibliothèques partenaires pouvaient créer et distribuer des copies numériques non autorisées si elles conservaient un exemplaire du livre imprimé pour chaque "emprunt" numérique. » Et aurait ainsi « fortement encouragé des milliers de bibliothèques à cesser de licencier des livres numériques et à utiliser sa plateforme à la place. »
Une partie secondaire de l'affaire concernait la « National Emergency Library » (NEL), une autre initiative de l'Internet Archive, qui a été rapidement écartée par la cour de première instance. La NEL, mise en place durant la pandémie, découlait de la structure même du « prêt numérique contrôlé » et se justifiait par l'argument de la crise sanitaire.
L'AAP conclut : « Une fois l'affaire conclue, les éditeurs ont obtenu une victoire décisive et largement applicable pour les droits des auteurs et les marchés numériques, un résultat qui était notre objectif fondamental et principal. »
Internet Archive devra verser un paiement à l'Association des éditeurs américains (AAP), qui a pris en charge les frais de la procédure juridique. Bien que le montant exact de cette somme reste confidentiel, il a été convenu dans un jugement de consentement négocié entre les parties et approuvé par la cour. Il est précisé que les frais d'avocat et les coûts substantiels engagés par l'AAP depuis le début de l'action en 2020 seront largement couverts par ce paiement.
Fondée en 1996 par Brewster Kahle et Bruce Gilliat, l'organisation à but non lucratif Internet Archive avait pour objectif initial l'enregistrement de chaque page web publique. Cette mission est aujourd'hui incarnée par la Wayback Machine, un outil qui permet de « remonter le web » et de retrouver des sites qui ont été modifiés ou supprimés au fil du temps.
Au début des années 2000, Internet Archive a élargi son rôle en devenant un vaste réservoir de contenus du domaine public, incluant des textes et des enregistrements musicaux. Peu à peu, la plateforme a aussi accueilli des éléments dont le statut juridique est plus incertain, tels que des prospectus, des publicités et autres documents similaires.
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Aujourd'hui, Internet Archive revendique une collection de 42 millions de références, qui incluent des textes, des enregistrements audio et vidéo, des images, ainsi que des logiciels, y compris des jeux vidéo.
Les ennuis juridiques d'Internet Archive ne s'arrêtent pas là, même si l'organisation ne se tourne pas vers la Cour suprême. Elle est actuellement impliquée dans une nouvelle procédure légale, lancée cette fois par de grandes maisons de disques telles qu'Universal Music Group, Sony Music Entertainment et Capitol. Ces entreprises lui reprochent de diffuser des titres numérisés à partir de disques 78 tours sans l'autorisation des détenteurs des droits.
Photographie : Une allégorie de la justice (illustration, Ben Sutherland, CC BY 2.0)
DOSSIER - Procès Internet Archive : l'édition contre le prêt numérique contrôlé
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
1 Commentaire
méuiménon
07/12/2024 à 18:35
les maisons de livres et de disques inquiètent de pas pouvoir s'acheter leurs prochains yachts aussi vite qu'ils le souhaitent, faut les comprendre...
Sérieusement, internet archives jouent un rôle vitale dans la préservation des contenus et de ce fait, lutte contre les lost media de plus en plus nombreux.
Mais grâce au piratage, on évite les lost media.
Quand ces grosses boîtes plein de pognon auront une solution alternative pour contrecarrer les lost media, là on pourra voir.
Donc pour moi, c'est une honte pour la justice américaine qui ne voit pas plus loin qu'elle ne veut voir.