Répondant à l'austérité commandée aux collectivités locales par le gouvernement Barnier, la présidente de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais (Horizons), entend freiner considérablement les subventions attribuées à la culture. Avec, à la clé, des économies attendues. Mais la réduction des dépenses de soutien au secteur pourrait bien générer des effets délétères.
Le 04/12/2024 à 11:40 par Antoine Oury
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04/12/2024 à 11:40
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Le budget 2025 de la région Pays de la Loire sera soumis aux votes des membres du Conseil régional les 19 et 20 décembre prochain, mais il est déjà largement discuté. En octobre, Christelle Morançais (Horizons), présidente de la région, a annoncé une réduction des dépenses de la collectivité de 100 millions € environ, répondant à la demande de l'État d'une baisse de 40 millions €, mais y ajoutant 60 millions € supplémentaires.
Christelle Morançais justifie un choix fait « par nécessité, devoir moral et sens des responsabilités », dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche, titre classé à l'extrême droite. « Je ne laisserai pas dire qu’on sacrifie la culture, quand nous en préservons l’essentiel, et notamment sa dimension patrimoniale et tournée vers les territoires, ruraux notamment, où elle n’a pas le droit de cité », souligne-t-elle encore.
Pour l'instant, les montants des coupes budgétaires ne sont pas tous arrêtés : la commission culture, sport et vie associative de la région verrait son budget diminuer de 66 % (d'après Mediacités) à 73 %, selon les estimations.
D'après les chiffres d'un rapport sénatorial, Les nouveaux territoires de la culture, publié en décembre 2019, les régions apparaissent comme un financeur plutôt modeste, dans ce domaine. Ainsi, « [l]es communes restent aujourd’hui encore les principaux financeurs de la culture, loin devant les autres échelons », notaient alors Antoine Karam et Sonia de la Provôté.
En se basant sur des chiffres de l'année 2016, ils indiquaient que les communes avaient assumé 58 % des dépenses des collectivités territoriales, loin devant les intercommunalités (20 %), les départements (14 %) et les régions (8 %).
Cinq ans plus tard, le paysage a un peu évolué : 9,1 milliards € de dépenses culturelles ont été engagés par les collectivités territoriales en 2021, selon les données du ministère de la Culture, dont 80 % par les communes et intercommunalités, quand départements et régions pointent respectivement à 12 % et 8 %.
Les montants de ces dépenses culturelles ont augmenté pour les départements (+ 22 %), les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, mais ont baissé pour les régions (– 4 %), relevait encore la rue de Valois dans ses Chiffres Clés de la culture pour 2023.
Bien que minoritaire, la participation des régions au financement de la culture, en cas de disparition, n'aurait que peu de chances d'être compensée par les autres collectivités. De nombreux départements sont déjà dans le rouge, tandis que les communes tirent elles aussi la langue, contraintes de réduire leurs dépenses malgré des budgets de fonctionnement, comme l'exige la loi, toujours à l'équilibre.
L'État n'est plus qu'un financeur « minoritaire », comme le qualifiait la Cour des Comptes en 2022. Le mouvement de décentralisation, avec le transfert de compétences en collectivités, n'a pas forcément été suivi de dotations publiques à la hauteur : en se privant lui-même, mais aussi les collectivités locales, de certaines recettes, notamment fiscales — taxe d'habitation ou cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises —, l'État a fini par appauvrir la puissance publique dans ce domaine.
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« Aujourd’hui, les structures et les activités culturelles qui constituent une activité économique importante dans les territoires pourraient être mises en difficulté par la baisse de ces financements publics, dans un contexte de baisse des dépenses publiques et de suppression de certaines recettes fiscales des collectivités territoriales », prévenait le Conseil économique, social et environnemental, en mai 2023.
« Les collectivités territoriales sont amenées à faire des arbitrages budgétaires où la culture est de plus en plus fréquemment une variable d’ajustement », poursuivait le CESE. Si la présidente de la région Pays de la Loire choisit la culture comme levier pour réduire les dépenses, ce choix est guidé par la politique du gouvernement Barnier, malgré les dénégations de sa porte-parole, Maud Bregeon, le 26 novembre dernier à l'Assemblée nationale.
Derrière la citation souvent attribuée à Victor Hugo, « Si vous trouvez que la culture coûte cher, essayez l'ignorance », en réalité proche d'une déclaration d'Abraham Lincoln, quelle réalité ? Cette question taraude les économistes qui travaillent sur la sphère culturelle, en raison de sa complexité, mais aussi de l'intérêt croissant qui lui est accordé, notamment par les décideurs publics...
Parmi les travaux sur la question, L’apport de la culture à l’économie en France, publié en décembre 2013 par l'Inspection générale des finances, fournit des éléments de réponse pertinents. Les auteurs de ce rapport ont sélectionné, afin de mener leur étude, « des territoires ayant bénéficié d’implantations culturelles et de comparer l’évolution de variables socioéconomiques dans ces territoires à des territoires aux caractéristiques similaires mais dépourvus d’une telle implantation ». L'idée étant d'examiner les différences dans les évolutions de ces territoires.
De cette comparaison est sorti le constat d'« [u]n relatif surcroît de dynamisme dans les territoires ayant bénéficié d’une implantation culturelle [...] au regard des six variables socioéconomiques étudiées ». Créations d'entreprises, évolution du prix du mètre carré (critère qui témoigne de l'attractivité d'un territoire), part des actifs occupés et salaire net horaire moyen sont plus importants dans les territoires ayant bénéficié d'une implantation culturelle.
Deux variables étaient défavorables pour ces territoires, l'évolution de la part des chômeurs et l'évolution de la population totale. « Toutefois », nuançait l'Inspection générale des finances, « pour ces variables, les différences sont moins importantes en valeur que les différences positives des autres variables, de sorte que le constat de la performance des bassins de vie culturels par rapport à leurs témoins ne serait donc pas fondamentalement remis en cause par ces deux variables ». Autrement dit, la culture, pour un territoire, représente un atout économique réel.
La « rentabilité » des subventions publiques versées au bénéfice du secteur culturel a surtout été mesurée à l'aune du patrimoine. En 2009, l'agence régionale du patrimoine de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur estimait ainsi qu'un euro investi par les pouvoirs publics générait entre 28 et 31 € de retombées économiques en métropole, grâce aux dépenses des visiteurs (hôtellerie, restauration, dépenses diverses...).
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Depuis quelques années, les festivals, surtout musicaux, mesurent aussi leur rentabilité économique : les Eurockéennes de Belfort s'en sont fait une spécialité et ont indiqué, en octobre 2024, qu'un euro de subvention correspondait à 17,7 € de retombées économiques pour le territoire.
En 2018, le Centre national du livre s'était risqué à étudier quelques-unes des retombées économiques des manifestations littéraires, pour les territoires. Le CNL relevait alors le chiffre d'affaires réalisé par les libraires pendant l'événement, la rémunération des auteurs intervenants, la sollicitation de prestataires locaux, les dépenses dans l’hôtellerie, la restauration et les transports...
Mesurer la rentabilité des subventions culturelles est un jeu dangereux : un bénéficiaire qui ne fournit pas un retour sur investissement suffisant pourrait se voir écarter, sans autre forme de procès. L'Inspection générale des finances elle-même le notait, toujours dans cette même étude. « [L]es retombées économiques ne sont pas la seule justification d'une subvention publique : la subvention peut être, précisément, la conséquence d'une programmation artistique courageuse, moins directement “grand public”, dont le résultat pour la collectivité (et la justification vis-à-vis des électeurs) est plutôt à attendre en termes de prestige et de “positionnement” culturel que d’impact économique direct. »
Aussi faut-il prendre en compte les externalités positives de la culture sur le bien-être des citoyens : mesurer le bonheur brut sur un territoire, en quelque sorte. En décembre 2022, le projet européen CultureForHealth listait dans un rapport les différents bénéfices des activités culturelles pour la santé des participants.
Parmi ceux-ci, une amélioration de la qualité de vie, un bien-être psychologique, un engagement social plus important, un recul des périodes de dépression et d'anxiété, une amélioration de la qualité de vie des patients atteints de troubles chroniques de la santé, prévention du déficit cognitif et développement des compétences sociales, émotionnelles et cognitives...
Autant de bienfaits non marchands, dont l'absence pourrait néanmoins avoir un coût sensiblement élevé pour les finances publiques, à l'avenir...
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Une approche plus prosaïque pourra convaincre quant à l'intérêt d'un territoire riche en culture, aux yeux des citoyens : à l'occasion d'une étude réalisée en 2022, les répondants indiquaient qu'ils attendaient une bibliothèque ou une médiathèque dans le top 3 des équipements culturels de proximité, quand la librairie apparaissait en quatrième position des commerces de proximité désirés.
Cette publication de l'institut d'études de marché CSA portait plus spécifiquement sur les habitants des centres-villes, mais un rapport de la sénatrice Frédérique Espagnac (groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Pyrénées-Atlantiques), publié il y a quelques semaines, établissait aussi de fortes attentes culturelles dans les territoires ruraux. Le prix des billets, l’intérêt de l’offre et l'éloignement des lieux culturels étaient cités par les citoyens comme des freins à l'accès, que le désengagement régional ne risque pas de lever.
Photographie : illustration, verkeorg, CC BY-SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
2 Commentaires
Jean Drogo
04/12/2024 à 14:50
Ils ne se sont pas croisés mais voilà ce que Murray Rothbard aurait pu répliquer à Victor Hugo :
- Un voleur qui justifierait son vol en expliquant comment il a réellement aidé ses victimes et comment ses dépenses ont stimulé le commerce ne convaincrait personne ; mais quand sa théorie revêt l'apparence d'équations keynésiennes et de références édifiantes à "l’effet multiplicateur", elle emporte davantage la conviction, malheureusement.
Marioniet
05/12/2024 à 07:39
Entièrement d'accord, J. M-Keynes a bon dos!!