Le 12 novembre dernier, l'Assemblée nationale a rejeté le volet « recettes » du Projet de loi de finances 2025 du gouvernement, occasionnant ainsi l'examen de la version initiale par le Sénat. Au sein des deux chambres parlementaires, les commissions se sont penchées sur le budget consacré au livre et à la lecture, touché lui aussi par l'austérité. La situation du Centre national du livre, en particulier, interroge.
Avec 362 voix contre, et 192 pour, l'Assemblée nationale, le 12 novembre dernier, a rejeté la partie « recettes » du Projet de la loi de finances (PLF), invalidant automatiquement celle dédiée aux dépenses et renvoyant au Sénat l'examen du texte initial, celui composé par le gouvernement.
Le texte rejeté par l'Assemblée nationale, lui, avait été révisé par les amendements adoptés en commission, mais cette version n'a convaincu ni la coalition gouvernementale ni l'extrême droite. À l'inverse, le Nouveau Front Populaire s'était montré plutôt enthousiaste vis-à-vis de cette nouvelle mouture.
Le Sénat examine désormais, depuis ce lundi 25 novembre, le PLF 2025, et la Chambre haute s'est donnée comme date butoir le 12 décembre prochain pour terminer ses travaux. La perspective d'un recours à l'article 49.3, qui permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi sans vote de l'Assemblée nationale, mais en engageant sa responsabilité. Ainsi, si une motion de censure est votée par les députés, le gouvernement est renversé et le texte rejeté.
À l'Assemblée nationale comme au Sénat, la commission des affaires culturelles et la commission de la culture se sont toutes deux penchées sur la mission Médias, livre et industries culturelles du ministère de la Culture. À l'Assemblée nationale, le député Philippe Ballard (Rassemblement National, Oise) a signé le rapport, tandis que le sénateur Mikaele Kulimoetoke (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants, Iles Wallis-et-Futuna) a récidivé au Sénat — il s'était déjà chargé du rapport en 2023.
Le budget global du ministère de la Culture, pour l'année 2025, semble échapper à l'impératif d'économiser énoncé par le gouvernement Barnier. Le déficit public devrait s'élever à 6,1 % en 2024, et le gouvernement s'est fixé comme objectif de le réduire à 5 % l'année prochaine, au profit de coupes budgétaires drastiques.
Le ministère de la Culture verrait, a priori, son budget préservé, avec 3,72 milliards € de crédits de paiement dans le PLF 2025, un niveau correspondant pratiquement à celui de la loi de finances initiale 2024 (3,71 milliards €, quand le PLF 2024 indiquait 3,8 milliards € de crédits de paiement). En réalité, ce budget s'avère contraint, puisque l'inflation, même réduite, reste de mise.
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Comme le notent les rapporteurs, la mission Médias, livre et industries culturelles hérite d'un budget de 728 millions € en autorisations d'engagement (AE), pour 723 millions € en crédits de paiement (CP), soit une baisse de - 1,86 % en AE et - 1,67 % en CP. Au sein de cette mission, le programme Livre et industries culturelles obtient 361 millions € en AE, pour 357 millions € en CP, soit une baisse de 0,78 % et de 0,36 % par rapport aux montants de la loi de finances pour 2024.
Si les pourcentages semblent minimes, la baisse est réelle, d'autant plus lorsque l'inflation reste de mise...
Dans le programme Livre et industries culturelles, la Bibliothèque nationale de France occupe une place prépondérante, et en représente 70 % des crédits, soit 251,6 millions €. Du côté des éléments réjouissants, Philippe Ballard comme Mikaele Kulimoetoke notent la fréquentation en hausse de l'établissement, « qui efface le précédent record de 2019, avec 1,5 million de visiteurs sur l’ensemble des sites », assure le sénateur de Wallis-et-Futuna.
Concernant les finances, le député Philippe Ballard indique que la « hausse [+ 4,7 millions €] de la subvention pour charges de service public de la BnF vise à compenser les charges incompressibles de l’établissement. La subvention pour charges d’investissement resterait stable en 2025. » Autrement dit, la BnF se retrouve elle aussi chahutée par la politique d'austérité, et le personnel de l'institution mène actuellement une mobilisation pour interpeller le ministère de la Culture.
Le sénateur Mikaele Kulimoetoke prévient, à ce titre, que la BnF fait face à « un mur d’investissement pour l’entretien de son patrimoine, en particulier du site François Mitterrand ». Il fait le compte, entre un système de sécurité incendie demandé par la Préfecture de police de Paris (12 millions €), le remplacement des éclairages (10 millions €), celui des 57 ascenseurs (10 millions €) ou encore le renouvellement des armoires de climatisation...
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À ces chantiers s'ajoute celui du centre de stockage d’Amiens, qui doit se dérouler entre 2026 et 2029, pour un coût total de 96,2 millions € : le sénateur annonce un « surcoût prévisible compris entre 10 et 15 % du budget initial ». Enfin, il rappelle que le dépôt légal des documents numériques, toujours pas effectif, générera aussi des coûts. Les modalités et dispositions techniques de cette collecte ne seront toutefois pas fixées « avant le premier semestre 2025 », précise-t-il.
Le député Philippe Ballard s'inquiète particulièrement du sort réservé au Centre national du livre (CNL). L'établissement public dépendant du ministère de la Culture encourage la création éditoriale, aide à la diffusion des livres et mène une politique d'incitation à la lecture. En 2025, la subvention pour charges de service public de l'établissement serait de 28,45 millions €, contre 28,9 millions € l'année précédente, soit 450.000 € de crédits de fonctionnement en moins.
Auditionnée par le député, Régine Hatchondo, présidente du CNL, a indiqué que le livre « représente la première industrie culturelle française », mais que « celle-ci est la moins aidée par les pouvoirs publics ». Le député RN « la rejoint résolument » et « aurait ainsi souhaité que la subvention pour charges de service public de cet établissement public soit stabilisée par rapport à l’année 2024 ».
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La présidente du CNL a même évalué à « 1,4 million d’euros le besoin de financement supplémentaire de l’opérateur, afin de doubler les résidences d’auteurs dans les écoles et les collèges ainsi que les masterclasses, qui consistent en des rencontres avec des auteurs de littérature jeunesse ou contemporaine ». Une telle demande de revalorisation avait peu de chances d'être acceptée au sein du gouvernement actuel, et le député lui-même « comprend » qu'elle « n’ait pas été acceptée »...
Depuis 2018, le budget du Centre national du livre dépend du budget de l'État, et non plus des recettes issues de la taxe reprographie. Si cette dernière était en érosion depuis plusieurs années, le budget de l'État peut aussi, comme pour cette année 2025, varier à la baisse...
Dans son rapport sur le projet de loi de finances 2024, le sénateur Mikaele Kulimoetoke s'était déjà intéressé aux relations entre auteurs et éditeurs, qu'il qualifiait alors d'« extrêmement tendues ». Il consacre à nouveau plusieurs paragraphes à ce sujet dans son nouveau document, notant que les progrès dans les négociations « ont été modestes » cette année.
Il évoque plus particulièrement la question de la rémunération des auteurs, et note que les « organisations professionnelles ne sont pas parvenues à s’accorder sur l’ensemble des thématiques débattues ».
Certains sujets ont ainsi divisé au sein même des organismes représentants les auteurs, comme le régime des minima garantis. Certains défendent l’idée que les minima garantis doivent être considérés comme la contrepartie d’une prestation commandée par l’éditeur et que les rapports entre auteur et éditeur relèvent successivement de deux cadres contractuels : d’une part celui du contrat de louage d’ouvrage ou de commande et, d’autre part, celui du contrat d’édition.
– Mikaele Kulimoetoke, rapport sur la mission Médias, livre et industries culturelles
Il revient sur la publication de l'étude du Syndicat national de l'édition sur le partage de la valeur du livre, et sur l'accueil plutôt glacial qui lui a été réservé. Une nouvelle étude sur le sujet doit être supervisée par le ministère de la Culture, qui inclurait notamment les gains de la diffusion-distribution et les disparités des conditions de rémunération entre les auteurs. Les résultats sont attendus en 2025...
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Le rapport de Philippe Ballard est accessible à cette adresse, celui de Mikaele Kulimoetoke par ici, sur le site du Sénat.
Photographie : le Sénat (Pierre Metivier, CC BY-NC 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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