La revue littéraire Quinzaines, née dans le sillage de La Quinzaine littéraire (elle-même créée par François Erval et Maurice Nadeau en 1966), se présente sous ce titre depuis 2019, suite à une décision judicaire. Plusieurs collaborateurs de la parution, correcteurs ou maquettistes, et le syndicat CGT-SGLCE pointent depuis plusieurs semaines des prestations impayées et « une méthode bien installée » de Patricia De Pas, directrice de la publication.
Le 19/05/2025 à 18:09 par Antoine Oury
7 Réactions | 341 Partages
Publié le :
19/05/2025 à 18:09
7
Commentaires
341
Partages
Le décès de Maurice Nadeau, en 2013, avait plongé la vénérable Quinzaine littéraire, institution de la critique, dans l'incertitude. Née en 1966 sous l'impulsion de Nadeau et François Erval, la revue traversait une mauvaise passe financière, à laquelle s'ajoutait donc la disparition d'un de ses fondateurs. À travers sa SAS Éditions Nouvelles, Patricia De Pas avait investi dans le titre, renommé La Nouvelle Quinzaine littéraire, en devenant l'actionnaire majoritaire.
Deux ans plus tard, les relations entre la propriétaire et la direction éditoriale de la revue n'étaient pas au beau fixe : Tiphaine Samoyault, Pierre Pachet et Jean Lacoste dénonçaient en effet « une restructuration globale du journal et de ses orientations éditoriales » et s'inquiétaient de la possible « fin de La Quinzaine littéraire ».
Certains fidèles de La Quinzaine firent alors scission, pour créer En attendant Nadeau, et, en 2018, les enfants de Maurice Nadeau, ses héritiers, retrouvaient finalement Patricia De Pas au tribunal, considérant que sa gestion était « contraire à l’esprit et la volonté » du cofondateur, « mais aussi à l’offre de reprise proposée ».
Le litige portait notamment sur l'utilisation du titre La Quinzaine littéraire, que Patricia De Pas et les héritiers revendiquaient chacun de leur côté. En septembre 2018, les descendants de Maurice Nadeau avaient obtenu gain de cause, et, le 1er janvier 2019, le titre adoptait la dénomination Quinzaines et un rythme de parution mensuel.
Distribué d’une manière assez restreinte dans les points de vente, le titre a récemment attiré l’attention, pas forcément pour les bonnes raisons. « Plusieurs personnes ayant travaillé pour la revue Quinzaines ont sollicité le syndicat », nous indique Guillaume Goutte, délégué du Syndicat général du livre et de la communication écrite CGT (SGLCE-CGT), « parce qu'elles sont rarement payées, et dans des délais indécents, plusieurs mois après l'accomplissement des tâches ».
Dans un communiqué, l'organisation professionnelle assure qu'elle a « tenté de joindre à plusieurs reprises Madame De Pas », directrice de Quinzaines, sans succès. « Nous avions envoyé une lettre recommandée à l'adresse de la rédaction, mais le courrier n'a pas été réclamé », précise encore Guillaume Goutte.
Pourtant, la directrice de la publication se montre à l’écoute : apprenant que ActuaLitté enquêtait sur cette situation, elle se plaint, dans un message envoyé via un réseau social, que nous harcelons une de ses collègues pour « un projet d’article malveillant sur la Quinzaine [sic] ». Et de se réserver « la possibilité de faire la même chose pour ActuaLitté - les critiques ne manquent pas… et il est toujours facile d’aller enquêter du côté de ceux que vous avez égratignés dans le milieu littéraire… » Fichtre !
En revanche, pour ses collaborateurs, le mutisme semble de mise. Une maquettiste indépendante, qui a travaillé en 2023 sur la mise en page d’un numéro de Quinzaines, explique avoir rencontré des « désaccords de planning » avec Patricia De Pas, au sujet du rythme de travail.
« À partir de là, les semaines ont passé, et je n’ai plus reçu de nouvelles. Mes e-mails restaient sans réponse, et impossible de l’avoir au téléphone. À la mi-juillet [2023], je n’avais reçu aucun fichier de travail, ni e-mail, ni paiement de ma première facture » nous indique-t-elle.
Le montant de 500 € aurait dû être réglé « 20 jours après après la réception de la facture de fin de mission », comme l'indique le devis signé. Mais à ce jour, aucun virement reçu, nous confirme-t-elle. Les semaines passant, la maquettiste rédige un message sur la page Facebook de Quinzaines pour réclamer ses émoluments.
« À ce moment-là, fin septembre 2023, Patricia de Pas a recommencé à m’écrire, s’offusquant du fait que j’avais rendu public qu’elle ne m’avait pas payée, [...] me disant qu’elle était choquée que j’aie ébruité l’affaire, et que c’était pour cela qu’elle ne me payait pas ». Elle avance même que le réglement ne sera effectué « qu’à condition que je retire ce que j’avais écrit ».
Après une procédure d'injonction de payer, un message de Patricia De Pas, en septembre 2024, promet un virement sous peu. Rien ne vient, et ce n’est qu’en début d’année 2025, après une saisie sur le compte bancaire de la revue par un commissaire de justice, que la somme est finalement obtenue.
En 2023 toujours, au mois de mars, Patricia De Pas et Catherine Meeùs, correctrice, traductrice et éditrice belge, entrent en contact. Après des interventions sur six numéros de Quinzaines, « un différend sur une virgule » mettra fin à la collaboration, sans autre préavis, assure Catherine Meeùs : « Après quoi elle ne m'a plus jamais contactée ni répondu à aucun de mes messages. » Ici, presque toutes les prestations ont été rémunérées, « un peu au lance-pierre, mais ça finissait toujours par venir ». Du moins pour les cinq premiers numéros : le sixième reste en souffrance, selon la correctrice, « malgré plusieurs rappels. Elle ne m'a tout simplement plus jamais répondu. »
Sur un espace d’échanges en ligne réunissant des correcteurs et correctrices professionnels, les témoignages et informations sur la revue Quinzaines se succèdent. D'autres professionnels ont en effet rencontré, plus récemment, des situations similaires à celles décrites.
Une collaboratrice de la revue nous indique ainsi avoir effectué « la correction intégrale d’un magazine et la préparation de copie d’un second » en 2024, avant une rupture « impromptue et soudaine » qui aurait été décidée par Patricia De Pas.
Une première facture de 400 €, pour la correction du premier numéro, resterait en attente malgré un mail de la directrice de la publication indiquant « que la facture est en cours de traitement », nous indique notre interlocutrice. L'autre facture, de 300 €, au titre de la préparation de copie, n'aurait pas non plus été réglée, malgré les relances de la correctrice. « Elle joue au jeu du silence, je n’entends simplement plus parler d’elle. »
Un article de L'Humanité, en date du 9 janvier, évoquait ces tâches impayées, mais n'aura pas eu de grandes répercussions sur les règlements. Un de nos interlocuteurs a toutefois reçu un paiement, mais découlant d’une procédure d'injonction de payer arrivée à son terme : le commissaire de justice a ainsi saisi directement la somme sur les comptes de l'entreprise.
D'après le site internet de Quinzaines, la direction éditoriale du titre est assurée par Jean Daive, Jean-Michel Gentizon, Michel Juffé, Rafael Pic et Yves Surel, tandis que la directrice de la publication mentionnée reste Patricia De Pas.
Parmi les membres mentionnés par le titre, seul Michel Juffé nous confirme s’être occupé « de la partie contenus de la revue », assurant qu'il n'était « pas au courant des faits évoqués par le syndicat du livre CGT ». Les autres membres du « comité éditorial » ont cessé de travailler pour Quinzaines, parfois depuis un moment – certains ont même demandé le retrait de leur nom de l'ours affiché sur le site.
Nous avons tenté de joindre la directrice de publication en décembre 2024 à l'aide de l'adresse de contact de la revue. La réponse qui nous est parvenue précisait qu'« une plainte auprès du commissariat de police » serait déposée contre le syndicat CGT. Contacté, ce dernier nous a précisé, fin avril, qu'aucune plainte n'avait été reçue. Nous avons renvoyé des questions à la rédaction de Quinzaines le 27 février dernier, puis le 15 mai, sans aucun retour.
Selon nos informations, Quinzaines compterait aujourd'hui environ 2000 abonnés, un chiffre en baisse depuis plusieurs années. « Patricia De Pas constatait que la revue perdait des abonnés et pensait elle-même que ce type de journal n'avait plus de perspectives, dans les années 2020 », nous confie un ancien collaborateur de la revue. « Elle se demandait même, alors, si elle n'allait pas vendre le journal. Nous n’avions que peu d’informations sur les ventes », poursuit-il, « Et elle soulignait régulièrement que la distribution était insuffisante. »
Photographie : couverture du numéro 1262 de la revue Quinzaines, septembre 2024
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
7 Commentaires
NAUWELAERS
19/05/2025 à 20:55
Et on sait que des services de correction sont remplacés par...l'IA au «Point» !
Dont la diffusion est infiniment plus étendue -pas difficile -que le confidentiel «Quinzaines»...
Pauvre métier sinistré !
CHRISTIAN NAUWELAERS
marcel sam
22/05/2025 à 09:20
Mais le point en tant que torchon populiste mérite bien son I.A. n'est-il pas ? ne pas confondre les serviettes avec les gants de toilettes. CQFD
NAUWELAERS
22/05/2025 à 18:52
Marcel Sam,
Lire avant de pérorer comme certains autres.
Certaines insultes rabaissent ceux qui les profèrent.
Hors ils n'ont pas besoin de ça...
Ne pas confondre les posts affligeants avec les articles dignes de ce nom.
CHRISTIAN NAUWELAERS
mercier plus camier dans ta chetron
23/05/2025 à 15:07
Reste que le Point est un sacré torchon popu n'en déplaise aux lecteurs à la petite semaine
sorry bro!
n
24/05/2025 à 21:38
Mercier quelque chose étant un authentique cador, reconnu dans sa salle de bains et par sa concierge (si elle est très gentille).
CHRISTIAN NAUWELAERS
Gilles Rozier
20/05/2025 à 21:47
En 2018, j'ai fait une procédure auprès du tribunal d'instance pour me faire payer des piges non payées depuis plus d'un an.
Je me souviens qu'à l'audience, elle avait dit à la juge qu'elle trouvait honteux de déranger la justice pour 500 €. La juge l'avait remise en place en lui disant que la justice était là pour ça :)
L'indélicate a reçu une injonction à payer et elle a fini par le faire...
NAUWELAERS
21/05/2025 à 21:58
Tant mieux, monsieur Rozier !
CHRISTIAN NAUWELAERS