Ce samedi 23 novembre, lors des commémorations des 80 ans de la Libération de Strasbourg, Emmanuel Macron a annoncé l'entrée au Panthéon de l'historien Marc Bloch, assassiné par la Gestapo en 1944. Historien dont les méthodes changeront durablement la pratique de la discipline, il fut une victime de l'antisémitisme nazi et français, avant de s'engager dans la Résistance, jusqu'à sa mort.
Depuis le palais universitaire de Strasbourg, à l’occasion des 80 ans de la Libération de la ville, le président de la République a annoncé l'entrée au Panthéon de Marc Bloch (1886-1944), « [p]our son œuvre, son enseignement et son courage ».
Il fut nommé maître de conférences en 1919, professeur sans chaire en 1921 puis professeur d'histoire du Moyen Âge en 1927 au sein de l'université de Strasbourg. Entre-temps, en 1924, il a publié Les rois thaumaturges (Gallimard), consacré à la prétendue guérison miraculeuse, par simple toucher, de différentes maladies par les rois de France et d'Angleterre.
Dans cette œuvre, Bloch développe une méthode de travail bien particulière, à l'intersection de plusieurs disciplines, et devient l'un des premiers pratiquants d'une anthropologie historique. En 1931, Les Caractères originaux de l'histoire rurale française (Armand Colin) lui permettra de remettre en pratique cette méthodologie si particulière pour l'époque.
Avec son collègue Lucien Febvre, il fonde en 1929 la revue Annales. Histoire, Sciences sociales qui participe également à cette pratique de l'histoire comme une science plutôt que comme un récit. Au-delà des « grands » hommes et des conflits militaires, il s'agit de prendre en compte des sociétés, des modes de vie, des économies et des démographies, grâce aux auteurs sciences et notamment aux sciences humaines.
La Seconde Guerre mondiale vient bouleverser sa carrière, alors qu'il avait été nommé professeur à la Sorbonne quelques années plus tôt. Témoin de la capitulation française et de la collaboration avec l'occupant nazi, il rédige L'Étrange Défaite (Folio), un de ses ouvrages les plus célèbres, publié de manière posthume en 1946.
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En tant que juif, il est visé par les nazis et les autorités françaises du régime de Vichy, exclu de la fonction publique, tandis que son appartement est réquisitionné. Malgré la possibilité qui lui est donnée de se réfugier aux États-Unis, il enseigne à Montpellier puis rentre dans la Résistance lorsque les forces allemandes investissent le sud de la France. Il est capturé le 8 mars 1944 à Lyon, avant d'être interné et torturé. Il meurt assassiné par des agents de la Gestapo le 16 juin 1944.
Dans un courrier adressé à Bruno Roger-Petit, le conseiller « Mémoire » d'Emmanuel Macron, Suzette Bloch, petite-fille de Marc Bloch et Matis Bloch, son arrière-petit-fils, mandataires des ayants droit de l'historien et résistant, se réjouissent d'« un grand honneur » fait à leur famille.
« Fidèle à une tradition familiale de grande vigilance et exigence sur l’usage de la mémoire de notre aïeul, il nous apparaît nécessaire de vous exposer nos souhaits sur le processus de Panthéonisation », avancent-ils néanmoins. « La vie de Marc Bloch, exemplaire, a été l’objet de nombreuses récupérations politiques auxquelles nous nous sommes toujours opposés », rappellent-ils encore.
Les membres de la famille de Marc Bloch souhaitent ainsi une entrée de l'historien aux côtés de « sa femme, Simonne Bloch, née Vidal », et un maintien de leurs corps au cimetière du Bourg-d’Hem, en Creuse. « Une place égale doit être faite à l’historien et au professeur, au résistant et au combattant », souligne encore sa famille, qui appelle aussi à un hommage purement civil.
« Nous rappelons également que l’œuvre de ce patriote convaincu est profondément anti-nationaliste, construite contre le roman national et la réduction de l’histoire française aux frontières nationales. Cet engagement se concrétisa jusque dans la mort. En ce sens, il nous paraît essentiel que l’extrême droite, dans toutes ses formes, soit exclue de toute participation à la cérémonie », insistent Suzette et Matis Bloch dans leur courrier.
En février 2024, Marine Le Pen, présidente du groupe d'extrême droite Rassemblement national à l'Assemblée nationale, s'était présentée à la cérémonie de Panthéonisation de Missak Manouchian, militant communiste et résistant arrêté par la police française collaborationniste et assassiné par la police secrète nazie.
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Si la famille de Marc Bloch tente de le prémunir contre la récupération, cela tient aussi à des propos de l'historien, publiés dans L'Étrange Défaite, qui ont fait l'objet de détournements au profit du nationalisme et d'autres idées prônées par l'extrême droite, malgré les circonstances de la fin tragique de l'historien. « Il existe deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération » : cet extrait a été cité par Nicolas Sarkozy en 2009, rappelle France Culture, pour appuyer une thèse à l'opposée des convictions de l'historien...
Toute la dynastie Le Pen s'est aussi illustrée en se réclamant de Marc Bloch, de Jean-Marie Le Pen à Marion Maréchal-Le Pen, en passant par Marine Le Pen... « La Panthéonisation est l’occasion de mettre fin à cette évidente incompréhension ou méconnaissance, et de faire diffuser au plus grand nombre sa pensée et son courage », soulignent encore les ayants droit.
Pour l'instant, la date de la cérémonie d'entrée au Panthéon n'est pas connue.
Photographie : Marc Bloch (domaine public)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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