Sous l'impulsion de l'entrepreneur Vianney d'Alançon, l'École supérieure de journalisme (ESJ) de Paris a été récemment rachetée par un consortium composé, entre autres, de milliardaires, parmi lesquels un certain Vincent Bolloré. Dans les investisseurs liés à l'édition, on trouve également Vincent Montagne (Média-Participations) et le groupe Bayard. La CFDT Journalistes s'étonne « au plus haut point » de la participation à cette entreprise « d'un groupe humaniste », comme le dernier cité…
Le 21/11/2024 à 15:28 par Hocine Bouhadjera
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21/11/2024 à 15:28
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Dans cette association de grandes fortunes, on retrouve, entre autres, Bernard Arnault, à travers sa filiale La Financière Agache, Rodolphe Saadé, propriétaire de CMA-CGM et du jeune CMA Média (notamment propriétaire de BFM TV et La Provence). Mais aussi Devoteam de Stanislas et Godefroy de Bentzmann, 189e fortune de France selon le magazine Challenges, la famille Dassault, Pierre Gattaz, ancien président du Medef, ou encore le groupe Bayard, propriété de la congrégation religieuse catholique des assomptionnistes.
Dans cette liste, il manque le nom qui crispe une bonne partie du monde médiatique français et au-delà, le conservateur conquérant Vincent Bolloré. La CFDT Journalistes pose la question : allons-nous « vers la Bolloré School of Journalism ? »
Le syndicat développe : « Créée par Dick May, une écrivaine-journaliste heurtée par les dérives d'une grande partie de la presse lors de l'Affaire Dreyfus, elle fut d'abord un département de l'École des Hautes Études Sociales (EHES) et voulait professionnaliser un métier jusque-là sans véritable cadre déontologique, en insistant sur les valeurs laïques et en l'ouvrant aux femmes. Il est donc pour le moins paradoxal que cette école se retrouve aujourd'hui dirigée par les descendants (à cet égard, la présence d'un groupe humaniste comme Bayard nous étonne au plus haut point) de ceux contre qui elle se créa... »
Bayard assure en effet porter un projet éditorial « humaniste », plaçant l’homme au cœur de ses ambitions. Le groupe revendique une « confiance dans les vertus de l’esprit, l’importance et l’inaltérabilité de l’écrit ».
La CFDT Journalistes alerte sur une « prise de l'ESJ Paris par un consortium de conservateurs catholiques ». De Bolloré à Bayard, on reste en effet entre catholiques, mais pas tout à fait le même catholicisme : celui de Bayard, qui a connu une grande évolution avec le temps, a été raconté dans un livre collectif paru en 2024, à l'occasion du 150e anniversaire du groupe.
Originellement connu sous le nom de Bonne Presse, l'initiative fut initiée par le père Vincent de Paul Bailly en 1873, commençant avec la publication de Pèlerin pour orchestrer les pèlerinages, une pratique populaire de l'époque. En 1880, La Croix est lancée et devient un quotidien en 1883, se positionnant comme un outil de reconquête catholique dans un contexte de sécularisation croissante, symbolisée par des initiatives telles que la loi Ferry, qui fait retirer les crucifix des écoles publiques.
Une posture de combat qui se reflète dans leur devise Adveniat regnum tuum (Que ton règne vienne). Le focus est tourné vers Dieu, l'homme n'est pas encore au cœur. Au fil des décennies, cette orientation - mobiliser les catholiques derrière l’Église pour rétablir la société chrétienne - a subi d'importantes transformations, dont l'une des plus visibles, l'évolution de La Croix, s'effectue dans les années 1960. Le quotidien adapte alors son discours pour refléter et participer aux débats internes de l'Église catholique, notamment en réaction aux scandales d'abus sexuels.
Le tournant majeur intervient en 1969, lorsqu'une révision de l'orientation éditoriale conduit à une ouverture vers une approche moins doctrinale et plus ouverte sur le dialogue et la réflexion collective. En 2019, l'initiative « Réparons l'Église » voit par exemple le jour, permettant aux fidèles de partager leurs expériences et opinions.
Le catholicisme du groupe Bayard n'est, on l'aura compris, pas tout à fait celui de Vincent Bolloré, qui aurait imposé en 2022 le cardinal Sarah en une de Paris Match, aux positions « ultra réactionnaires », suscitant l'indignation de la rédaction. Un exemple de propos tenu par l'éclésiastique de 2015 : « Ce que le nazisme, le fascisme et le communisme ont été au XXᵉ siècle, les idéologies occidentales sur l’homosexualité et l’avortement, et le fanatisme islamique, le sont aujourd’hui. »
Plusieurs enquêtes journalistiques ont plus généralement dépeint le milliardaire comme un catholique traditionaliste assumé, comme celle de Télérama d'avril dernier, qui montre à quel point « les chaînes du milliardaire breton déroulent le tapis rouge aux idées catholiques les plus conservatrices ». Toujours en 2024, Mediapart a enquêté sur CNews, « matrice du projet d'extrême droite de Bolloré ».
Le Suicide français d’Éric Zemmour adapté par une chaîne de Bolloré
L'engagement de Bayard dans cette aventure pourrait-elle être simplement financière ? Selon Xerfi, le chiffre d'affaires annuel de l'enseignement supérieur privé en France s'élevait, pour situer, à 4,4 milliards € en 2020.
La France compte une centaine de centres de formation au journalisme, qui sont dans leur grande majorité privés. « Ce modèle d’école de journalisme à but lucratif, privée, avec la participation de groupes de presse derrière, c’est quelque chose de nouveau », remarque Pierre Savary, le directeur de l’ESJ Lille, auprès du Monde. Son école porte pour sa part un modèle associatif, « garant de son indépendance », affirme-t-il.
Une bonne part des observateurs et autres analystes penche plutôt pour la stratégie d'influence, non de Bayard, mais du consortium. Le profil des acteurs de ce consortium semble confirmer cette idée : à l’origine de cette transaction se trouve ainsi Vianney d’Alançon, 38 ans, qui devrait prendre la présidence du centre de formation.
Cet entrepreneur, impliqué dans cette reprise via La Financière de la Lance, est également le fondateur du parc d’attractions Rocher Mistral, situé dans les Bouches-du-Rhône et souvent qualifié de « Puy du Fou provençal ». Situé dans l'enceinte du château millénaire de La Barben, il déroule, à son programme, des cascades, comédies, danses, et autres combats à l'épée...
En outre, Vincent Bolloré aurait été parmi les premiers à intégrer le consortium chargé du rachat de l’ESJ, selon Le Monde. Cependant, afin d'éviter une emprise excessive du milliardaire conservateur, la composition du tour de table a été récemment élargie pour inclure d'autres acteurs tels que Rodolphe Saadé, Vincent Montagne, PDG de Média-Participations, propriétaire de titres comme Famille chrétienne, Rustica et Spirou, ou... Bayard. Ajouter un peu de catholicisme humaniste, plus proche du pape François, face à la nostalgie de l'avant Vatican II...
Une initiative qui n’est d'ailleurs pas sans rappeler une précédente aventure : la création, en 2018, de l’Institut libre de journalisme, soutenu par les réseaux de Vincent Bolloré et le milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin. Une enquête du Monde, en septembre 2024, s'était intéressée aux idées et aux profils des élèves actuels ou anciens de cet ILJ, qui oscillent entre droite conservatrice et droite radicale.
L’ESJ Paris, fondée en 1899 et présentée comme « la plus ancienne école de journalisme du monde », ne figure pas au nombre des 14 écoles de journalisme reconnues par la profession. Parmi ses anciens élèves, on compte néanmoins des figures médiatiques et littéraires reconnues, comme Philippe Bouvard, Audrey Pulvar, François Busnel, Bernard Werber, Charline Vanhoenacker, Nicolas Doze ou encore Jean-François Achilli - récemment épinglé pour avoir participé à l'écriture des Mémoires de Jordan Bardella.
La CFDT journalistes craint ce « détournement idéologique que la reprise de l'ESJ Paris par un consortium d'éditeurs conservateurs risque d'entraîner avec un futur projet pédagogique jusque-là très flou (mettre en avant l'économie n'est pas une panacée en soi...) ».
Membre actif de la Commission Paritaire Nationale de l'Emploi des Journalistes (CPNEJ), qui se penche notamment sur les dispositifs de formation de la profession, la CFDT-Journalistes explique qu'elle restera attentive aux orientations futures de cette école. Et s'opposera fermement à toute évolution « problématique ».
« Dans un contexte où les idées sectaires et celles de l'extrême droite se banalisent, cette prise de contrôle sur une école de journalisme suscite de vives inquiétudes », partage encore le syndicat, et de conclure : « La CFDT-Journalistes souhaite que les étudiants de cette école soient pris en considération. Ils ont choisi cette école avant ce changement d'actionnaires et il est hors de question pour notre syndicat qu'ils soient pris en otage. »
Contacté par ActuaLitté, Bayard ne souhaite pas commenter la mise en cause de la CFDT Journalistes. Également sollicitée, l'ESJ Paris n'a pas répondu.
Crédits photo : Teolemon (CC BY-SA 3.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
8 Commentaires
Aurelien Terrassier
21/11/2024 à 16:47
Voir l'entrisme financier du célèbre milliardaire catholique d'extrême droite dans une grande école de journalisme fait froid dans le dos en effet.
B. Diclo
21/11/2024 à 19:16
On peut aussi/surtout s'interroger pourquoi, dans ce pays :
- un gouvernement de droite se sent obligé de nommer un ministre de la Justice de gauche
- des medias publics refusent d'inviter certaines personnalités de droite
- les mêmes ont transformé le journal de la météo en catastrophisme climatique
- la directrice de FT explique que ses fictions ne doivent pas représenter la société telle qu'elle est mais telle qu'elle voudrait qu'elle soit
- le pluralisme selon la gauche, c'est quand on invite, les bons jours, un journaliste de droite parmi tous les autres, de gauche
- on vire un journalisme seulement suspecté d'avoir envisagé un ouvrage avec un dirigeant du RN
- de nombreux politiques réclament l'extinction de CNews,
- de nombreux medias, dont Actualitté, offrent des tribunes anti-Bolloré, mais jamais des pro
- un syndicat de gauche peut expliquer que l'ESJ serait en train de tomber dans les mains d'anti-dreyfussards, alors que les medias de Bolloré sont les rares en France à soutenir Israël contre Hamas et Hezbollah
- le monde catholique ne pourrait pas se défendre face aux imprécations islamogauchistes de certains partis
- on devrait s'attrister de l'existence d'une école de formation de journalistes de droite dans une profession très majoritairement de gauche
- etc.
Il y a une place à occuper pour contrer les dérives islamogauchistes des medias mainstream, on peut regretter que ce soit Bolloré qui s'y colle, mais où sont les autres ? Où sont les autres ?!
ouin ouin
22/11/2024 à 08:27
ouin ouin
Manuel S.
22/11/2024 à 11:37
Visiblement, ce n'est pas l’honnêteté intellectuelle qui vous étouffe (et pourtant je suis loin d'être doctrinaire), à se demander si ce n'est pas volontaire ?
Reprenons point par point (vous avez le droit de ne pas être d'accord).
- un gouvernement de droite se sent obligé de nommer un ministre de la Justice de gauche
=> pour entretenir le souvenir perdu du "en même temps" qui voulait qu'il ne soit ni de gauche ni de droite, stratégie qui, entre autre, lui a permis d'arriver au pouvoir ?
- des medias publics refusent d'inviter certaines personnalités de droite
=> des exemples concrets ? Parce que si vous parlez de personnes multi-condamnés pour discours de haine (souvent raciale), alors il faut peut-être aussi inviter des gens de Daech, selon vous ?
- les mêmes ont transformé le journal de la météo en catastrophisme climatique
=> parce que le changement climatique n'est pas une réalité aux nombreux effets négatifs tangibles selon vous ?
- la directrice de FT explique que ses fictions ne doivent pas représenter la société telle qu'elle est mais telle qu'elle voudrait qu'elle soit
=> On peut citer des propos concrets ? Et, j'ai envie de dire, une personne ne fait pas une nation...
- le pluralisme selon la gauche, c'est quand on invite, les bons jours, un journaliste de droite parmi tous les autres, de gauche
=> c'est ironique d'écrire ça quand CNews, par exemple, invite souvent une personnalité de gauche parmi huit de droite dans ses "shows", en la moquant et lui donnant l'image d'une personne isolée, hors-société, dans une technique de mise en scène bien connue de la Russie soviétique reprise par beaucoup de dictatures. Mais oui, il y a peut-être des médias de gauche qui font de même ce qui ne déqualifie pas tous les médias.
- on vire un journalisme seulement suspecté d'avoir envisagé un ouvrage avec un dirigeant du RN
=> il n'est pas suspecté, il s'est avéré l'avoir fait. Et le problème n'est pas de l'avoir fait mais de l'avoir caché à sa hiérarchie alors qu'il faut déontologiquement se mettre en retrait dans ce cas, la sanction est la même à droite ou à gauche.
- de nombreux politiques réclament l'extinction de CNews
=> pour une chaîne qui promeut des discours de haine, condamnée par la justice, c'est peut-être excessif et la loi dira si c'est illégal, mais ces politiques font de la politique. A moins qu'il ne soit pas bien de lutter contre les propos de haine ?
- de nombreux medias, dont Actualitté, offrent des tribunes anti-Bolloré, mais jamais des pro
=> ActuaLitté a le droit d'avoir sa ligne éditoriale et vous êtes libres de vous exprimer dans les commentaires. Mais, désolé, c'est plutôt dans les médias de Bolloré que les discours en opposition avec la ligne ne sont pas autorisés, pas l'inverse. C'est étonnant d'accuser les autres de ce qu'on fait, non ?
- un syndicat de gauche peut expliquer que l'ESJ serait en train de tomber dans les mains d'anti-dreyfussards, alors que les medias de Bolloré sont les rares en France à soutenir Israël contre Hamas et Hezbollah
=> être dreyfusard, ça ne se résume pas à être contre l'antisémitisme, c'est lutter contre les préjugés et l'injustice, où qu'ils se trouvent.
- le monde catholique ne pourrait pas se défendre face aux imprécations islamogauchistes de certains partis
=> la gauche n'est pas unanimement hostile au catholicisme, ils partagent au contraire de nombreuses valeurs humanistes, il existe un catholicisme de gauche. Et pour rappel Jésus, base de la religion catholique, prônait la pauvreté physique et de "s'aimer les uns les autres". Quant au terme islamogauchiste, c'est tellement caricatural d'associer ces deux mots que ça décrédibilise les gens qui l'utilisent... Pour revenir sur Dreyfus, l'extrême-droite il y a un siècle aurait pu utiliser le terme de judéogauchisme de la même manière....
- on devrait s'attrister de l'existence d'une école de formation de journalistes de droite dans une profession très majoritairement de gauche
=> des preuves de ce que vous avancez ? Si on parle des quotidiens, vous avez Libération vaillant) à gauche, Le Monde au centre, Le Figaro à droite, le reste n'est pas vaillant ou représentatif. Dans les "newsmagasine", vous avez Le Point et L'Express à droite et L'Obs à gauche. Valeurs Actuelles est très à droite et Marianne ce n'est plus clair, Le Parisien dans une neutralité ambivalente. Idem en télé et sur internet. La majorité médiatique est plutôt à droite.
Il y a une place à occuper pour contrer les dérives islamogauchistes des medias mainstream, on peut regretter que ce soit Bolloré qui s'y colle, mais où sont les autres ? Où sont les autres ?!
=> cette phrase est un bon résumé de vos propos : asséner des choses sans preuves et faire passer pour victimes des personnes qui sont plutôt agresseurs. Libre à vous de le faire, mais ne vous prétendez pas objectifs et assumez que vous êtes d’extrême-droite et "en mission" pour imposer vos idées dans le maximum de médias via une saturation des espaces de commentaires. Ce qu'on appelle de la "manipulation de masse", utilisée pour les idées d'extrême-droite paradoxalement issue de techniques de communication des totalitarismes de gauche que vous prétendez combattre.
Dave
29/11/2024 à 23:57
"un gouvernement de droite se sent obligé de nommer un ministre de la Justice de gauche"
Il n'a rien de gauche, il est macroniste.
Major hENRI Virlojeux
22/11/2024 à 11:41
Chacun
cherche
sa croix.
Rose
23/11/2024 à 08:02
Autant, on peut respecter la foi des gens, autant les résultats dans l'Histoire des religions humaines sont redoutables, du brutal.
Surtout les trois religions monothéistes : ceux qui croient que leur dieu est supérieur à la vie ? Ceux qui croient leur peuple élu sans place dans le monde ? Et le dernier, qui remet en question la condition humaine et comme si on avait envie d'aller papoter avec un serpent qui mangerait des pommes ? Non mais, je vous jure, "Ne jurez pas Marie-Thérèse".
Pour les journalistes, déjà soumis aux diktats financiers, vont se retrouver conditionner aux idées néfastes et nihilistes de malfaisants vénaux, le combat sera rude mais les esprits libres et brillants gagneront.
Edco
23/11/2024 à 17:16
....Tout conservatisme religieux interroge.... Pas que chez les cathos...... surtout quand il s immisce dans les domaines de l éducation, de la presse, de la culture.....etc ...🤔🥴🙈🙊🙉